Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

ATP : Andy Murray, à Anvers et contre tout

Rémi Bourrières

Mis à jour 17/10/2019 à 10:32 GMT+2

ATP ANVERS - Donné foutu pour le tennis, Andy Murray s'est lancé dans la quête d'un inimaginable retour au plus haut niveau qu'il poursuit cette semaine en Belgique, malgré l'arrivée imminente d'un heureux événement. Si l'Ecossais parvient à retrouver l'élite, ce sera assurément l'un des come-back les plus phénoménaux de l'histoire de son sport. Mais est-ce bien réaliste, et surtout raisonnable ?

Andy Murray

Crédit: Getty Images

Une entrée en lice laborieuse mardi soir à Anvers face à Kimmer Coppejans (6-4, 7-6), après avoir glané quatre petits succès en trois tournois lors de la tournée asiatique. Serions-nous au faîte de sa carrière, le dernier bilan d'Andy Murray serait frugal, gris comme un soir d'automne en Ecosse. La réalité est tout autre. Une fois replacé dans son juste contexte, il est plutôt à considérer, sinon comme un triomphe, au moins comme une immense victoire. Presque comme un miracle.
Souvenons-nous du 14 janvier dernier, de cette défaite au bout du courage et de la douleur face à Bautista Agut au 1er tour de l'Open d'Australie, suivie d'une émouvante cérémonie d'adieu organisée sur le court et ponctuée de touchants messages de ses pairs. C'était sympa mais un peu gênant quand même, ce pot de départ anticipé, alors que l'intéressé n'avait pas encore signé les papiers de sa retraite, lui qui venait même de déclarer au micro qu'il ferait tout son possible pour revenir à Melbourne en 2020 - ce qu'il fera bel et bien finalement.
Mais c'est vrai qu'à ce moment-là, Andy lui-même se voyait mal. Très mal. Sa préoccupation première, outre de ne pas réveiller ses filles par ses cris de douleur en enfilant ses chaussettes le matin, était plutôt d'atténuer partiellement l'incendie qui lui rongeait la jointure de la tête du fémur et du bassin - ce désormais fameux conflit fémoro-acétabulaire -, pour pouvoir finir sa carrière décemment, chez lui, à Wimbledon.
Et puis, neuf mois plus tard, tout un symbole, le voilà revenu à la vie. Une renaissance, et c'est vraiment le cas de le dire pour celui dont l'épouse, Kim, attend incessamment un (troisième) heureux événement qui pourrait d'ailleurs tout à fait venir contrarier, pour la bonne cause, la suite de sa semaine belge, où l'attend un deuxième tour face à Cuevas ou Dellien. Andy Murray, bien sûr, n'a pas encore retrouvé le niveau qui fit de lui un n°1 mondial, un triple vainqueur en Grand Chelem et un double champion olympique, entre autres. Mardi soir, il n'a pas vraiment enflammé les Flamands, d'une part parce qu'il affrontait un régional de l'étape, d'autre part parce qu'il est apparu très poussif, en délicatesse assez nette sur certains déplacements. Preuve que le chemin sera encore long, et que les dernières marches avant le sommet sont toujours les plus difficiles à gravir.
Est-ce notre rôle, en tant que médecin, de faire courir ce genre de risques à un patient de 32 ans ? (Jacques Parier)
Mais plus globalement, ce que Murray vient de réaliser lors du mois écoulés est presque inespéré : un premier match gagné sur le circuit principal depuis presque neuf mois à Zuhai (face à Sandgren), deux succès de plus dont un face à un top 15 (Berrettini) à Pékin, et un combat de chiffonniers livré à Fognini à Shanghai. En comparaison de ses premiers pas très hésitants, pour ne pas dire très inquiétants, lors de son retour en simple au mois d'août lors de la tournée nord-américaine, c'est le jour et la nuit.
D'ores et déjà, le Britannique bluffe ou intrigue les experts, tennistiques et plus encore médicaux. Jusqu'à présent, un sévère conflit de hanche - blessure typique du tennis moderne et de ses appuis ouverts - était considéré comme à peu près rédhibitoire à la pratique au plus haut niveau. Kuerten, Hewitt, Nalbandian, Norman, pour ne citer que les plus connus, ne s'en sont jamais relevés, tout comme plus récemment, côté français, des joueurs comme Rufin et Roger-Vasselin, désormais cantonné au double.
Murray lui-même, qui coince de la hanche depuis de nombreuses années, s'est vu probablement perdu pour le tennis quand la douleur est devenue insupportable au sortir d'une demi-finale dantesque contre Stan Wawrinka, à Roland-Garros, en 2017. Un an d'absence et une première opération dite de "curetage", consistant à gratter les aspérités impures de l'articulation endommagée, n'auront en rien soulagé ses maux. C'est alors que son chirurgien, l'Australien John O'Donnell, lui a proposé de tenter le tout pour le tout : l'opération dite, cette fois, de "resurfaçage", consistant à la pose de deux implants métalliques de part et d'autre de l'articulation pour en assurer un parfait coulissement. En gros, une opération à mi-chemin entre le simple nettoyage et la prothèse totale.
"C'est une opération relativement récente et qui se fait assez peu en France où l'on considère qu'elle a une durée de vie beaucoup moins longue que la prothèse, nous éclaire le Docteur Jacques Parier, membre du staff médical de Roland-Garros depuis de nombreuses années. Le problème est que l'on sait très bien fabriquer les pièces métalliques, mais moins les attacher de manière durable. Or, dans le cas de Murray, qui exerce des contraintes phénoménales sur son articulation, le risque est grand d'une usure encore plus prématurée. Est-ce notre rôle, en tant que médecin, de faire courir ce genre de risque à un patient de 32 ans ? En tout cas, même si c'est un peu malsain, je suis très content qu'un sportif ait osé faire ça et je suis très intéressé de voir ce que cela va donner maintenant…"
picture

