Jeux Olympiques | Paris 2024 | La pluie, ennemie de la Seine et menace d'annulation

Julien Pereira

Mis à jour 21/03/2024 à 17:33 GMT+1

Délaissée durant un siècle, la Seine doit accueillir les épreuves de nage marathon, de triathlon et de para-triathlon aux Jeux de Paris 2024. Pour la rendre plus saine et éviter le fiasco des épreuves tests, des travaux colossaux ont été entrepris. Mais l’hypothèse d’un été pluvieux fait encore peser une menace. Explication dans le 2e épisode de notre série consacrée à la baignade dans le fleuve.

La pluie, ennemie de la Seine et menace d'annulation

Crédit: Quentin Guichard

Envisager la Seine comme un bassin olympique équivalait, à l'époque, à se jeter à l'eau sans véritablement savoir nager. Il y a un peu moins de dix ans, lorsque la Mairie de Paris a déterminé son "plan d'action" pour s'offrir les Jeux Olympiques et Paralympiques, prévoir d'organiser les épreuves de nage marathon, de triathlon et de para-triathlon dans le fleuve parisien avait fait bondir tous ceux qui avaient eu vent de sa réputation. "C'est vrai qu'on change complètement d'approche par rapport à un cours d'eau qui a été délaissé d'un point de vue environnemental et bactériologique durant un siècle", nous glisse encore un acteur du dossier.
La Seine était effectivement interdite à la baignade depuis un arrêté datant de 1923 en raison, notamment, de sa forte concentration en escherichia coli et entérocoques, des bactéries fécales provenant des eaux usées rejetées dans le fleuve par temps de pluie, afin d'éviter le débordement des égouts dans la ville. 1,4 milliard d'euros ont été débloqués pour moderniser le réseau d'assainissement et rendre la Seine plus saine. L'arme fatale, en plus d'autres chantiers de grande ampleur lancés autour de la capitale, c'est un gigantesque bassin de rétention situé à Austerlitz.

Le bassin d'Austerlitz, l'arme fatale

"Il nous fallait un élément que Paris n'avait pas encore intra-muros pour éviter des rejets d'eaux usées entre le Pont et le futur site de baignade, c'est-à-dire entre Bercy et la Tour Eiffel, nous explique Samuel Colin-Canivez, responsable des grands travaux d'assainissement parisien. L'idée est simple à comprendre : il s'agit d'un ouvrage de stockage qui permet de mettre de l'eau usée de côté le temps que la pluie passe. Une fois que la pluie est passée, le réseau d'assainissement n'est plus saturé et on peut vider le bassin dans ce même réseau en le pompant. L'eau, au lieu d'être rejetée en Seine, va alors suivre son parcours classique pour être traitée en station d'épuration."
Au total, 44 mois de travaux et plus de 90 millions d'euros auront été nécessaires pour sortir de terre cet immense bassin d'une capacité de stockage d'environ 50.000m³, l'équivalent d'une vingtaine de piscines olympiques. C'est en partie sur lui que repose l'objectif de maintenir, comme prévu, les épreuves de triathlon (30, 31 juillet et 5 août), de natation marathon (8 et 9 août) et de para-triathlon (1 et 2 septembre) aux JO de Paris 2024.
Le bassin de rétention d'Austerlitz va jouer un rôle clé pour assainir la Seine
L'été dernier, plusieurs épreuves tests dans la Seine avaient tourné au fiasco. La manche de Coupe du monde de natation en eau libre avait été annulée, en raison d'une pollution de l'eau trop élevée après un important épisode pluvieux. Les épreuves de nage de para-triathlon et du relais mixte avaient également été supprimées alors que, cette fois-ci, la météo n'avait pas été un problème. Mais la Mairie de Paris avait évoqué un "dysfonctionnement d'une vanne" du réseau d'assainissement pour justifier la dégradation de l'eau. "Elle avait été déformée par une pompe de relevage et était indiquée comme fermée alors qu'elle laissait passer des eaux de mauvaise qualité dans la Seine", nous détaille-t-on.
Les triathlons féminin et masculin, eux, ont été disputés. Ce, alors que les seuils bactériologiques ne garantissaient pas une bonne qualité de l'eau, et qu'ils étaient d'ailleurs inconnus pour l'épreuve masculine en raison d'un problème de manipulation des analyses en laboratoire. Concrètement, les fédérations de natation et de triathlon fixent le seuil de concentration en bactérie escherichia coli à 1000 UFC (unité formant colonie) par 100 ml. Mais il s'agit de la limite à ne pas dépasser. Elles situent plutôt la barrière entre une eau de bonne qualité et une eau de qualité acceptable à 500 UFC/100 ml.
On n'atteindra jamais le risque zéro puisqu'il peut y avoir une pluie que l'on ne voit que tous les 100 ans
Dans un avis fourni par l'Agence Régionale de Santé le 23 juillet 2023, il est d'ailleurs rappelé que le Parlement européen fixe le plafond à 900 UFC/100 ml. Une analyse publiée par nos confrères de FranceInfo a démontré que la qualité de l'eau de la Seine à l'été 2023 était très loin d'être satisfaisante.
Interrogée à ce sujet, la Mairie de Paris se veut rassurante. Les problèmes de manipulation en laboratoire ? "On a mis en place un double processus, nous assure Pierre Rabadan, adjoint chargé des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques. Les prélèvements seront envoyés à deux laboratoires différents et seront donc manipulés par des personnes différentes. En cas de mauvaise manipulation d'une équipe, elle pourra être remplacée par la deuxième, qui confortera aussi les analyses afin de garantir qu'elles soient fournies en temps et en heure."
Le pont Alexandre III, lieu d'arrivée de la natation marathon, du triathlon et du para-triathlon aux JO de Paris 2024
Les vannes défectueuses ? "Ça fait partie du plan de résilience qu'on a mis en place, rassure l'ancien rugbyman. Les équipes de maintenance vont avoir une surveillance beaucoup plus fine du réseau souterrain, y compris humaine, pour pouvoir surveiller en temps réel un potentiel dysfonctionnement du réseau en allant directement dans les égouts. Ça permet d'avoir un contrôle visuel et qu'un potentiel dysfonctionnement soit résolu dans un temps quasiment immédiat."
Reste un paramètre incontrôlable : la pluie, qui avait mis à mal les épreuves de nage marathon l'été dernier. "On n'avait pas eu un tel épisode de pluie à période équivalente depuis 1965", rappelle l'adjoint d'Anne Hidalgo. "Tout l'objet du plan et des travaux qui ont été réalisés consiste à repousser la nécessité de déverser de l'eau dans la Seine sur les deux pluies les plus importantes de l'année, explique Samuel Colin-Canivez, responsable des grands travaux d'assainissement parisien. Pour repousser cette nécessité à la pluie la plus importante de l'année, il faudrait des efforts d'investissements énormes, simplement pour quelques jours de baignabilité en plus. Le jeu n'en vaudrait pas la chandelle, en sachant qu'on n'atteindra jamais le risque zéro puisqu'il peut y avoir une pluie que l'on ne voit que tous les 100 ou 1000 ans."

