JO Pékin 2022 - "Je m’attendais à de la neige comme en Corée…" : Le ski alpin face au défi de Jeux sans repère

JEUX OLYMPIQUES - La descente hommes va donner le coup d'envoi du ski alpin aux JO de Pékin 2022, dans la nuit de samedi à dimanche. Des Jeux frappés du sceau de l'inconnu. Les skieurs n'ont pas pu reconnaître les pistes mises en place à Yanqing, pas plus que leurs techniciens n'ont pu y analyser les conditions de glisse. Acteurs des compétitions et consultants vous présentent cette problématique.

Yanqing, en Chine : la vue du départ de la descente des JO de Pékin 2022

Crédit: Getty Images

Une inconnue de taille dans une équation déjà complexe. Lors des Jeux Olympiques de Pékin (4-20 février 2022), les épreuves de ski alpin vont se dérouler au sein du district de Yanqing, sur des pistes inédites. La crise sanitaire a conduit à l’absence de course préolympique et le cirque blanc débarque ainsi en Chine pétri d’incertitudes.
Michel Vion, secrétaire général de la fédération internationale (FIS) était encore dans le flou à deux semaines de l’événement, comme il nous le confiait à Kitzbühel : "Je n’ai pas visité les pistes. C’est un peu l’aventure. On a une quinzaine de personnes sur place pour que les pistes, le tracé, la dureté de la neige correspondent aux attentes (…) pour voir si tout est en place, en termes de sécurité".
Skieurs et techniciens ont dû prendre des repères à distance. "On a reçu quelques vidéos cet été, il y a sur place les Chinois qui s'entraînent et ont échangé avec les Autrichiens. On sait que la piste de technique est plutôt raide, la piste de vitesse l'est moins et tourne beaucoup, c'est assez vallonné", détaille Fabien Munier, entraîneur d’Alexis Pinturault, dans des propos rapportés par l’AFP.
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Video credit: Eurosport

Rien ne remplace les sensations, "l’essence du ski"

Une reconnaissance de fortune qui représente un bien maigre moyen de se mettre dans le bain, d’après notre consultante Florence Masnada : "L’essence du ski, ce sont les sensations sur la neige, comment tu vas sentir ton ski qui va ancrer dans la courbe, l’accélération… tout cela est irremplaçable." A la place des participants, elle aurait procédé de la même façon, faute de mieux, mais "l’avantage est minime" selon elle.
"Les skieurs travaillent beaucoup avec la visualisation, mais quand on fait de la visualisation, on y associe nos sensations physiques, insiste la double médaillée de bronze olympique (combiné en 1992, descente en 1998). Cela va presque jusqu’aux odeurs. On essaie de coupler ça avec des sensations kinesthésiques." Il a donc fallu faire sans, cette fois.

Un "inconnu excitant" pour Worley, un grand souvenir pour Crétier

En marge de l’annonce de son statut de porte-drapeau, Tessa Worley nous avait délivré son sentiment à ce sujet, à dix jours des Jeux. Tout n’est pas négatif dans cette situation particulière, selon elle : "Ce sont des images, que l’on peut voir, des personnes déjà là-bas qui peuvent nous faire des retours… Cela reste l’inconnu. Mais c’est un inconnu excitant, qui donne envie d’aller expérimenter tout cela."
En 1998 à Nagano, Jean-Luc Crétier avait vécu son jour de gloire dans un contexte similaire. "J'avais un très bon feeling dès les premiers entraînements (…) C'était une belle piste. On la découvrait tous. Il n'y avait pas pu y avoir de course préolympique à cause d'une polémique. L'endroit où se trouvait la piste est une montagne sacrée"¸ se remémore le champion olympique de descente.
Gauthier de Tessières, qui s’apprête à vous faire vivre les Jeux en tant que consultant sur nos antennes, estime que Crétier a réalisé un "coup de génie" ce jour-là, après de nombreux reports de l’épreuve en raison des conditions atmosphériques : "C’était impossible d’anticiper la vitesse à laquelle ils allaient arriver, la qualité de la neige, le climat… c’était complètement fou (…) Grandiose."
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"Billard" et neige artificielle surprenante

24 ans plus tard, c’est le Covid qui a repoussé l’heure des expérimentations. Il faut rattraper ce temps perdu, en termes d’appréhension des différentes composantes des pistes. Sébastien Auer, technicien de Johan Clarey pour Head, ne chôme pas depuis son arrivée en Chine le 29 janvier : "On doit s’adapter à des choses que l’on ne connaît pas trop. On va devoir trouver le bon fart, le bon produit qu’on met après le fartage pour accélérer le ski."
Il nous a livré ses premières observations mercredi : "Je m’attendais à de la neige comme en Corée il y a quatre ans (lors des JO 2018 à Pyeongchang, NDLR), étant donné qu’il fait froid et que c’est de la neige artificielle. Mais c’est encore différent." Auer développe : "La neige artificielle est souvent ‘agressive’, comme en Amérique du Nord par exemple. Mais ici, ils ont mélangé avec de l’eau, c’est moins agressif." Quant à la piste de descente que Clarey and co. vont dévaler, "c’est un billard" d’après lui.
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Des surprises en vue

