Jeux Olympiques Los Angeles 2028 | Clarisse Agbegnenou, Élodie Clouvel, le très haut niveau et la maternité : "On devient indestructible"
Mis à jour 22/12/2025 à 12:52 GMT+1
Elles ont donné la vie en pleine olympiade. Clarisse Agbegnenou, devenue maman en 2022 et enceinte de son deuxième enfant, et Élodie Clouvel, qui vit ses premiers mois de maternité, ont noué une vraie amitié. Aux Étoiles du Sport, nous les avons interrogées sur les bouleversements de l'arrivée d'un bébé dans une carrière de sportive de très haut niveau.
"Même ma famille m'a dit : 'fais ton enfant après ta carrière sinon tu ne vas jamais revenir'"
Video credit: Eurosport
Elles étaient des exemples de résilience, elles sont des modèles de vie. Aux Étoiles du Sport, nous avons réuni Clarisse Agbegnenou, enceinte de son deuxième enfant après avoir donné naissance à une petite fille en 2022, et Élodie Clouvel, jeune maman.
Grandes figures de leur discipline, la judokate et la pentathlonienne, par ailleurs très proches, nous racontent comment l'expérience de l'une a aidé l'autre, et tout ce que l'arrivée d'un enfant entraîne dans la vie d'une athlète de haut niveau : les injonctions sociales, les doutes, la gestion du corps, la découverte d'une nouvelle force mentale et les changements de perception.
Élodie Clouvel, vous vivez vos premiers mois de maternité. Clarisse Agbegnenou, vous êtes enceinte de votre deuxième enfant. Notre première question est donc évidente : comment allez-vous ?
Élodie Clouvel : Ça va ! Les premiers mois après l'accouchement ont été intenses. C'est un nouveau rythme, une nouvelle organisation. D'ailleurs, Clarisse m'avait prévenue en me disant : "ce ne sera plus jamais comme avant, il faut que tu te le dises. C'est une nouvelle vie qui commence." J'apprivoise donc cette nouvelle vie. Ce n'est que du bonheur même si je suis encore "en rodage".
Clarisse Agbegnenou : Le plus difficile, c'est de revenir à la performance. Lors de ma première grossesse, j'ai appris à lâcher prise. C'est pour ça que j'avais dit ça à Élodie. On ne peut plus chercher à être la même personne, on va se redécouvrir et trouver une nouvelle force. Chercher à redevenir celle que l'on était avant peut mener à l'échec, la difficulté, le questionnement, les pleurs. Il faut trouver quelque chose de totalement différent, réussir à l'apprivoiser et l'utiliser. Dès qu’Élodie va trouver ça, elle va tout déboîter.
C'est ce que vous aviez trouvé après la naissance d'Athéna ?
C. A. : Je me suis vue plus forte, en tout cas mentalement. Ça m'a permis d'aller chercher des choses que je ne pouvais pas atteindre. On se dit qu'on est fatiguée, on n'en peut plus. Mais nous, les femmes, avons d'immenses ressources. Si on arrive à les mobiliser, à les encadrer, on décroche la Lune.
Élodie, on vous a vue vous entraîner quelques jours avant votre accouchement. Et vous, Clarisse, vous continuez à suivre un programme très soutenu, après plusieurs mois de grossesse. Est-ce un enjeu physique ? Ou plutôt psychologique ?
