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Après les propos de Simon : Peut-on vraiment former des champions comme Federer, Nadal ou Djokovic ?

Rémi Bourrières

Mis à jour 06/11/2020 à 12:59 GMT+1

Que ce soit par le biais de la campagne à la présidence de la FFT ou du récent livre de Gilles Simon, il est beaucoup question en ce moment de la responsabilité d'une fédération sur les résultats au plus haut niveau. Mais n'est-ce pas sur ce point, précisément, que l'institution fédérale a le moins de leviers ?

Roger Federer et Gilles Simon

Crédit: Getty Images

Actuellement sur la brèche avec une organisation délicate du Rolex Paris Masters, dans le contexte que l'on sait, la Fédération française de tennis (FFT) l'est aussi, depuis de longs mois, à travers la campagne présidentielle qui entre dans sa dernière ligne droite, avec des élections fixées au 13 février 2021.
Tout au long des débats, pour le moins vifs, qui auront émaillé cette campagne, il aura beaucoup été question de politique axée sur le haut niveau. On peut le comprendre. Le sujet est sensible en France, grinçant même, chaque année qui passe depuis la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros en 1983 - la dernière pour un Français en Grand Chelem - étant un coup de fer supplémentaire porté dans une plaie brûlante. Sans que les cinq tournois majeurs remportés dans l'intervalle par les filles n'aient vraiment apaisé la cicatrice, pas plus que les diverses coupe Davis ou Fed Cup décrochées ça et là.
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"On ne se rend pas compte du creux français à venir car Gasquet et compagnie ont joué longtemps!"

Aujourd'hui, aller chercher enfin ce satané laurier semble devenu une priorité, une obsession même, dans un pays qui n'est pas loin de penser, peut-être à juste titre, que l'érosion progressive des pratiquants est directement liée à la trop longue absence d'un tour de force au plus haut niveau. Au point de devenir, donc, l'un des enjeux important sinon majeur autour de la FFT de demain.
C'est presque mettre la charrue avant les bœufs, quand on parle d'une institution – une fédération sportive – dont la vocation première est avant tout, historiquement, de promouvoir et de développer son sport dans son territoire, avant de s'occuper de la destinée de ses meilleurs éléments vers un monde international qui n'est, par définition, plus le sien.
Mais en France, la situation est évidemment particulière, comme elle l'est dans les trois autres pays qui ont la chance d'accueillir un tournoi du Grand Chelem : les budgets florissants qui en découlent (325 millions d'euros pour la FFT dans une saison "normale", sans Covid) l'autorisent à voir plus grand et agir bien au-delà de son cercle premier d'intervention.
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"Gagner un Grand Chelem, c'est un objectif que Monfils doit se fixer"

Des champions sortis de " nulle part "
La FFT ne s'en prive pas, avec un certain succès puisqu'elle émarge chaque saison parmi les nations qui placent le plus grand nombre de pions dans le top 100, grâce à des joueurs qui sont pour la plupart passés par ses structures. Il y a du monde dans la pyramide qui mène au plus haut niveau, et parfois du très beau monde. Bien. Mais toujours personne au sommet. Pas bien. Et c'est là où l'action fédérale se retourne contre elle. Puisque c'est en grande partie grâce à elle que l'on peut avoir autant de joueurs bien placés, c'est aussi à cause d'elle que l'on n'a jamais un joueur gagnant. Implacable...
Dans son livre "Ce sport qui rend fou ", Gilles Simon dénonce ainsi les manquements constatés durant sa formation, notamment au niveau mental, à travers un discours qu'il estime trop souvent limité, voire stigmatisant. A vrai dire, " Gillou " remet plus en question un état d'esprit général, une approche du tennis erronée selon lui à l'échelle du pays, que la compétence technique pure des entraîneurs qu'il a croisés au gré de son cursus. Mais dans les faits, cela revient à peu près au même : si la France ne gagne pas en Grand Chelem, c'est à elle-même qu'elle le devrait.
Et cette disette exaspère tout autant qu'elle intrigue encore davantage quand on constate que dans le même temps, quelques-uns des plus grands champions ont éclos ces dernières années dans des pays beaucoup moins chichement dotés. L'exemple le plus flagrant est celui de la Serbie, qui a réussi à "pondre" trois numéros un mondiaux (Djokovic, Ivanovic et Jankovic) sur les cendres d'une nation en ruines.
Mais c'est aussi le cas de la Suisse, qui a sorti coup sur coup les trois immenses champions que l'on sait (Federer, Wawrinka et Hingis) sans que le tennis ne fasse partie, auparavant, de ses grandes priorités. Voire même l'Espagne de Rafael Nadal, pays où la culture tennis était certes plus prégnante, mais où la Fédération n'est pas immensément puissante. Dans une certaine mesure, l'histoire se poursuit aujourd'hui avec l'Autriche de Dominic Thiem, et peut-être demain avec la Grèce de Stefanos Tsitsipas.
"Notre travail, c'est Roger qui l'a rendu exceptionnel"
Au-delà des éventuels ou supposés manquements français, ces différents exemples tendent surtout à montrer une chose : un champion, ça peut surgir de n'importe où, n'importe quand. Mais ça ne s'invente pas, même avec la meilleure compétence et tout l'or du monde.
"Une chose est sûre : on ne fabrique pas un futur vainqueur de Grand Chelem. A la limite, en étant très rigoureux dans toutes les étapes de la formation, on peut emmener un joueur dans le top 50, peut-être top 30. Mais à partir d'un certain niveau, la différence, ce sont les joueurs qui la font. Ou plutôt, les hommes". La phrase provient de Christophe Freyss, cet ancien joueur français devenu entraîneur et qui a la particularité d'avoir travaillé durant deux ans avec Roger Federer au Centre National d'Entraînement suisse d'Ecublens, lorsque le futur maestro était adolescent. Sans s'enlever sa part de mérite, il n'en tire pas d'excessive fierté non plus, conscient que c'est Roger lui-même qui a pris ensuite les rênes de sa glorieuse destinée.
"Je me suis attaché à donner à Roger les meilleures bases possibles, ce qui était notre rôle. La chance que j'ai eu par rapport à la France, c'est que personne ne l'a mis trop tôt sur un piédestal donc j'ai pu travailler avec lui en toute tranquillité et sans le ménager, quitte à ce qu'il ne soit pas très content après moi certains jours ! Mais par rapport aux autres joueurs, je n'ai pas procédé différemment. Le travail que l'on a fait ensemble, c'est lui qui en a fait ensuite quelque chose d'exceptionnel, poursuit celui qui compte notamment une victoire sur Ivan Lendl en 1980. Et quand on regarde les trois grands champions suisses que vous citez, ils viennent tous d'univers très différents. On ne peut faire de leur exemple le reflet d'une ligne directrice de la formation en Suisse. En France, en revanche, il y a la possibilité d'avoir la main sur l'ensemble de la formation, ce qui est une chance inouïe et en même temps une vraie responsabilité"
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Roger Federer et Stanislas Wawrinka en 2008