Un skieur peut se sentir imprégné d’une piste, en échec sur une autre etc. En tant que technicien, le degré de symbiose ou de répulsion n'est pas du même acabit, mais la maîtrise ou découverte d’un lieu reste un paramètre à ne pas négliger. "J’ai un petit livre où je note, depuis des années, ce que j’ai farté, avec les conditions, les températures de neige etc. (…) Ici, on n’a pas de repère", raconte celui qui pourrait jouer un rôle important dans les Jeux du récent 2e sur la Streif.
"Les marques de ski ont l’habitude de faire des tests de glisse, d’accroche, pour les différents modèles. Là, elles n’ont pas pu le faire. Il peut y avoir de grosses surprises, de grosses différences au niveau du matériel, estime Masnada. On ne va pas dire que c’est aléatoire, mais… bien malin celui qui va dire qui va dominer, ou pas. Les premières courses vont vraiment donner le ton." La première, ce sera dans la nuit de samedi à dimanche (4h, heure française), avec la descente hommes.
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Un lieu inadapté pour multiplier les tests

Pour Sébastien Auer, apprivoiser le revêtement sera décisif. Il doit faire le bon choix dans l'affûtage des carres. "Souvent, quand c’est un peu agressif on essaie de moins affûter, pour laisser le ski un peu plus libre (…) On va devoir trouver le bon compromis parce qu’une ou deux portes sont bien glacées, expose-t-il. On choisira après la reconnaissance si je mets un petit coup de gomme pour ‘désaffuter’. L’inverse n’est pas possible."
La problématique n’est pas seulement temporelle. Elle est aussi spatiale. "Ce qui est très bloquant, ajoute Gauthier de Tessières, c’est qu’il n’y a rien d’adapté pour mettre en place des cellules de test." C’est l’inconvénient de monter une station pour un événement : "Il n’y a pas de piste, d’endroit pour faire des tests en ligne droite (…) Il n’y a que les sites de compétition, avec les pistes de course et une ou deux pistes d’entraînement."
Médaillé d’argent surprise lors des Mondiaux 2013, en super-G, De Tessières avait pu compter sur un travail collectif, dans un environnement propice à Schladming : "Je suis arrivé au dernier moment sur le site, ma marque de ski et Seb [Sébastien Auer] ont pris tous mes skis, les ont testés une fois, deux fois, trois etc. sur trois journées." Résultat : "J’avais la chance d’avoir une paire extrêmement rapideet j’étais beaucoup plus en confiance."
Les trois descentes d’entraînement (jeudi, vendredi, samedi, NDLR) sont d’autant plus cruciales pour le choix du matériel. Auer pose le problème : "Sur la paire fétiche de Yo [Clarey], qu’il avait à Kitzbühel, les carres commencent à être fines (…) Plus les carres sont fines, plus la semelle risque de cramer le long de la carre, sur ces neiges-là, quand c’est très froid." Et il envisage la solution : "Sur un des trois entraînements je vais mettre une paire avec des carres fines, je vais la sacrifier, pour voir si ça crame ou pas."
Jeudi, les premiers essayages ont été, semble-t-il, concluants pour Clarey, 5e de l'entraînement et très positif sur ce "Rock" de Yanqing. "Elle est plus facile que ce que je pensais. Elle est super agréable, toute au soleil, ce n'est pas souvent qu'on a ça sur la Coupe du monde. Elle est plutôt intéressante, j'ai trouvé ça fun. La piste va s'accélérer de jour en jour."
Les descendeurs vont lancer les hostilités et lever quelques interrogations… mais ils n’ont pas l’apanage d’une compétition très ouverte, d’après notre expert. "On aura des surprises partout, sur toutes les disciplines. Il n’y a pas de doute là-dessus, prévoit Gauthier de Tessières. La plus grande incertitude sur le podium, ce sera le super-G (mardi pour les hommes, vendredi pour les femmes, NDLR). Sur une piste nouvelle, jamais faite, avec juste une reconnaissance : il peut se passer des trucs dingues." Johan Clarey abonde, non sans nuancer vis-à-vis de la concurrence : "Ça va être très serré, beaucoup de monde va pouvoir jouer devant, la piste n'est pas très sélective au final. Elle est bien faite, bien pensée, mais pas très difficile (...) Mais les meilleurs seront devant je vous rassure. Kilde, Odermatt, il va falloir aller les battre."
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