Grand Prix de Bahreïn | "Quantité plus que qualité, "pas viable"… 24 Grands Prix, les pilotes en ont déjà marre

Vingt-quatre Grands Prix, on y avait échappé l'an dernier mais pas cette année. La Formule 1 va poursuivre sa fuite en avant, sa course au gigantisme en remplissant l'agenda le plus copieux de son histoire en 2024. Le but est clair : la discipline doit combattre la peur du vide de ses chargés du développement. Elle doit faire l'actualité en permanence, ses fans ne doivent pas pouvoir retenir leur souffle. Et ça n'est pas du goût de tout le monde, à commencer par les principaux intéressés : les pilotes.

Les trois champions du monde en exercice ont clairement dénoncé cette cadence infernale, ce feu roulant des épreuves autour du monde, parfois sans cohérence géographique, jeudi en conférence de presse FIA. Ce dont les promoteurs du championnat se sont bien gardés de relayer sur le site officiel du sport.

"Nous sommes à la limite, peut-être même déjà au-delà, a jugé Lewis Hamilton, 39 ans dont 17 en F1, à la veille des premiers essais officiels du Grand Prix de Bahreïn. Mais je pense que nous devons simplement être conscients du rapport entre la qualité et la quantité, penser aussi à l'impact (ndlr : écologique) que nous avons dans le monde. On ajoute des courses et tout ce cirque voyage partout... La durabilité devrait être au coeur des décisions qu'ils prennent pour avancer."

Assis à côté de lui, Fernando Alonso, doyen du peloton à 42 ans, a dit la même chose en substance. "Je pense que nous avons largement dépassé la limite", a-t-il acquiescé. L'Espagnol sait de quoi il parle : à ses débuts en Formule 1, en 2001, le calendrier comportait 16 courses (jusqu'en 2003 inclus). A rapprocher des 24 actuelles, soit une inflation de 50%... "Quand j'ai commencé, nous avions 16 courses, puis cela a été 18 à un moment donné, et lorsque Liberty est arrivé (en 2017), il y a eu ce message comme quoi 20 courses était absolument la limite. Maintenant, nous en sommes à 24. Et oui, ce n'est pas viable pour l'avenir, pour personne."

"Même le champion du monde pense que la saison est un peu longue. Imaginez pour le reste de nous autres, attaquer la seconde moitié de la saison pour rien (ndlr : quand un pilote survole le championnat)), parce qu'il n'y a aucune motivation à se battre pour rien. J'espère donc que quelqu'un va comprendre que c'est préjudiciable pour le sport", a-t-il conclu.

Hamilton et Alonso parlent de 24 courses, mais ce n'est pas tout : Formula 1 fait passer aussi cette année le nombre de sprints de quatre à six, soit 50% d'augmentation. Et si ce format inauguré en 2021 est censé recruter des jeunes fans, le scénario de ces épreuves d'une demi-heure qui densifie les week-ends a le plus souvent suscité du scepticisme au minimum, et de la confusion assurément en créant sa propre séance de qualification ("shootout").

Depuis le rachat du championnat du monde par Liberty Media, en 2017, on a surtout vu apparaitre des circuits urbains à l'intérêt contesté comme Miami et Las Vegas, et d'autres Grands Prix emblématiques disparaître comme ceux de France ou d'Allemagne. Se retrouver en sursis comme Monaco ou la Belgique… Une tendance assumée et matérialisée à partir de 2025 par le déménagement du Grand Prix d'Espagne de Montmelo, un tracé apprécié des pilotes, pour les rues de Madrid...

"De mon côté, je l'ai déjà dit, ce n'est pas durable, a répété le triple champion du monde en titre. J'aime beaucoup courir et je le fais beaucoup, également en dehors de la Formule 1. Mais à un moment donné, on commence à se pencher sur la qualité de vie et à quel point on est loin de pratiquer un sport qu'on aime. A un moment donné, je préfèrerai probablement rester chez moi et me concentrer sur d’autres projets. Parce que c'est... fou. On sait ce qu'on doit faire pour ça et j'adore ça. Maintenant, ce n'est pas un problème, mais je sais que dans quelques années, ce sera très différent."

"Peut-être que quelques autres pilotes ressentent cela, mais en fin de compte, bien sûr, cela dépend de la Formule 1, a repris le Néerlandais. On sait ce qu'ils veulent faire avec leur sport, mais si on connait des gens dans ce sport, ils raccourcent leur carrière parce que c'est beaucoup trop. Je pense que c'est un peu dommage, alors j'espère bien sûr que nous pourrons y réfléchir à l'avenir. Des gens commencent à raccourcir leur carrière car c'est trop. C'est dommage et j'espère qu'on va regarder ça à l'avenir."

La trajectoire peut être rectifiée pour trouver un point d'équilibre, contenter acteurs et spectateurs. Un enjeu que Carlos Sainz (Ferrari) résume bien dans cette formule : "La Formule 1 a besoin de rester exclusive."