Crédit: Getty Images

Et peut-être pas mal de pression, aussi. Car pour une Fédération, aussi riche soit-elle, impossible de prendre en main individuellement tous les projets et toutes les caractéristiques de chacun. C'est toute la difficulté et les enjeux de la politique de détection. D'où la nécessité de proposer un cadre général, un socle commun élaboré pour convenir au plus grand nombre, un peu à l'image de l'enseignement scolaire. Mais au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'élite, les besoins s'affinent en même temps qu'ils se font de plus en plus exigeants. C'est là, précisément, que le joueur se retrouve au carrefour de sa carrière.
"A un certain stade, le joueur doit prendre le relais"
Et c'est là aussi, à en croire l'entraîneur italien Riccardo Piatti, que le fait de posséder un gros budget formation peut générer des effets pervers. "Le problème, c'est que quand une Fédération a beaucoup d'argent, elle a tendance à vouloir contrôler la carrière du joueur jusqu'au bout, souligne le technicien transalpin. Le rôle d'une Fédération, pour moi, est d'éduquer les joueurs avant tout, et de les armer techniquement. Mais arrivé à un certain stade, le joueur doit prendre le relais pour gravir les dernières marches. "
Pour Piatti, qui a bourlingué auprès de garçons issus d'horizons bien différents, de Novak Djokovic à Richard Gasquet en passant par Mario Ancic, Ivan Ljubicic, Milos Raonic, Borna Coric, ou de nombreux joueurs italiens dont le prometteur Jannik Sinner aujourd'hui, le mal n'est pas spécialement français. Mais le constat est le même à peu près partout : les grands champions, qu'ils soient issus d'une structure familiale (Nadal), fédérale (Federer) ou privée (Djokovic), ont tous grandi avec une figure tutélaire à leur côté, puis pris le soin d'investir dans leur propre structure.
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Maria Sharapova et Riccardo Piatti

Crédit: Imago

"L'entourage fait souvent la différence et c'est au joueur de construire sa propre équipe, au fil de sa progression. Avec Sinner, nous sommes dans ce processus. Moi, mon rôle, est de l'éduquer à devenir un champion, explique-t-il. Et pour y arriver, nous essayons de nous entourer des personnes le plus compétentes possibles. Une Fédération, elle va pouvoir déléguer une personne mais plus, c'est compliqué. C'est au joueur de les trouver lui-même, selon son ressenti et ses besoins".
Selon, aussi, son ambition et son envie profonde, les deux qualités fondamentales du champion. Deux qualités enfouies dans des zones un peu mystérieuses de son psyché, en lien avec son histoire personnelle, son éducation, son caractère évidemment, ses failles éventuellement. Mais deux qualités qui, quoi qu'il en soit, ne s'enseignent pas. Et qui s'achètent encore moins.
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