Andy Murray addresses media representatives at a press conference after defeat in his first round men's singles match against Spain's Roberto Bautista Agut on day one of the Australian Open tennis tournament in Melbourne.

Crédit: Eurosport

Ce risque, Andy Murray a choisi de le prendre en son âme et conscience, après de longs échanges avec le joueur de double américain Bob Bryan, qui a subi une opération similaire, avec succès. En simple, évidemment, c'est une autre histoire. Le natif de Glasgow a choisi de s'engager sur un chemin encore en friche, sans savoir vraiment s'il s'y embourbera ou s'il y dénichera une voie secrète vers une terre inconnue. Il l'a fait avec cette folie qui caractérise les grands hommes de toujours vouloir repousser les croyances établies, mû aussi, on peut le penser, par ce désir compréhensible qu'ont les grands champions de ne pas se voir dicter leur fin. Mais il l'a fait avec prudence, intelligence et beaucoup d'humilité.
Il a d'abord voulu faire un retour (victorieux) en double, au mois de juin, au Queen's, a choisi sagement de zapper Wimbledon et l'US Open en simple pour ne pas disputer hâtivement des matches en cinq sets, et a eu le courage de repasser par la case "Challenger", début septembre, à l'académie de Rafael Nadal de Majorque. Il y aura gagné ses deux premiers matches, rampe de lancement idéale pour sa saison automnale, qu'il a attaquée au-delà de la 503e place mondiale. Le voilà désormais 243e (avec un classement protégé à utiliser sur neuf tournois).
Il va falloir qu'il change un peu son jeu (Paul-Henri Mathieu)
En Asie, on a parfois revu Andy Murray tel qu'en lui-même, grommelant, pestant, ronchonnant contre la terre entière mais s'arrachant comme un damné pour faire briller son talent comme à ses plus beaux jours et démontrer une nette montée en puissance de son niveau physique et tennistique. On a bien sûr noté son souffle encore un peu court, sa vitesse de course légèrement érodée et ses appuis encore hésitants côté coup droit. Mais pour le reste, c'était du Murray pur jus, dans la raquette comme dans le verbe.
"J'ai même été un peu surpris de le voir prendre finalement assez peu de recul, considérant ce qu'il a traversé, mais cela montre qu'il en veut toujours plus, note Paul-Henri Mathieu, qui a commenté ses deux matches à Shanghai pour Eurosport et qui connaît mieux que quiconque les difficultés de revenir à son meilleur niveau après une lourde opération. J'ai également été surpris qu'il reste dans son ancienne filière de jeu, assez défensive. Il avait sûrement besoin de ça pour gagner quelques matches et reprendre confiance. Mais s'il veut durer, il va falloir qu'il change un peu son jeu et qu'il abrège les échanges. D'autant que dans cette filière-là, il peut aussi être monstrueux."
picture

