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50 ans d’ère Open, 50 ans de révolution

Sébastien Petit

Mis à jour 23/04/2018 à 21:30 GMT+2

ERE OPEN - L’ère Open a 50 ans. En avril 1968 est disputé le premier tournoi ouvert aux amateurs et aux professionnels. Une véritable révolution qui va ouvrir la porte à d’autres mais qui a eu pour finalité de replacer le joueur au centre du débat : l’évolution de ce sport passera par lui ou ne passera pas. Et ce n’est sans doute pas terminé.

Bjorn Borg, Pete Sampras, Roger Federer, Rod Laver

Crédit: Getty Images

Sous les pavés, la plage. Et sur les courts de tennis, la révolution. Le 30 mars 1968, avant que les événements du mois de mai ne bousculent l’ordre établi en France, le tennis opère sa révolution. A Paris, non loin de la place de la Concorde d'après les spécialistes les mieux renseignés, l’acte de l’ère Open est signé. C’était il y a 50 ans. Pour la première fois, les fédérations vont autoriser les tennismen professionnels à jouer les tournois qu’elles organisent en compagnie des amateurs. Impensable il y a encore quelques années. Ce changement majeur, devenu inéluctable, est la première pierre d’une fondation de ce sport, tel que nous le connaissons aujourd'hui, avec cette nouvelle vision : replacer le tennisman au centre du jeu.
Avant 1968, deux camps s’affrontent. Les amateurs disputant des tournois sans la moindre rétribution. Et les professionnels payés pour leur performance, mais avec une contrainte majeure : renoncer à disputer les tournois du Grand Chelem, pourtant le Graal du tennis. Si le premier mouvement pro est né entre les deux guerres, son essor s’est véritablement opéré dans les années 60. A tel point que les tournois amateurs, si populaires en leur temps, ont vu leur affluence baisser suite au départ de leurs meilleurs éléments vers d’autres cieux, préférant parfois les tournois grassement payées aux "pauvres" tournois historiques qui n’accordaient aucune compensation financière de quelque nature que ce soit.

Son but : réunir amateur et professionnel autour d’un seul et même circuit

"Il résidait dans l’esprit amateur que la noblesse du sport devait être désintéressée et qu’il ne fallait pas gagner d’argent pour être un champion, nous éclaire Bernard Giudicelli, actuel président de la FFT. Cette logique-là n’a pas résisté à la logique de marché et la situation ne pouvait pas perdurer." La Fédération britannique a lancé la fronde en premier en voulant ouvrir Wimbledon aux professionnels. La Fédération Internationale, si inflexible sur le sujet pendant longtemps, a bien été obligée de lâcher du lest après un petit événement qui s'est révélé majeur : le départ de Rod Laver, meilleur joueur du monde amateur, vers le monde professionnel à partir du mois d’août 1963. L’Australien venait de réaliser le Grand Chelem l'année précédente.
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Rod Laver et Ken Rosewall à Roland-Garros en 1969

Crédit: AFP

Le but de l’ère Open était donc à terme d’unifier les différents circuits, le courant amateur et les divers tours professionnels, qui rencontraient eux aussi de moins en moins d’affluence, pour permettre aux meilleurs joueurs de disputer les tournois les plus prestigieux. Du gagnant-gagnant. Une vision de la situation qui n'enchantait pas tout le monde mais qui était le meilleur pansement au saignement du tennis tennis amateur.
Bernard Giudicelli précise : "La question de l’époque est alors : l’argent est-il un but ou est-il un moyen ? Pour certains, c’était inacceptable, pourtant il a bien fallu l’accepter." Philippe Chatrier était l'un d'eux. Pour celui qui était alors vice-président de la FFT, c’était "perdre le combat contre l’argent". Le futur président des Fédérations française et internationale avait alors une obsession : faire revenir le tennis aux Jeux olympiques où les athlètes ne peuvent obtenir de prize-money pour leur performance. "Il avait en tête la crainte de voir son projet olympique contrarié par le fait de voir ce professionnalisme entré à la FFT. Il s’est vite rendu compte que ce combat était perdu d’avance et que les acteurs devaient s’entendre sous peine de voir fleurir d’autres World Championship Tour", circuit regroupant des joueurs professionnels créé par de riches promoteurs de spectacles.