Les athlètes nageront dans la Seine... ou ne nageront pas

Les acteurs de ce plan refusent de penser à l'impensable. "L'épisode que l'on a vécu l'année dernière est tellement rare qu'il serait encore plus rare qu'on le vive deux années de suite, insiste Pierre Rabadan. Je ne suis pas expert en statistiques, mais ça me paraît plus probable que l'on organise une deuxième fois les Jeux dans les 20 prochaines années. Le bassin d'Austerlitz et les autres ouvrages en amont de Paris permettent d'être résolument optimiste dans un scénario qui n'est pas celui d'un ouragan qui déferle et apporte 15 jours de pluie...".
Voilà pourquoi depuis des mois, les organisateurs refusent de parler de plan B. Aux JO, on nagera dans la Seine. Ou on ne nagera pas. Pour réduire encore le risque, le comité d'organisation et les fédérations travaillent sur des jours de contingence qui permettrait de reporter les épreuves si la qualité de l'eau ne répond pas aux critères de baignabilité.
Le parcours de l'épreuve individuelle de triathlon aux Jeux Olympiques de Paris 2024 (Crédit image : Paris 2024)
Chez les athlètes, cette volonté de tout faire pour maintenir les épreuves dans le fleuve parisien - qui répond aussi à des impératifs de coûts et d'organisation - divise. "C'est une préoccupation, a glissé la Brésilienne Ana Marcela Cunha, championne olympique en titre de natation en eau libre, dans un entretien accordé à l'AFP. Il n'y a pas eu de test-event l'an dernier mais les organisateurs insistent à vouloir que les épreuves aient lieu là-bas. [...] Il faut un plan B au cas où il ne serait pas possible de nager."
"Je pense que le COJO se met vraiment la pression pour que tout se déroule comme prévu, nous souffle Dorian Coninx, champion du monde en titre de triathlon et grande chance de médaille française. Le contraire serait un fiasco pour eux." Pour cette discipline en particulier, le dernier recours pourrait être de supprimer l'épreuve de natation pour ne garder que le cyclisme et la course à pied. "Ce serait problématique que ça devienne un duathlon, estime le Français. On s'entraîne dur pour faire du triathlon et ça embêterait tout le monde, y compris les médaillés, d'être sur le podium d'un triathlon qui n'en est finalement pas un." Pour ces athlètes de très haut niveau, l'enjeu sportif prévaut largement sur tout le reste.
(Visuels : Quentin Guichard)
Retrouvez tous les épisodes de notre série consacrée aux épreuves et à la baignade dans la Seine :
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