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COUPE DU MONDE - Zermatt-Cervinia, un fiasco sportif et environnemental

Maxime Ducher

Mis à jour 20/11/2023 à 08:39 GMT+1

En deux saisons, le site italo-suisse de Zermatt-Cervinia était censé accueillir huit descentes de Coupe du monde. Dimanche, la dernière au programme a été annulée en raison des conditions météorologiques, à l’instar des sept précédentes. Plusieurs skieurs demandent aujourd’hui un changement de calendrier, tandis que certains abus environnementaux ont été mis au jour.

Alpine Skiing: Zermatt-Cervinia cancellation or the impossibility to hold a World Cup event

Crédit: Eurosport

Deux saisons, huit manches prévues et un zéro pointé au bilan global. Dimanche, la deuxième descente femmes qui aurait dû se tenir sur le site italo-suisse de Zermatt-Cervinia a été annulée par la Fédération internationale de ski (FIS) "en raison des fortes rafales de vent", selon une porte-parole de la FIS sur Telegram. Un nouveau revers qui, après les annulations des deux descentes hommes puis des deux descentes femmes en 2022 et en 2023, a donc coûté huit courses aux adeptes de la grande vitesse sur un site qui se promettait novateur et rayonnant.
Perché à près de 3 800m d’altitude au cœur des Alpes italo-suisses, le glacier de Zermatt-Cervinia avait été choisi la saison dernière pour devenir la première étape transfrontalière de l'histoire du circuit mondial et créer une "ouverture de la vitesse". Mais en raison du manque de neige en 2022, puis de l’excès de neige et de vents trop forts en 2023, aucune course n’a pu se tenir.
"C’est un zéro pointé, il n’y a pas eu une image de ski, déplore Jean-Pierre Vidal, champion olympique de slalom à Salt Lake City en 2002, et désormais consultant sur Eurosport. Faire une descente à plus de 3 000 mètres, ça augmente les risques. C’est comme lorsque vous êtes en voiture sur l’autoroute. A 120 km/h, ça va. Plus vous allez vite, plus c’est risqué."
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"Il n'y a rien qui va" : Clarey inquiet pour l'avenir du ski après le fiasco Zermatt-Cervinia

"Est-ce que Zermatt-Cervinia était une bonne idée pour commencer cette saison de descente ? Moi j’ai mon idée, assure de son côté le vice-champion olympique de descente Johan Clarey, néo-retraité et désormais consultant pour Eurosport. J’ai mon idée depuis deux ans déjà. Ce qu’il s’est passé ce week-end (après l’annulation des descentes hommes, ndlr) était prévisible. Organiser des courses à plus de 3 000m d’altitude au mois de novembre dans une zone glacière, forcément ça augmente fortement le risque d’annulation. Je crois qu’on a vu les limites de cette course."
"Il n’y a vraiment rien qui va, il faut dire les choses comme elles sont", reprend Clarey. D’après notre consultant, la situation géographique du site pose d’autres problèmes d’un point de vue organisationnel. Une manche disputée dans deux pays distincts implique forcément deux visions différentes. "Ça complique la préparation de la piste, les athlètes sont logés à plus d’une heure du site de compétition… Tout ça ajoute des problèmes au problème", conclut-il.

Décaler le calendrier ?

Alexis Pinturault, qui avait décidé de ne pas prendre part à cette étape de Coupe du monde, déclarait, lui, en début de saison au journal suisse 20 minutes : "Cette compétition, surtout à ce moment-là de l’année, n’a pas de sens. L’épreuve n’est pas dans l’air du temps. Ça choque tout le monde." Comme le vainqueur du Gros globe 2021, plusieurs skieurs militent en effet pour débuter la Coupe du monde plus tard dans l’année et la faire se conclure au printemps.
"D'après ce qu'on a pu voir sur les dernières années, les saisons se décalent de plus en plus, observe le descendeur Adrien Théaux pour franceinfo. Généralement, il n'y a pas trop de neige à cette époque et il y en a énormément en fin de saison. Je suis pour décaler un petit peu le calendrier. Organiser des courses à haute altitude à cette période [de fin octobre à mi-novembre], c’est très compliqué. [Si le calendrier est décalé et que la Coupe du monde se termine plus tard], les conditions seront meilleures. Organiser des courses à cette période-là, c'est aussi montrer aux gens que venir au ski au mois d'avril, voire début mai, c'est bénéficier de conditions assez exceptionnelles."
Notre sport fait partie des plus touchés par le réchauffement climatique et, au lieu de changer notre système, de s’adapter, on fait tout le contraire
Décaler le calendrier poursuivrait également une logique écologique, comme l’explique à 20 minutes le chercheur grenoblois Hugues François, auteur principal d’une étude sur l’impact du réchauffement climatique sur les stations de ski européennes : "On a une meilleure visibilité sur l’état du manteau neigeux et on prend moins de risques dans l’organisation des épreuves en fin de saison."
"Dans le ski de compétition, il y a à la fois une recherche de précocité et d’un certain standard de qualité du manteau neigeux, poursuit cet ingénieur à l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement). Produire très tôt une neige de très bonne qualité va devenir de plus en plus compliqué. En début de saison, le nombre de créneaux de froid diminue, donc il en va de même pour la capacité à produire de la neige. Si on produit en début de saison et qu’ensuite la neige fond, le risque c’est de ne plus avoir assez d’eau pour produire dans un second temps une nouvelle sous-couche."
"Notre sport fait partie des plus touchés par le réchauffement climatique et, au lieu de changer notre système, de s’adapter, on fait tout le contraire", s’insurgeait Alexis Pinturault, qui a pourtant prévu d’axer sa saison sur la descente et devra donc attendre la manche de Beaver Creek aux Etats-Unis les 1er et 2 décembre.
Alors pourquoi ne pas simplement programmer ces épreuves de descente au printemps ? Pour des raisons économiques, regrette Hugues François : "En démarrant en avant saison, le ski de compétition contribue à l’attractivité des stations et entretient l’envie de pratiquer le ski. S’il commence plus tard, celles-ci ont moins de visibilité et le niveau de fréquentation s’en ressent." Malgré la volonté des skieurs, la FIS et les équipementiers verraient d’un mauvais œil la chute de leurs ventes de Noël.

Un enjeu environnemental

Au-delà de la période choisie pour la compétition, le site en lui-même posait déjà problème lors de sa désignation. En octobre, des images de pelleteuses creusant le glacier du Théodule afin de préparer la piste de compétition, nommée Gran Becca, avaient été publiées par le journal suisse 20 minutes. Or, la neige prélevée l’était pour partie en dehors du domaine skiable autorisé, ce qu’a confirmé la justice valaisanne après la plainte de plusieurs associations. La Commission cantonale des constructions (CCC) avait alors interdit d’utiliser certaines installations sur le glacier du Théodule à Zermatt après avoir constaté leur empiètement hors du domaine skiable.
En réponse, le numéro 1 du ski suisse, Urs Lehmann, a mis en avant le fait que "personne n'aurait skié sur un glacier depuis des décennies" sans pelleteuses pour les sécuriser, ajoutant que "tout s’est déroulé dans les règles de l’art sur la piste". Zermatt-Cervinia n’a pas fini de soulever des débats. Mais si le point de rupture est un jour franchi, de grands bouleversements pourraient intervenir dans le futur sur l’ensemble de l’organisation de la Coupe du monde de ski alpin.
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