E. C. : J'ai besoin de rester en mouvement, quoiqu'il arrive. Être dans l'action pour me sentir bien. On a longtemps dit que les femmes "attendaient" un enfant. Moi, je n'avais pas envie d'être dans l'attente et ne rien faire. Avoir eu une activité physique durant ma grossesse m'a permis de me sentir bien dans ma tête et dans mon corps. C'est grâce au sport que je me sens bien. Je n'ai pas fait ça pour la performance. Durant neuf mois, j'ai pris le temps de ralentir, de découvrir de nouvelles sensations dans mon corps. J'ai eu la chance d'être extrêmement bien encadrée à l'INSEP : l'ambiance est top dans la cellule maternité. On a fait des séances ensemble avec Clarisse. Ça s'est super bien passé. Et c'était important pour moi. Ça nous a soudées. Si j'avais un doute, des questionnements, je pouvais en parler à Clarisse ou à Anne-Laure, notre préparatrice physique, qui m'a beaucoup aidée. Ça m'a fait progresser. Je ne pensais pas avoir le niveau que j'ai eu quand j'ai repris. Je pensais repartir de zéro. Mais ce n'était pas le cas, même si j'avais un nouveau corps. Continuer ma carrière est un vrai challenge. J'ai envie de le faire, pour ma fille, comme Clarisse l'a fait avec Athéna.
C. A. : Cette grossesse est différente de ma première, car je n'avais pas cette cellule. Je m'étais quand même entraînée jusqu'à deux jours avant l'accouchement mais c'était beaucoup moins intense. Je me suis entraînée pour moi, juste pour me sentir bien. C'est bête à dire, mais quand je faisais du sport, je n'avais pas mal à la tête, j'avais moins de maux de grossesse. Là, je suis un peu plus dans la performance. Je vais chercher des choses un peu plus loin grâce aux connaissances d'Anne-Laure. Quand on voit d'autres femmes enceintes qui continuent à s'engager, ça crée une petite équipe et une compétition. Ça donne énormément de force.
Vous avez toutes les deux évoqué les changements du corps. À quel point est-ce difficile de retrouver ses capacités physiques ?
E. C. : J'ai trouvé cela difficile. Notre corps a porté la vie pendant neuf mois, puis il y a eu l'accouchement, puis l'adaptation. Mais Clarisse a raison quand elle dit que le corps est capable de choses incroyables. Il y a des moments où j'ai douté. Les femmes qui avaient déjà vécu cette expérience, comme Clarisse, m'ont beaucoup rassurée quand j'ai eu l'impression que mon niveau était retombé à zéro. Il suffit d'un œil extérieur, d'une personne qui te dise : "tu ne te rends pas compte, il y a des femmes fortes qui n'arrivent pas à faire ce que tu fais." C'était normal : mon corps était au sommet de son art au moment où je suis tombée enceinte. Mais ça m'a permis d'apprendre des choses qui, je pense, n'ont pas de prix dans la construction de mon parcours jusqu'à Los Angeles.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2025/12/21/image-e6f56df5-87d0-4aff-b114-d2f881f405d6-85-2560-1440.jpeg)
"Combien de fois j'ai pleuré" : Agbegnenou et Clouvel racontent la reprise après l'accouchement
Video credit: Eurosport
C. A. : C'est dur. Car on ne connait pas notre corps sans abdos, sans force. C'est un changement du tout au tout. Mais c'est difficile aussi par rapport au regard sur soi-même : on s'est vue à notre apogée et après la grossesse, tout change. On se croit nulle. Combien de fois me suis-je dit : "je ne reviendrai jamais" ? Il y a des stages où j'ai tellement pleuré… Toutes ces préparations physiques où l'on te parle du muscle transverse, du périnée… Ce sont des muscles qui sont tellement profonds, si difficiles à travailler. Il faut passer ce cap, c'est un choc. Ça prend une bonne année mais après, on devient indestructible. Je ne serai plus jamais la Clarisse de Tokyo, avec cette force physique-là. Mais je gagne avec d'autres armes.
Élodie, au moment où vous aviez annoncé que vous étiez enceinte, vous aviez dit : "on a voulu me faire croire qu'il fallait choisir [entre avoir un enfant ou être sportive de haut niveau, NDLR]. Pourquoi aviez-vous ressenti cela ?
E. C. : Notre sport est un milieu très masculin. La première fois que je suis tombée enceinte après les Jeux de Tokyo, je n'avais affaire qu'à des hommes. Je me suis sentie un peu seule, dans le sens où ils ne comprenaient pas ce que je vivais. Je trouve qu'il y a un manque d'éducation autour de la maternité chez des coaches masculins. Ils ne comprennent pas tout ce qui est hormonal, les fluctuations, etc. Même cette envie d'avoir un enfant pouvait faire peur. Ils se disent : "elle ne va pas réussir à revenir". Je pense que c'est un héritage d'un autre temps, avec des personnes d'une autre génération. Il y a des moments où je ne me suis pas sentie comprise là-dessus. Grâce à des athlètes comme Clarisse, qui est un modèle incroyable, la parole se libère. Les mentalités changent. En début d'année, j'ai pu avoir un planning de reprise spécial. Ça n'existait pas auparavant.
C. A. : Élodie est dans un milieu d'hommes. Mais je peux vous dire que ça concerne aussi des femmes. Nous, on a eu des entraîneuses qui avaient eu des enfants après leur carrière. Donc pour elles, c'était impossible d'en avoir pendant. Même des membres de ma famille m'avaient dit : "fais ton enfant après ta carrière, tu ne vas jamais revenir." En réalité, c'est toute la société qui est comme ça. On mène deux batailles : celle contre nous-même, pour revenir à la compétition, et celle contre les préjugés. Je me suis beaucoup plus battue contre la Fédé et beaucoup de personnes que contre mon après-grossesse. Si j'avais mis toute l'énergie perdue dans ce premier combat pour pouvoir faire correctement mes Jeux à Paris, j'aurais été beaucoup plus forte.
Tout cela touche à une vraie question de société : aujourd'hui, de nombreuses personnes craignent que l'arrivée d'un enfant affecte leur vie professionnelle. Ce à quoi beaucoup de jeunes parents répondent qu'un bébé change complètement la vision de la vie, et même le rapport au travail. Est-ce aussi vrai dans le sport de très haut niveau ? La parentalité permet-elle de relativiser un échec, par exemple ?
C. A. : Quand on a un enfant, on n'est plus seule. Après la naissance d'Athéna, je n'avais plus de stress quand j'arrivais en compétition. Mon stress, c'était de faire en sorte qu'elle soit en bonne santé, que je puisse bien la nourrir. À partir du moment où on est heureux, en accord avec ce choix-là, on a beaucoup plus d'énergie et un détachement. Les gens peuvent te faire chier, tu t'en fiches. Parce que tu as un enfant en bonne santé. C'est de la joie, de l'énergie. C'est un moteur.
E. C. : Je pense que tu peux même te sentir mieux au travail. Car les futilités qui te prenaient encore la tête quand tu rentrais chez toi vont disparaître. Car là, tu penses tellement à ton enfant que ta priorité redevient ta vie, ta famille. Comme le dit Clarisse, ça permet de "dézoomer" en quelque sorte. De prendre du recul.
C. A. : En revanche, tu seras fatiguée ! [Rires]
E. C. : Oui, K.-O. Avec des cernes ! [Rires].
Quel est votre degré de confiance pour les Jeux Olympiques de Los Angeles 2028 ?
E. C. : J'y vais étape par étape, car il y a une nouvelle discipline dans mon sport. J'ai donc encore beaucoup de travail à faire pour revenir à mon meilleur niveau. J'y vais en mode "challenge". Je vais tout faire pour y être.
C. A. : J'attends l'accouchement. Le point de départ, c'est d'avoir un enfant en bonne santé. Avant cela, je ne peux rien dire. Mais vu comment je me sens, si mon bébé va bien, j'irai décrocher la Lune.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2025/12/14/image-e4ebb8d5-4ca6-4b7e-bcff-c0f918eda8d6-85-2560-1440.jpeg)
Agbegnenou, Clouvel, le très haut niveau et la maternité : "On devient indestructible"
Crédit: Quentin Guichard
Sur le même sujet
Publicité
Publicité