Bournemouth et Roland-Garros 68, deux premiers essais réussis

Le premier tournoi officiel de l’ère Open est disputé à Bournemouth entre le 22 et le 27 avril 1968. A l’époque, un amateur a fait fureur, Mark Cox, en battant deux stars professionnelles : Roy Emerson et Pancho Gonzalez. Le Britannique ne gagnera pas le tournoi, laissant cela à une autre star de l’époque, Ken Rosewall, vainqueur face à Rod Laver au passage en finale, mais le premier essai est incontestablement une réussite pour les organisateurs. Cela s’est vérifié à Roland-Garros un mois plus tard, premier tournoi du Grand Chelem à devenir "Open". Giudicelli confirme : "1968 a été un véritable boom. Peu de personnes travaillaient donc tout le monde pouvait venir au stade. Cela a mis le tournoi sur orbite."
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Mark Cox face à Roy Emerson - Bournemouth 1968

Crédit: Getty Images

Pourtant, pour les joueurs, ce n’était pas encore Byzance. Beaucoup se considèrent encore comme des "pions", comme le soulignait Patrick Proisy à l’Express fin 1998, baladés par les promoteurs et par les fédérations. Car si l’ère Open a ouvert l’accès aux tournois les plus prestigieux, les deux systèmes (amateur et professionnel) ont cohabité pendant une douzaine d'années. Jusqu’en 1973, les joueurs amateurs étaient devenus salariés de leur fédération, entre 2000 et 3000 francs par mois avec une liberté très limitée. Loin de la révolution attendue.
S’il faudra 20 ans de plus avant que le tennis ne redevienne un sport olympique, il en faudra autant pour que le tennis poursuive sa mutation en profondeur. La création de l’ATP, le syndicat officiel des joueurs, et son classement mondial naîtront 5 ans plus tard à la suite d'un boycott de Wimbledon par la majorité des joueurs en 1972. Puis la création du circuit ATP Tour, tel qu’on le connait, intervient en 1990, née d’une nouvelle contestation des joueurs en marge de l’US Open en 1989. Ces deux "révoltes" avaient la même idéologie : le libéralisme. Laisser aux joueurs la liberté de jouer où ils voulaient et de toucher une part des bénéfices liés à leur match. Car sans eux, pas de tournoi, donc pas de match, donc rien à voir pour les spectateurs, que ce soit depuis les tribunes ou derrière la télévision.
Le joueur est devenu un chef d’entreprise dépendant uniquement de sa performance
"C’est incroyable la façon dont on diabolise l’argent et le financier dans le sport professionnel, souligne Bernard Giudicelli. Les échelles de valeur ont complètement changé avec la première révolution de 1968. La première chose qu’un joueur professionnel défend, c’est sa santé, la deuxième chose qu’il cherche est l’argent, car il sait que sa carrière est courte, et la troisième, c’est la gloire. On ne peut pas le mettre de côté. Avant 1968, dans la tête des gens, c’était peut-être la gloire, la santé et l’argent en dernier. Maintenant, il faut être davantage à l’écoute. Il faut se prémunir contre la constitution de futures poudrières, comme la crise de 1972 après l'exclusion de Nikola Pilic à Wimbledon voulue par sa Fédération suite à sa non participation à la Coupe Davis."
La moralité de l’histoire est que le tennis appartient de plus en plus aux joueurs. Et qu’il sera difficile d’aller contre cette "République des joueurs". Le Président de la FFT insiste : "Aujourd’hui, le tennis a cette noblesse : le joueur ne gagne que s’il gagne. Ce n’est pas le cas de joueurs par équipe qui ont un contrat. S’ils sont absents ou malades, leur salaire continue de tomber, le joueur de tennis, lui, doit gagner son prize-money et c’est toute la difficulté du circuit aujourd’hui : un joueur est devenu un chef d’entreprise dépendant uniquement de sa performance." Donc aussi à la merci du plus offrant. Un cercle vertueux pour certains. Vicieux pour d’autres. En attendant la prochaine révolution.
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L'équipe européenne victorieuse de la première édition de la Laver Cup, à Prague

Crédit: Getty Images

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