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Wenger à la FIFA, pour quoi faire ?

Philippe Auclair

Mis à jour 19/11/2019 à 19:49 GMT+1

Arsène Wenger est devenu "chef du développement mondial du football", soit un poste de directeur technique de la FIFA. Une nomination au sein de l'instance internationale qui interpelle. Et pour plusieurs raisons.

Arsène Wenger

Crédit: Getty Images

Ce n'est pas d'hier que Gianni Infantino aime s'entourer de "légendes" du football. On l'avait déjà remarqué lors de sa première campagne présidentielle, lorsque l'avocat de formation et ex-éminence grise de Michel Platini à l'UEFA avait convié la presse internationale à l'écouter présenter son programme à Wembley. Le premier rang de l'auditoire avait été réservé à une collection d'anciennes gloires comme Luis Figo, Roberto Carlos et Fernando Hierro (José Mourinho faisait aussi partie de ce cortège), auxquelles se sont adjointes depuis des dizaines, puis des centaines d'autres, footballeurs et footballeuses, au sein d'un programme (The Fifa Legends, quoi d'autre?), censé contribuer à "ramener le football à la Fifa, et la Fifa au football".
Dans le cas des 'Legends', cela semble d'abord signifier participer à des matches de gala organisés en marge des grands événements du calendrier de l'instance. Pas moins de 166 d'entre elles avaient été invitées à la Coupe du monde de 2018, dont Arsène Wenger, d'ailleurs. Combien de millions cela coûte (ces ladies et gentlemen ne voyagent pas et ne logent pas en classe bétail), personne ne le sait en dehors des commanditaires et comptables de la Fifa (*). Quelle est la véritable utilité de l'opération pour le football sur le terrain en général, personne n'en est trop sûr non plus. Tout récemment, par exemple, la Fifa a envoyé une impressionnante délégation de 'légendes' (Eto'o, Laura Georges, Djorkaeff, qui est aussi le directeur exécutif de la Fondation Fifa, Mourinho, Kaka, Desailly...) à Chouf, au Liban, dans le but d'encourager un programme d'enseignement du football dans les écoles, projet noble en soi, mais dont le rapport qualité-prix laissait peut-être à désirer.
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Arsene Wenger

Crédit: Getty Images

Un champ d'action plus large que Van Basten

On peut facilement comprendre pourquoi Infantino aime tant s'entourer de grands noms, et pourquoi s'adjoindre les services de Wenger représente une superbe opération pour lui. A la différence d'un Platini, et même d'un Blatter (qui occupa brièvement la cage d'une équipe de troisième division suisse), l'actuel président de la Fifa n'a aucun passé de joueur, de technicien ou d'administrateur d'un club ou d'une sélection. En quête de crédibilité, soucieux d'humaniser l'image de technocrate qui lui colle à la peau, il est naturel qu'il se tourne vers des figures universellement connues et reconnues dans le monde du football. Pour donner quelque substance que ce soit à son programme de "footballisation" de la Fifa, Infantino doit aussi se "footballiser" lui-même.
Wenger n'est cela dit pas une "légende" comme les autres. Certains et certaines acceptent d'apporter leur caution au président de la Fifa et à son administration moyennant de généreux défraiements et un massage-express de leurs egos. Le manager des Invincibles, lui, est taillé dans une autre étoffe. On l'imagine mal servir de passe-plats à son employeur, de jouer les béni-oui-ouis au pied du trône de Gianni 1er. Je n'irai pas jusqu'à dire que le pourfendeur du dopage économique des clubs soit incapable de quelques compromis que ce soit avec ses convictions quand le besoin s'en fait sentir; mais ses convictions n'en sont pas moins profondes et sincères pour autant.
La fonction qu'occupe désormais Wenger, celle de "Directeur du développement du football mondial", est d'ailleurs nouvelle, au moins en ce qui concerne son intitulé. Son prédécesseur, Marco van Basten (qui n'a pas laissé un souvenir impérissable à la Fifa), avait un titre un peu moins ronflant, celui de "officier-chef en charge du développement technique". Wenger, lui, aura a priori un champ d'action plus large, puisqu'il supervisera le travail de l'IFAB aussi bien que les programmes d'analyse technique de coaching de l'instance, et ceci, à un moment où les innovations de l'International Board, dont celles ayant trait à la loi sur les fautes de main et l'utilisation de l'assistance vidéo, sont plus controversées que jamais.
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Arsène Wenger

Crédit: Getty Images

Wenger, contraint à des grands écarts intellectuels qui ne lui ressemblent pas ?

Confier une telle mission à un authentique homme de football et, en sus, un homme de football qui n'a jamais eu peur de mettre en avant la dimension morale de son sport ne peut être qu'une excellente chose pour la Fifa et le football lui-même. Il n'est qu'à voir comment cette nomination a été saluée, presque unanimement, pour prendre conscience du respect, de l'admiration et de l'affection dont Wenger est entouré dans le monde entier.
Cela dit, ce respect et cette admiration vont être soumis à un rude test lors des mois et années à venir. Beaucoup des idées que Wenger a défendues avec le plus de ferveur tout au long de sa carrière (ou contre lesquelles il s'est élevée le plus passionnément) ne sont pas vraiment en phase avec la stratégie de développement d'Infantino. Wenger risque fort soit de devoir se taire, soit de procéder à des grands écarts intellectuels qui ne lui ressemblent pas et qui, s'il consentait à s'y plier, fragiliseraient gravement son autorité.
Les sujets potentiels de discorde sont nombreux. Citons ses critiques répétées d'un calendrier international trop fourni et son opposition à la prolifération des compétitions, par exemple. Pendant ce temps, Infantino rêve tout haut d'une Ligue des Nations planétaire, d'une Coupe du monde à 48 équipes - nous y aurons droit en 2026 - et d'une Coupe du monde des Clubs de la Fifa à laquelle le président de la Fifa affirme que 40 ou 50 clubs des six confédérations pourraient prendre part.

Infantino et Wenger, deux tons fort éloignés

Sur tous ces sujets, le nouvel employé à plein temps de la Fifa et son patron actuel chantent sur deux tons fort éloignés, et ce genre de bitonalité n'est pas vraiment le genre de musique sur lequel Infantino fait danser son monde, en particulier depuis sa réélection au Congrès de Paris de juin dernier, quand il était alors le seul candidat à sa succession.
De deux choses l'une: soit les fonctions de Wenger auront un champ d'action qui se limitera strictement au terrain, soit elles lui permettront d'influer véritablement sur le cours qu'Infantino entend faire prendre à l'instance qu'il préside. La seconde hypothèse, disons-le tout net, est improbable. Wenger ne fait pas partie du cénacle d'Infantino. Ce n'est pas par hasard que les conseillers les plus proches du président de la Fifa - Mario Galavotti et Mattias Grafström - le connaissent intimement depuis le temps où il était en poste à l'UEFA. Infantino n'est pas non plus un adepte de la collégialité, mais plutôt de ce que les Anglo-Saxons appellent le top-down management. Il n'est qu'à voir comment la Fifa mit la Confédération africaine de football sous tutelle le 1er août dernier, suite à une "requête" de son président Ahmad qui, dans l'esprit, ressemblait beaucoup à celle que le parti communiste tchécoslovaque avait faite aux pays du Pacte de Varsovie en 1968. Quand il s'agit de son pouvoir, Gianni Infantino n'est pas un partageux.
Quand il lui fallait définir la façon dont il voyait son métier, Wenger était tout aussi disposé à employer le mot "éducateur" que celui de "coach". Ce qu'on peut espérer, c'est que l'immense expérience emmagasinée en bientôt un demi-siècle de carrière par l'ancien manager d'Arsenal soit mise à profit comme lui-même l'a toujours espéré. Mais qu'on ne s'attende pas à ce que la nomination de Wenger marque une révolution dans la gouvernance de la Fifa.
(*) Les derniers comptes de la Fifa Foundation (dont les 'Legends' sont une émanation) fait état de 3,5m$ de dépenses pour l'année 2018, pendant laquelle l'initiative fut lancée.
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