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MMA - Comment concilier ramadan et MMA ?

Yohann Le Coz

Mis à jour 06/04/2023 à 19:25 GMT+2

MMA - Dans le MMA comme dans bien d'autres sports, les athlètes observant le mois du ramadan sont nombreux. Mais ce sport, avec ce qu'il réclame en termes de ressources physiques, est très difficile à concilier avec une période de jeûne strict. Certains tentent de s'adapter, beaucoup y renoncent, quelques-uns en souffrent. Plusieurs combattants ont partagé leur expérience pour Eurosport.

Dans son combat acharné contre Gilbert Burns, Khamzat Chimaev (à gauche) aurait respecté le jeûne du ramadan même le jour du combat.

Crédit: Getty Images

Dimanche 2 avril, contre Valladolid en championnat, Karim Benzema se présente sur le terrain à jeun. Depuis 12 jours, il respecte à la lettre le ramadan : il ne peut manger et boire qu'entre le coucher et le lever du soleil. Au coup d'envoi, il n'avait pas ingéré le moindre aliment ni bu une goutte d'eau depuis très tôt le matin. Trop peu pour l'empêcher de claquer un triplé en sept minutes. Et de passer de nouveau trois pions dans le clasico contre le Barça 3 jours plus tard. Une performance qui a excité les internautes, certains assurant que Benzema est bien meilleur quand il jeûne.
Une performance physique pareille est-elle transposable au MMA ? Jusqu'à il y a peu, Mohamad Baillot était certain que oui. Prévu en tant que premier combat de l'ARES 14 au dôme de Paris vendredi 7 avril, il a d'abord observé scrupuleusement les règles du jeûne que lui réclame sa religion. Et souhaitait continuer jusqu'au grand jour. Et puis : "Mon diététicien m'a conseillé de ne pas le faire, s'excuse presque le combattant. Il a côtoyé plusieurs athlètes qui ont essayé. Certains ont fait des malaises, d'autres ont eu des blessures… il m'a convaincu". Alors c'est décidé, durant sa dernière semaine de préparation, il s'alimente "normalement".
Dans le football, une variable d'ajustement existe. A mesure qu'on accumule de l'expérience, il est globalement possible de gérer ses efforts et choisir ses courses à haute intensité. Dans un octogone, la moindre baisse de régime peut s'avérer dangereuse. Littéralement. Mathieu Fassel est préparateur physique au MMA Factory, où est produite une bonne partie des meilleurs Français de la discipline. "Pour vulgariser, le MMA est un sport où on ne fait que du haut niveau et du bas niveau de cardio, détaille-t-il. Il y a des moments où on s'observe, puis des moments où on explose, on amène au sol, on envoie un combo de coups. C'est ce cardio fractionné de très haute intensité qui va poser problème en période de ramadan."
Au bout de trois, quatre minutes, mes muscles tétanisaient…
Alors quelles solutions ? Pour les longues semaines de préparation, on peut s'adapter. D'abord en calant les différentes séances d'entraînement du jour sur les horaires de rupture du jeûne. "Ensuite, on va être sur une période de maintien plus que de développement des qualités physiques, expose Mathieu Fassel. Car les athlètes n'ont pas l'énergie et l'hydratation nécessaires. On évite de les emmener dans la zone rouge".
Et plutôt que prendre le risque de frustrer ses combattants et leur faire ressentir leurs limites physiques, le préparateur préfère "favoriser un travail technique ou tactique, avec des mouvements spécifiques au combat. Et un travail de fond sur un cardio long mais peu intense. Avec des footings par exemple". Avec une planification du travail, limiter la casse pendant la préparation est donc possible. Mohamad Baillot s'est d'ailleurs organisé en conséquence : "Pendant les premiers jours (du ramadan), j'étais encore grave en forme. (...) J'en profitais pour faire mon travail de cardio fractionné".
Reste que quand la porte de la cage se referme derrière vous, une prépa millimétrée ne garantit pas un combat à plein régime jusqu'au gong. Amin Ayoub en a fait les frais. Combattant de MMA expérimenté, il s'était engagé dans un match de grappling (combat au sol sans frappe, utilisant uniquement des techniques de soumission) le 31 mars dernier. Pour ce faire, il a tenu à respecter le ramadan de bout en bout. Malgré une petite hésitation quand son manager l'a appelé pour lui proposer le duel.
Pas peu fier de "faire de la compétition en période de jeûne", il a tout de même souffert. "Tu perds énormément en compétences, rapporte l'ancien champion du BRAVE. Au bout de trois/quatre minutes dans la cage je sentais mes muscles se tétaniser, mon cardio n'était pas pareil… un vrai manque d'hydratation". Passé la première moitié du combat, la différence est flagrante. Amin Ayoub est moins précis dans ses mouvements et ses attaques sont moins tranchantes. Il résiste tout de même jusqu'au bout et aucun des deux hommes ne parvient à soumettre l'autre, l'opposition termine sur un match nul. "Si c’était un combat de MMA complet, je ne l’aurais pas fait, confie Ayoub. Il y a les coups portés, la plus grosse préparation… j’aurais préféré reporter".

