Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

ATP Chengdu : Corentin Moutet peut-il vraiment faire du service à la cuillère une tactique ?

Maxime Battistella

Mis à jour 21/09/2023 à 14:45 GMT+2

Lors de son entrée en lice à Chengdu mercredi face au modeste 573e mondial Tao Mu, Corentin Moutet s'est distingué en multipliant les services à la cuillère. Sa réussite a été telle dans l'exercice que le Français a même évoqué la perspective de l'utiliser beaucoup plus souvent voire de le généraliser. Mais aussi divertissante soit-elle, l'option tactique a des limites.

6 services à la cuillère : l'arme terriblement efficace de Moutet

Il est différent. C'est même un joueur "fantastique" selon les propres mots d'Andy Murray qui l'avait battu au 1er tour du dernier US Open. Avec sa patte gauche et son toucher à part, Corentin Moutet est un ovni sur le circuit. Tant et si bien que malgré une blessure au poignet droit qui le gêne depuis quelques mois, il continue à écumer le circuit en s'adaptant, passant de deux mains à une main en revers avec un slice de plus en plus efficace. Le Parisien de naissance est un créatif et il l'a encore prouvé mercredi pour ses débuts en Chine.
Face à un adversaire il est vrai à sa portée (le Chinois Tao Mu, 573e mondial), il a exécuté pas moins de six services à la cuillère, remportant le point à cinq reprises (soit 83 % de réussite dans l'exercice !). Et Moutet de revendiquer cette dimension de son jeu dans l'interview d'après-match : "Je travaille dur dessus. Je pense que je dois en faire plus, ça marche mieux que mon service normal en fait. Je devrais le faire beaucoup, peut-être sur tous les points à l'avenir."

Une entreprise de déstabilisation psychologique

Au moment de tenir ses propos, le génial gaucher semblait très sérieux. Du moins en ce qui concerne la première partie de sa déclaration. Car adopter ce coup comme une manière systématique d'engager relève plutôt de son humour pince-sans-rire, comme il l'a confirmé à sa façon sur Twitter dans les heures qui ont suivi. Et ce même si Moutet le maîtrise à merveille, lui administrant un petit effet slicé pour que la balle s'écrase au rebond.
"Pour moi, tennistiquement, le service à la cuillère n'a aucun intérêt. Mais ça ne signifie pas que ça ne sert à rien, considère notre consultant Arnaud Clément. A un moment donné de difficulté, y avoir recours permet de trouver une solution en bluffant, en essayant de biaiser un peu le jeu. En somme, ça peut servir à emmener le combat dans un autre secteur un petit peu plus psychologique, pour déstabiliser l'adversaire, parce que tennistiquement, on est moins fort."
Le service à la cuillère comme entreprise de déstabilisation, la méthode n'est pas fondamentalement novatrice. Qui ne se souvient pas de celui joué par le tout jeune Michael Chang en 8e de finale de Roland-Garros en 1989 face au grand Ivan Lendl ? Au bord des crampes, l'Américain était alors un peu plus entré dans la tête d'un adversaire déjà bien secoué dans le cinquième set. L'audace avait enflammé le court central, mais ce coup était à l'époque plus controversé qu'il ne l'est de nos jours.
picture

Services à la cuillère, amorties, passings... Moutet s'est bien amusé pour se lancer

Une arme pour surprendre les relanceurs modernes

Servir ainsi, c'était faire preuve d'un certain manque de respect, vouloir potentiellement humilier l'adversaire. C'est désormais moins le cas, car le service à la cuillère a une plus grande pertinence sur le plan tactique. "Ça dépend toujours de la manière dont c'est fait. Aujourd'hui, je considère beaucoup moins le service à la cuillère comme irrespectueux. Pourquoi ? D'abord parce qu'il y a beaucoup plus de joueurs qui sont très loin derrière leur ligne de fond au retour. Et quand on est incapable de servir à 220 km/h, notamment pour les petits gabarits comme Corentin ou Hugo Gaston, c'est beaucoup plus difficile de leur faire des aces et d'avoir l'avantage quand on engage, surtout sur des surfaces en dur qui ont été ralenties", fait remarquer Arnaud Clément.
S'il reste un coup rare, le service à la cuillère a donc été rendu plus pertinent par l'évolution des conditions de jeu et de la position moyenne à la relance. Histoire de forcer l'adversaire à avancer dans le court et de le maintenir dans l'incertitude. Peut-il pour autant devenir l'élément majeur d'une stratégie pendant un match, comme l'était par exemple le matraquage du revers de Roger Federer par Rafael Nadal avec son coup droit lifté de gaucher ? C'est beaucoup moins sûr. Car ce qui fait son sel, c'est aussi et surtout l'élément de surprise qu'il constitue pour l'adversaire. Si ce dernier l'anticipe, la sanction est immédiate non sans être accompagnée d'un certain embarras.
"Ce n'est pas une solution tactique dans le sens où ce n'est pas un schéma qui peut marcher régulièrement. Et pour que ça marche de temps en temps, il faut le travailler un minimum, même pour rigoler à l'entraînement, parce qu'on peut vite passer pour un branquignol avec un service à la cuillère qui va remonter ou qui va être deux mètres dehors. C'est un coup qui doit vraiment surprendre, donc être assez soudain et qui doit être accéléré avec la raquette parce que si on ne met pas d'effet, slicé ou sortant qui permet à la balle de s'écraser, ça ne servira à rien. L'adversaire retournera avec la balle au niveau du filet ou au-dessus et ce sera juste un penalty offert, ce sera trop facile à jouer", analyse encore notre consultant.

Un écueil : le show pour le show

C'est d'ailleurs l'écueil et le danger du service à la cuillère : l'exécuter pour le plaisir d'être original. Sans ménager l'effet de surprise sur le plan tactique ni volonté de déstabiliser l'adversaire. De nos jours, certains, comme Alexander Bublik et Nick Kyrgios, en ont fait une marque de fabrique, une manière de symboliser leur côté fantasque et créatif, sans pour autant en faire un coup efficace. L'Aussie fait même parfois des feintes de service à la cuillère, ce qui pourrait être considéré comme limite du point de vue du règlement (on ne parle pas ici d'un simple lancer de balle rattrapé). Et c'est aussi pour cela que le service à la cuillère est considéré comme moins irrespectueux qu'il ne l'était : il fait partie de l'"entertainment", de la panoplie du joueur qui sort des sentiers battus.
A ce compte, il peut même devenir un piège. Alejandro Davidovich Fokina l'a appris à ses dépens lors du super tie-break de son 3e tour face à Holger Rune à Wimbledon. "C'était un moment de panique. Il a complètement manqué de lucidité, il a fait n'importe quoi, il a voulu surprendre mais il s'est plus surpris lui-même que son adversaire", abonde notre consultant. Le principal intéressé l'avait d'ailleurs reconnu lui-même. Alors servir à la cuillère a-t-il un intérêt ? Oui, mais avec qualité et modération. Comme on déguste un grand cru.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité