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"Le jeu, c'est d'accepter les blessures, pas de mourir"

François-Xavier Rallet

Mis à jour 15/11/2017 à 18:21 GMT+1

Le décès tragique du descendeur français David Poisson, survenu lundi, a rappelé à quel point le ski était un sport dangereux. Ces as de la vitesse vivent, par nature, avec le risque au-dessus de leur tête. Une épée de Damoclès qui en fait des athlètes forcément pas comme les autres.

Dominik Paris lors de la descente à Kitzbühel le 21 janvier 2017

Crédit: AFP

Dans la liste des skieurs disparus dans l'exercice de leur passion, le nom de David Poisson a succédé à celui de Régine Cavagnoud. Seize ans après le drame survenu sur le glacier autrichien de Pitztal, le sort s'acharne à nouveau sur le camp tricolore. Comme si ces évènements tragiques avaient besoin de rappeler, à ceux qui l'avaient peut-être oublié, que le ski alpin n'est pas un sport comme les autres. Une discipline où il faut vivre avec le risque.
Oui, le ski alpin est un sport dangereux. Même si, comme le souligne avec justesse notre confrère Jean-Pierre Bidet dans L'Equipe, il est "pratiqué dans les conditions les plus rigoureuses". Nous ajouterons en course, beaucoup moins lors des entraînements et des stages. Des écueils que les skieurs prennent en compte, forcément. Faits d'un bois rare, ils en acceptent aussi les conséquences. Ils n'ont pas le choix, à vrai dire. "On sait qu'on pratique un sport à risques, nous explique Blaise Giezendanner, membre du groupe vitesse tricolore. On accepte de se péter un genou, on accepte de se prendre des filets. La blessure fait partie du jeu. On l'a vu en début d'année avec Valentin (Giraud-Moine) qui a vécu un truc horrible (luxation des deux genoux). On se dit que c'est le jeu."
Mais pour Giezendanner, victime d'une rupture partielle du ligament croisé antérieur et d'une lésion du ligament latéral interne du genou droit au mois de septembre, "le jeu, ce n'est pas de mourir. A aucun moment, nous, les descendeurs, on se dit : 'ce matin, je vais peut-être mourir'." Cette peur d'y laisser sa peau, très peu osent en parler, mais beaucoup y pensent selon Luc Alphand, dernier Tricolore à avoir arraché le gros globe de cristal, en 1997 : "La peur. Ce mot est tabou dans notre sport. Pourtant, chaque coureur a des périodes où il est moins bien physiquement et où il ressent de la peur. Ces périodes, c'est au skieur de les gérer. Il faut prendre sur soi. C'est un sacré travail mental."
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Blaise Giezendanner

Crédit: Getty Images

C'est ce qui nous fait nous sentir vivants
Ce goût du danger, le descendeur l'apprivoise. Il vit avec constamment. Un sacerdoce en quelque sorte. "Le risque, c'est ce qu'on aime dans ce métier, estime Pierre-Emmanuel Dalcin. C'est ce qui - pardonnez-moi l'expression - nous fait bander. Se retrouver face à soi-même, face à ses angoisses les plus profondes, ça nous apprend beaucoup sur nous. On sait qu'on joue notre santé à chaque départ en vitesse. Mais c'est ce qui nous fait nous sentir vivants. Quand on passe les bâtons derrière le portillon, c'est en connaissance de cause."
En revanche, ne parlez surtout pas de mort à ces as de la vitesse : "Ce mot, on ne l'utilise jamais entre nous. Mais ça reste toujours dans un coin de notre tête. Je me rappelle d'un stage au Chili. Il y avait des blocs de glace monstrueux sur la piste. On s'élançait à 120-130 à l'heure sur un chemin qui faisait trois mètres de large. On savait que si on sortait à cet endroit-là, c'était terminé. Entre nous, on se disait : 'il ne faut pas sortir'. Mais sans jamais évoquer l'expression ‘sinon t'es mort’. Après, si tu refuses le combat, tu dois faire autre chose." Alphand acquiesce : "Si à chaque fois, tu penses au pire dans un portillon de départ, il ne faut pas courir. Il ne faut pas faire de descente en tout cas. Si ce feu sacré disparaît, autant raccrocher."
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Dalcin

Crédit: AFP

On est en slip quand on s'élance
Dans le ski, il est souvent question de courage. Plus que dans n'importe quel autre sport d'ailleurs. Grimper à nouveau sur le cheval après en être tombé n'est pas chose aisée. "C'est le plus difficile, estime Dalcin. Chuter à ski est traumatisant. Ce n'est pas comme se taper un orteil au bout de son lit. Ça fait mal." Remonter en selle et, de facto, reprendre des risques demande encore plus d'abnégation. "Il faut aller chercher loin en toi les ressources et la force mentale nécessaires pour y retourner. C'est une sacrée leçon de vie, d'humilité, de patience et de persévérance", juge Dalcin.
Face aux éléments, lancé à toute vitesse dans la pente, le skieur n'est finalement pas grand-chose. Outre les protections passives que sont les filets (A et B), présents uniquement lors des courses, il ne jouit d'aucune assistance digne de ce nom : un casque, "qui a bien évolué depuis quelques années heureusement", pour Antoine Dénériaz, une protection dorsale et parfois un airbag. "Soyons honnête : on est en slip quand on s'élance, estime Dalcin. Notre combinaison fait un micron d'épaisseur. On a un sous-pull, un collant de ski, on prend le départ avec des skis de plus de deux mètres et en avant la musique. Quand on voit ce qu'ils portent en moto, ce n'est pas pareil."
Et pourtant, les drames sont heureusement rares. Depuis 1994 et le décès de l'Autrichienne Ulrike Maier à Garmisch, en course, on ne compte que deux morts accidentelles : Régine Cavagnoud et David Poisson. "Quand on voit les risques encourus, c'est peu finalement, juge Masnada. Il pourrait y avoir beaucoup plus d'accidents. Un skieur, c'est finalement un pilote de Formule 1 mais sans la voiture pour le protéger", compare-t-elle. "Ce qui est terrible, c'est que, comme pour Ayrton Senna, David Poisson était sûrement le plus heureux des hommes une ou deux secondes avant sa sortie de piste, conclut Alphand. Il aura vécu sa passion jusqu'au bout. Jusqu'à la mort." Le mot est prononcé.
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