Perte de poids, prise de risques

Car la défaite n'est pas le seul risque. Dans le MMA, et dans les sports de combat en général, le premier adversaire des combattants est la balance. Aujourd'hui, l'immense majorité des meilleurs professionnels réalisent ce qu'on appelle un "weight cutting". A quelques semaines du combat, ils sont encore beaucoup plus lourds que ce que leur catégorie de poids leur impose. "Au début de ma prépa j'étais à 82 kilos, je combats à 70 kilos", commente Mohamad Baillot.
Le secret réside dans un régime étalé sur plusieurs semaines pour étirer la perte de poids et ne pas risquer la fonte musculaire. Puis, la veille de la pesée, Baillot entame "un cutting de 5 kilos". Soit une lourde déshydratation via une sudation extrême pour atteindre les 70 kilos à l'heure h. Puis tout reprendre grâce à une réhydratation express pendant les 24h précédant le combat. Le but ? Être le plus lourd possible au moment d'enfiler les mitaines. Ne pas passer par ce processus serait s'infliger un lourd handicap puisque l'adversaire l'aura fait, à coup sûr.
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Khabib Nurmagomedov, un des plus champions de l'histoire de l'UFC, connu pour ses grandes pertes de poids, a frôlé la mort lors d'un weight cutting.

Crédit: Getty Images

La déshydratation par laquelle passent les professionnels de la bagarre présente de réels risques pour la santé. S'infliger de tels sévices sans pouvoir se réhydrater dans les heures post-pesée relève du danger pur et simple. C'est ce qu'a souhaité éviter Baillot. "Je ne vais pas me mentir à moi-même, je ne suis pas un surhumain… souffle-t-il. En état de jeûne, on ne peut pas récupérer le poids".

L'un "perd énormément", l'autre ne "perd plus"

Surtout qu'il n'y a pas de règle générale en termes de réaction physiologique au jeûne combiné au régime. Quand Mohamad Baillot "perd énormément de poids" au risque d'arriver trop léger à la pesée, Amin Ayoub observe son organisme "se mettre en sécurité". Le natif de Nantes n'a pas vécu son régime au mieux : "Franchement c’était horrible. (...) Je n'avais pas assez de calories alors mon corps ne voulait plus perdre".
Pourtant, avec plus de 20 combats professionnels aux quatre coins du monde, Ayoub se connaît par cœur : "C'est la première fois que je fais un combat pendant le ramadan de toute ma carrière. Je connais mon poids. Avant les combats, je sais comment il va descendre, de combien et pourquoi. Là, ça n'avait rien à voir". D'autant plus difficile qu'il n'a été prévenu de la date du combat que 10 jours avant. Si bien qu'il a raté la pesée de près de… trois kilos. Après quoi, tout aurait pu être annulé et la tenue du combat ne tenait qu'au bon vouloir de son adversaire.
Perdre un fight, beaucoup de poids, voire une partie de son capital santé dans un combat où l'on est surdominé physiquement… Pour la majorité des combattants musulmans, la balance bénéfices-risques les amène à refuser d'entrer dans l'arène sans la pleine possession de leurs moyens. Entre la préservation capitale d'un bon bilan victoires-défaites, et la peur de perdre inhérente à la fierté de ceux qui pratiquent l'art du combat, le calcul est souvent vite fait.
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