Ligue 1 - "Ce n’est pas du tout sécurisé" : les vraies questions que pose l’arrêt Rabiot

Quels pourraient être les effets de l’arrêt Rabiot ? La décision de la Cour d’appel de Paris de requalifier le contrat d’Adrien Rabiot au PSG en CDI engendre des craintes chez de nombreux acteurs du football. Pourtant, comme le rappelle Jean-Rémi Cognard, avocat spécialisé en droit du sport, la solution n’est pas nouvelle. Mais elle éclaire l’insécurité juridique du monde professionnel français.

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Patatras ? En requalifiant le contrat d’Adrien Rabiot au Paris Saint-Germain en CDI et en condamnant le club à des dommages et intérêts, la Cour d’appel de Paris a inquiété de nombreux acteurs du football professionnel. Tous les footballeurs étant employés via CDD, la solution a, sur le papier, de quoi préoccuper si elle fait jurisprudence. Mais la réalité est plus compliquée que cela.
Voir une telle requalification "n’est pas nouveau, mais c’est rare", nous explique Jean-Rémi Cognard, avocat spécialisé en droit du sport et auteur de "Les contrats de travail dans le sport et l’e-sport" (Juris Editions). "La particularité du cas de Rabiot, c’est que le contrat requalifié jeudi est antérieur à la loi de 2015. Hors, on sait depuis l’arrêt Padovani, pris par la Cour de cassation en 2014, que ce CDD-là était illégal et devait être requalifié en CDI", poursuit-il.
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Petit rappel historique pour mieux comprendre : avant 2015, les CDD sportifs étaient des CDD dits « d’usage », une possibilité ouverte par la loi dans de nombreux domaines comme les vendanges ou la production télévisuelle. Sauf que le fameux arrêt Padovani et d’autres décisions ultérieures ont écarté son application pour les sportifs en général, les footballeurs en particulier. En réponse, le législateur a donc prévu en novembre 2015 dans le Code du sport un CDD expressément prévu pour les sportifs.
Ce régime est d’ailleurs obligatoire, et s’applique à tous les contrats de travail de sportifs professionnels signés depuis. "Des affaires comme Rabiot, sous le régime du droit ancien, il ne doit pas y en avoir beaucoup en stock" éclaire-t-il. Alors, pas de quoi s’affoler pour les clubs et les organisations professionnelles ? Cela reste à voir.
Il suffirait pour un joueur de démissionner pour changer de club
"La question qui se pose, c’est de savoir si le dispositif mis en place par la loi de 2015 est conforme au droit de l’Union, et s’il n’est pas lui-même susceptible de s'effondrer", pointe notre interlocuteur. Car le droit de l’Union européenne, qui prime sur le droit français, prévoit avec l’accord-cadre du 18 mars 1999 interprété par la CJUE dans l’arrêt Adelener de 2006 des limites à l’usage du contrat à durée déterminée, et il n’est pas certain que le dispositif français soit dans les clous.  "La norme du contrat de travail, c’est le CDI. Pour y déroger, il faut des éléments objectifs", rappelle Me Cognard.
Justement, cette absence d’éléments objectifs a été pointée par la Cour d’appel dans l’affaire en cause. Selon l’Equipe, l’arrêt dispose que "Monsieur Rabiot [fait] à juste titre valoir que l'emploi d'un joueur a vocation à exister tant que le club disposera d'une équipe de football". L’arrêt écarte également "la nécessité d’adaptation en fonction des performances du salarié" comme un élément différenciant le contrat d’un footballeur de tout autre contrat. La question se pose donc de savoir si l’opinion de la Justice serait la même s’agissant du régime mis en place en 2015.
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Adrien Rabiot avec le Paris Saint-Germain en 2018

Crédit: Getty Images

"Ce n’est pas du tout sécurisé. Pour moi, c’est du 50-50, il y a des éléments dans les deux sens", tranche l’avocat. Une chance sur deux, c’est tout de même un sacré risque quand on considère que sont concernés l’entièreté des contrats des sportifs professionnels, pas seulement dans le football. Il est presque aberrant d’ailleurs que, dix ans après, le point n’ait pas été tranché. "Il faut comprendre que rares sont les cas de ce genre. Dans la majorité des situations, ces situations sont transigées. Les joueurs n’ont que rarement intérêt à aller au bout, d’autant qu’on peut penser que le CDD est en réalité plus protecteur pour eux qu’un CDI où le licenciement est finalement plus facile. D’ailleurs, souvent, les joueurs ont plus de sommes à gagner en restant dans le cadre du CDD".
C’est en réalité là que la décision Rabiot aura peut-être le plus d’impact. En offrant une victoire retentissante au joueur, 1,3 million d’euros à la clé, face à un mastodonte comme le Paris Saint-Germain, la cour rappelle que le droit du travail s’applique aussi dans le sport. Voilà qui pourrait donner des idées à des joueurs et des conseils prochainement, notamment face à la fragilité évoquée du régime de 2015. Et là, seulement là, s’ouvrirait véritablement la boîte de Pandore.
"Tout s’écroulerait, notamment en matière de transfert. Il suffirait pour un joueur de démissionner pour changer de club. A l’inverse, le club aurait aussi plus de latitude. Cela changerait absolument tout, et pas qu’en France". Joueurs, clubs, agents, tout le monde serait atteint, et pas forcément gagnant, "mais il en suffit d’un", rappelle l’avocat. Alors, non, la décision concernant Rabiot n’est pas un nouvel arrêt Bosman, mais elle rappelle la fragilité du modèle professionnel actuel.
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