Queen's - Murray : "Ce titre représente plus que certains tournois remportés en simple"

Murray, qui a conservé son coach (Jaime Delgado) à ses côtés pendant toute la durée du processus, a bien entendu conscience que la nature de son tennis rend son retour encore plus compliqué, à l'inverse par exemple d'un Juan Martin Del Potro qui peut s'appuyer sur des armes de destruction massive. Mais sa priorité en cette fin de saison, qu'il clôturera lors de la phase finale de la Coupe Davis - sauf rebondissement, il ne participera pas au Rolex Paris Masters afin de se reposer et d'accueillir son troisième enfant -, était probablement plus de tester la résistance de son corps que de déterminer un plan de bataille tennistique.
Il aura peut-être été le premier surpris de constater, outre qu'elle fait sonner les portiques de sécurité aux aéroports, à quel point sa hanche a bien encaissé le choc. "Si ce n'est un manque d'amplitude et des tensions compensatoires sur d'autres parties de mon corps, il n'y a aucune douleur", se réjouissait-il récemment dans une interview au Times.
Je le vois bien finir sa carrière l'an prochain à Wimbledon (Julien Varlet)
Maintenant, jusqu'où, et jusqu'à quand ? Là demeure encore la grande question. L'ancien joueur français - désormais consultant - Julien Varlet, qui fait partie de ces joueurs dont la carrière a été brisée par une blessure à la hanche (il porte désormais une prothèse totale), reste sceptique. "Je continue à penser que l'enchaînements des matches et des efforts finira par le rattraper, dit-il. Le problème aussi de ce genre de blessure, c'est tout le protocole en dehors des matches. Dans mon cas, c'était au minimum 1h15 d'assouplissements avant même de commencer l'échauffement proprement dit. C'est extrêmement usant mentalement. Il faut être un surhomme pour résister à ça sur la durée. Non, je vois bien Murray finir sa carrière l'an prochain à Wimbledon. "
Sauf que, sauf que… Ne parle-t-on pas, justement, d'un surhomme ? La médecine est une science, mais pas une science exacte. Sa limite est celle de l'esprit humain, son intelligence mais surtout sa détermination, son obstination. Même si le double vainqueur de Wimbledon (2013, 2016) a dit lui-même qu'il était tout à fait conscient qu'il ne retrouvera peut-être jamais son meilleur niveau, au fond nul ne sait vraiment ce qui l'anime dans ce come-back.
picture

Nadal : "Le retour de Murray est une bonne nouvelle pour le sport"

Le fait-il par amour pour son sport, par la simple envie de jouer des matches sans ambition particulière ? Par la volonté d'ouvrir une voie, de nouvelles espérances aux athlètes blessés qui, dans le futur, "n'hésiteront plus à avoir recours à la même opération pour revenir à la compétition", comme il l'a également confié au Times ? Ou le fait-il dans l'intention farouche, bien que feinte, de revenir occuper la place qui était la sienne "avant", tout là-haut, et de redonner ainsi au label Big Four, un peu hâtivement rebaptisé Big Three, ses lettres de noblesse ?
S'il y parvient, surtout à 32 ans, ce sera, dans un autre style, un exploit tout aussi phénoménal que n'importe lequel de ses titres majeurs. S'il n'y parvient pas, il aura au moins conquis définitivement l'admiration et le respect d'un public qui lui a trop longtemps proposé une indifférence polie voire un désamour carrément injuste, fâché de le voir contrarier autant les desseins de ses chouchous, Federer et Nadal en tête devant Djokovic. Comme le chantait Renaud en paraphrasant Prévert, on reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait quand il s'en va. Et Andy Murray, c'est quand même, avant tout, un sacré bonheur à voir jouer…
picture

SHANGHAI, CHINA - OCTOBER 07: Andy Murray of Great Britain in action against Juan Ignacio Londero of Argentina during 2019 Rolex Shanghai Masters at Qi Zhong Tennis Centre on October 7, 2019 in Shanghai, China. (Photo by Fred Lee/Getty Images)

Crédit: Getty Images

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité