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Formule 1 | Créer un circuit à Las Vegas : le Strip, sans poker face

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 17/11/2023 à 09:34 GMT+1

Pour concevoir le Las Vegas Strip Circuit, les architectes Cartsen Tilke et son père Hermann, rompu à l'exercice, ont évidemment intégré les sites emblématiques de la cité du Nevada. Mais le jeu s'est arrêté là. Il a fallu ensuite réfléchir à des installations fonctionnelles pour servir un tracé assurant du plaisir aux pilotes et un minimum d'action.

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Le Strip pour faire oublier le "very bad trip". Ce week-end, Las Vegas déroule le tapis rouge à la Formule 1 dans son avenue la plus célèbre pour tourner la page du fiasco des deux précédentes éditions organisées dans le Nevada. En 1981 et 1982, Bernie Ecclestone, promoteur du championnat du monde, n'avait pas trouvé mieux que le parking du Caesar Palace pour couronner Nelson Piquet et Keke Rosberg.
Sur un tracé bordé de murs de bétons aveuglant, large et poussiéreux, épuisant de par ses innombrables virages et son sens anti-horaire martyrisant le cou. "Quand mon stand m'a passé le panneau de décompte des tours restant, j'ai lu 33. J'ai cru mourir", expliquera le Brésilien. L'année suivante, le Finlandais s'était accommodé des 60°C régnant dans son cockpit et satisfait d'une cinquième place suffisante à sa gloire.
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La piste du Grand Prix de Las Vegas 1981

Crédit: Imago

Carte postale

A l'époque, il était évident que Las Vegas devrait offrir un autre écrin à la Formule 1 pour mériter un retour dans le concert international. On n'imaginait cependant pas que 41 ans seraient nécessaires pour y parvenir, dans une discipline transformée peu à peu en sport-spectacle à travers une surenchère de moyens. Lewis Hamilton avait promis "la plus grande course de tous les temps" il y a un an, dans l'euphorie d'une démonstration promotionnelle au volant de sa Mercedes. Le Britannique devait penser aux futures installations créées à l'échelle du hors normes. Toute cette agitation désormais scénarisée aussi, à grand renfort d'invités mutiques, de stars inapprochables venues apporter leur caution ultime.
C'est une certitude, le Las Vegas "by night" va en mettre plein les yeux au format XXL ce week-end, sans créer de nouveaux standards puisqu'aucun autre circuit ne pourra être comparé à celui de "Sin City" avant bien longtemps. Pas même Miami. Le site a déjà pris une longueur d'avance en convoquant les spots incontournables de la ville qui ne dort jamais : la nouvelle arène MSG Sphere, le Bellagio, le Caesars Palace, la fausse Tour Eiffel. Cartsen Tilke, chef de projet, et son père Hermann, architecte préféré de la Formule 1 depuis 25 ans, l'ont bien compris en mettant en scène ces marqueurs touristiques tout au long d'un ruban de 6,12 km, dont 1,9 km pour le seul Strip, où les monoplaces défileront à 355 km/h. Gavées au DRS pour garantir des dépassements à défaut peut-être de sauver le suspense pour la victoire.

Deux fois plus qu'un Super Bowl

"L'objectif principal était de reprendre toutes les points d'attraction de Las Vegas, confirme Carsten Tilke, dans un entretien à Autoweek. À partir de ça, nous avons examiné différentes configurations et aménagements, et la question suivante est toujours de savoir où placer la ligne de départ/arrivée, les garages, les hospitalités des équipes. Et puis, Liberty Media a eu l'opportunité d'acheter le terrain (pour le paddock) ; c'était la pièce manquante."
Rien que pour acquérir la surface pour les stands permanents (visitables à longueur d'année) et le paddock, il en a coûté quelques 185 millions d'euros. A rapprocher des quelques 465 millions injectés pour la totalité du projet. Des investissements à la hauteur des 1 milliard et 200 millions d'euros de retombées économiques attendues - dont 900 millions de dépenses faites sur place - selon un rapport du cabinet Applied Analysis. Soit plus du double d'un Super Bowl (550 M€).
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Des profils de vitesses "acceptables"

De là, Tilke père et fils ont dû trouver le meilleur itinéraire dans les rues de la ville du jeu pour préserver un autre enjeu, sportif. "Nous avons une phrase pour ça, reprend Cartsen : 'C'est une œuvre d'art, une part de science et une part de magie.'" De science car "le défi est d'abord de créer une piste qui a besoin d'être homologuée par la FIA", souligne-t-il. Pragmatiques, les Tilke se sont d'abord chargés d'assurer la circulation des riverains habitant dans des quartiers fermés pour la durée de l'événement. Ils ont fait construire des ponts, et aussi des voies spéciales pour les véhicules de secours, parce "qu'il s'agit de tout prévoir, même le pire".
Ces préalables satisfaits, les architectes se sont attaqués au dessin même de la piste, d'abord sous l'angle de la sécurité. "Nous devons étudier - notamment dans le cas d'un circuit urbain - comment créer les voies de dégagements, comment jouer avec les profils de vitesses dans les différents virages pour qu'ils soient acceptables par la FIA, responsables, dans un lieu sûr", résume Cartsen Tilke.

Tribunes aveugles

Avec le fameux Strip et le paddock comme éléments de base, l'architecte en chef s'est demandé comment connecter ces deux zones sur la piste, pour laquelle il a fallu arrêter une longueur. Avec 6,120 km, le Las Vegas Strip Circuit excède la moyenne de 5,136 km des 21 autres tracés du championnat 2023. Un total conditionné par la longueur du seul boulevard principal, au-delà duquel il faut emmener les pilotes dans un minimum de variété. Ces 6,120 km vont en tous les cas à l'encontre d'une politique tarifaire inflationniste et finalement prise à son propre piège : tous les billets n'avaient pas trouvé preneurs à quelques jours de la 21e des 22 manches du Mondial (l'organisation avait prévu 100.000 personnes par jour). Un circuit court aurait assuré aux fans d'en avoir pour leur argent mais ces derniers verront quand même les bolides passer 50 fois.
Ceci fait, "on regarde quelles rues on peut utiliser, comment on peut rendre cela aussi excitant que possible pour les pilotes, et où on place les spectateurs", poursuit Cartsen Tilke, qui n'avait pas bien modélisé son circuit. Des tribunes ont été fermées, faute de donner suffisamment à voir.
"Autour de la Sphère, nous avons désormais une chicane où nous ralentissons les voitures. Cela a pour but de diminuer la vitesse dans cette zone mais également d'avoir une zone permettant aux spectateurs de voir les monoplaces plus longtemps et freiner dans ce virage, monter sur les bordures", expose encore Tilke Jr. Qui on le voit a repris les recettes de son père, auteur des tracés urbains de Singapour, Bakou et Miami, plus ou moins considérés comme des réussites.
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Table de roulette dans la chapelle du paddock du Grand Prix de Las Vegas, le 9 novembre 2023

Crédit: Getty Images

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