Jeux Olympiques de Paris 2024 | Kaylia Nemour, la médaillée d'or aux barres que la France a laissé échapper

Jeudi 3 août. Les gymnastes, parmi lesquelles la superstar Simone Biles, disputent le concours général individuel. Dans la tribune est installée Mélanie De Jesus Dos Santos, la grande absente du jour, après la catastrophe des qualifications disputées dimanche dernier, où aucune Française n'est parvenue à se qualifier pour la moindre finale. Aucune, sauf Kaylia Nemour, née à Saint-Benoit-la-Forêt, en Indre-et-Loire.

Alors que "MDJDS", de très loin le plus beau palmarès français parmi les athlètes en activité, a d'ores et déjà annoncé avoir disputé ses derniers Jeux Olympiques à Paris, Nemour aurait pu, aisément, assurer une forme de continuité. La jeune femme de 17 ans est talentueuse. Jeudi, elle a décroché la cinquième place du très prestigieux concours individuel, derrière le trio Biles - Andrade - Lee ainsi que l'Italienne Alice d'Amato. Dimanche, elle a empoché l'or sur les barres asymétriques.

L'avenir est donc radieux pour une gymnaste référencée depuis plusieurs mois au plus haut niveau : à Anvers, il y a moins d'un an, Nemour avait déjà décroché l'argent aux barres asymétriques. Son agrès fétiche, sur lequel elle avait rendu la géante Simone Biles admirative avant d'éblouir Bercy, dimanche. "Je ne suis pas la meilleure aux barres, pas comme Kaylia, mais je peux me débrouiller", répond la Texane aux 40 médailles lorsqu'on l'interroge sur sa relation à cet appareil.

Nemour, elle, y est si à l'aise qu'elle y dispose déjà d'une figure à son nom et qu'elle a obtenu une note brillante (15.700) lors de la finale dimanche (à revoir ici), où elle était la grande favorite pour la médaille d'or. Bref, le potentiel est énorme, l'or est déjà là. Seul gros hic pour la gym bleue : celle qui a décroché le graal vingt ans après Emilie Le Pennec a représenté l'Algérie. "Ça représente beaucoup, j'en suis très fière, a-t-elle confié au micro d'Eurosport, sur la plate-forme MAX, après le concours général. C'est le pays de mon papa. Tout le monde me soutient du tonnerre depuis deux ans."

Derrière ce choix se cache aussi un conflit larvé avec la Fédération française de gymnastique, amorcé il y a bientôt trois ans. A l'époque, l'instance avait souhaité regrouper les meilleures athlètes, notamment en vue des Jeux. Stéphanie Nemour, maman de Kaylia et présidente de son réputé club d'Avoine-Beaumont, s'oppose à un déménagement de sa fille. Et un message de la coach de l'athlète, Gina Chirilcenco, diffusé sur Facebook, fait éclore l'affaire. Il évoque une "campagne de harcèlement et de menaces".

La guerre éclate et s'intensifie autour de l'état de santé de Kaylia Nemour. Quelques mois plus tôt, la jeune gymnaste avait été opéré des deux genoux pour une anomalie de croissance de ses os et du cartilage qui peut être favorisée par une trop grande répétition des efforts. Son chirurgien fixe sa reprise progressive de la compétition au mois de mars 2022. Mais le médecin de la FFGym, lui, temporise.

"J'ai réuni des experts de médecine du sport, des experts de chirurgie qui ont pris une décision médicale qui comportait des restrictions temporaires de pratique, défend alors Pierre Billard, médecin de la FFGym, à l'AFP. On a dit à Kaylia qu'elle pourrait reprendre les barres en compétition sous réserve que ça évolue bien et qu'il y ait un suivi. Et qu'en fonction de l'évolution, avec un peu de temps, on autoriserait peut-être à reprendre sur d'autres agrès que les barres, où les genoux sont assez protégés".

Pour le clan Nemour, pas question de rogner sur le plan de préparation de Kaylia pour les JO à Paris. Au début de l'été 2022, les discussions avec la Fédération algérienne sont lancées. Suit une longue bataille juridique, durant laquelle la FFGym s'abstiendra, longtemps, d'accorder la levée du délai de carence prévu dans le cas d'un changement de nationalité. Le litige prend des proportions démesurées, alors que l'instance, elle, est visée par une affaire de maltraitance sur d'ancienne gymnaste. C'est finalement la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui débloquera le dossier.

Enfin autorisée à défendre les couleurs algériennes, Nemour devient successivement championne d'Afrique sur le concours individuel, vice-championne du monde aux barres asymétriques et donc, championne olympique sur ce même agrès. Comme Simone Biles, entourée des Français Laurent et Cécile Landi, la gymnaste a été suivie par ses coaches, Marc et Gina Chirilcenco. Pendant ce temps-là, la gymnastique française s'apprête à quitter Paris sans la moindre représentation en finales.

"Quel dommage de se priver de talents comme celui-ci, observait notre consultante Émilie Le Pennec, il y a quelques jours. Je pense qu'on devrait faire mieux. Il faut savoir se poser autour d'une table et discuter pour tenter de résoudre le problème sans en arriver à de telles situations. Peut-être que la parole de l'athlète aurait dû être mieux entendue. Heureusement que Kaylia avait la possibilité de prendre la nationalité algérienne pour concourir. Parce qu'elle réussit un super concours général." Et a offert un premier titre au continent africain, en gymnastique.