Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Après le dérapage et la disqualification de Rublev à Dubai, pourquoi assouplir la règle serait une mauvaise solution

Maxime Battistella

Mis à jour 06/03/2024 à 12:05 GMT+1

La semaine dernière à Dubai, la disqualification d'Andrey Rublev a été abondamment commentée. Entre ceux qui ont critiqué l'attitude outrancière du Russe et ceux qui l'ont défendu pour s'en prendre aux juges de ligne et à l'arbitre, le débat a été animé. Alors le code de conduite doit-il être assoupli ou fixe-t-il des limites claires qu'il serait dangereux de dépasser ?

Séquence folle : Rublev insulte l'arbitre en russe et se fait disqualifier

"J'espère que dans le futur, l'ATP va regarder de plus près cette règle et lui apporter des modifications, afin qu'un arbitre ne puisse décider du sort d'un match sans avoir des preuves claires et sans accorder au joueur un recours à la vidéo." S'il a aussi reconnu sa responsabilité sur les réseaux sociaux, Andrey Rublev a fait passer un message clair en prenant acte du succès de son appel – il a gardé les points et le prize money de sa demi-finale à Dubai malgré sa disqualification. Le Russe espère que son cas fera jurisprudence.
La séquence a donc été revisionnée ainsi que d'autres éléments audios et vraisemblablement aucune injure à l'encontre du juge de ligne n'a été avérée avec certitude. Car c'était bien la raison officielle de la disqualification de Rublev. Mais ne méritait-il pas de ne pas finir le match rien que pour son attitude, lui qui hurlait sa colère à la face de son interlocuteur dans une posture de nature à l'impressionner voire à lui faire peur ? De ce point de vue, difficile de ne pas faire du numéro 5 mondial le premier responsable de son propre malheur.

Bublik : "Nous pouvons facilement nous passer des arbitres et ça résoudrait bien des problèmes"

"Il y a un moment où il y a des limites à ne pas dépasser, considère notre consultant, Arnaud Di Pasquale. Et une fois que la ligne est franchie, je comprends que des règlements soient appliqués. Il n'y a pas un sport au monde où tu peux te permettre d'insulter ou d'intimider un arbitre. C'est une règle que tu dois garder. C'est une question de respect, d'éducation pour les jeunes. C'est non négociable."
Pour d'autres, la ligne, justement, est visiblement moins évidente, notamment parmi les collègues du Russe. Il est vrai que Rublev n'usurpe pas sa réputation de "gentil" et s'il perd souvent le contrôle de ses émotions sur le court, il redirige essentiellement sa colère contre lui-même. Sa frustration à Dubai, beaucoup l'ont comprise, Adrian Mannarino pointant sur X (ex-Twitter), non sans ironie, l'importance désormais de l'arbitrage électronique. Et Alexander Bublik, celui-là même qui a profité de la disqualification de Rublev, est venu à son secours en conférence de presse.
"Quand les tournois disposent de l'arbitrage électronique, nous n'avons pas ces problèmes, les joueurs ne deviennent pas fous. C'est notre passion. Nous jouons pour ça, nous vivons pour ça. Nous avons grandi en rêvant de jouer sur ces courts et dans ces stades. Et puis, un gars qui travaille depuis trois ans en tant que juge de ligne décide de quelque chose… Et on en arrive à une situation comme celle-ci. Est-ce la faute d'Andrey ? Peut-être. Est-ce la faute du juge de ligne ? Peut-être. Mais on ne peut pas enlever les joueurs, ils seront toujours là. Le tennis existe grâce aux joueurs avant tout. Nous pouvons nous passer facilement des arbitres et ça résoudrait beaucoup de problèmes", a-t-il lâché.

Exprimer ses émotions sans péter les plombs, c'est possible

Si on suit le raisonnement, Rublev n'aurait pas dérapé sans l'erreur du juge de ligne. Outre le fait qu'il est absolument impossible d'en être certain vu l'état émotionnel du Russe lors d'une fin de match sous tension, l'observation tend à déresponsabiliser le joueur de ses actes.
"Le principe même de ce sport, c'est d'essayer de faire face à ta frustration, c'est toute sa dimension mentale. Il faut gérer ses émotions, quelle que soit la difficulté qui se présente à toi : l'erreur d'arbitrage, la personne dans le public, le soleil que tu as dans le visage, le vent qui souffle force 10, les interruptions par la pluie… Ce que dit Bublik, c'est un élément qui peut rajouter de la frustration, mais des sources de frustration, il y en a partout, tout le temps", fait remarquer notre consultant. Arthur Fils, qui s'est énervé contre le superviseur à Santiago du Chili en raison de l'état des courts, peut en témoigner.
Il n'empêche, certains trouvent le code de conduite et/ou son application trop restrictifs. S'insurgeant contre le juge de ligne qui a "balancé" Rublev à l'arbitre de chaise, Mannarino, encore lui, s'est interrogé sur le nombre de matches qu'aurait terminé en 2024 un John McEnroe. Cette sévérité dans les sanctions participerait ainsi d'un circuit devenu trop lisse. Il rejoint en cela l'opinion de Patrick Mouratoglou qui a fait de l'expression des émotions un des attraits majeurs de son exhibition, l'Ultimate Tennis Showdown dont la première étape en 2024 a été remportée par… Rublev à Oslo récemment. Alors, à force de se restreindre, de tout garder en eux par peur des amendes, les joueurs entretiendraient-ils une cocotte-minute susceptible d'exploser plus violemment ?

Modifier une règle pour des cas si rares n'aurait pas de sens

Pour Arnaud Di Pasquale, ce n'est pas aussi simple. "C'est sympa évidemment d'avoir un mec un peu vivant sur un court, mais s'il balance sa chaise sur le terrain à la fin d'un match (Nick Kyrgios l'avait fait à Rome en 2019 et avait été disqualifié, NDLR), tu ne peux pas l'accepter. On est toujours obligé de fixer des limites, dans la vie aussi. Dans la rue quand tu te balades, tu n'insultes personne. Tu peux t'énerver et flirter avec ces limites. Si tu hurles sans gros mots, je ne suis pas sûr que tu prennes un 'warning'. Le sport rend complètement fou, c'est clair. J'ai moi-même pété les plombs et je suis allé m'excuser après. C'est humain, mais on est obligé de mettre des règles. Je n'ai pas l'impression que tu ne puisses rien dire. On ne peut pas insulter, manquer de respect, ou intimider. Ce n'est quand même pas pareil."
picture

Comment Rublev, hors de lui, s'est disqualifié face à Bublik

Et force est de constater que les disqualifications restent des événements exceptionnels. Outre celle bien connue de John McEnroe lors de l'Open d'Australie – pour avoir déjà entre autres intimidé et insulté les arbitres –, il y a eu évidemment celle de Novak Djokovic à l'US Open 2020 pour avoir envoyé une balle (involontairement) toujours sur une juge de ligne ou encore celle d'Alexander Zverev pour avoir frappé dans la chaise d'arbitre à Acapulco en 2022. Une explosion du nombre d'incidents de ce genre est loin d'être avérée. Alors finalement, pourquoi changer la règle ?
Et Di Pasquale de conclure : "On se dit que si on adoucit la règle, on aura plus de spectacle, mais est-ce que les joueurs concernés iront plus loin qu'ils ne vont déjà ? Pas sûr… Et est-ce que les autres, ceux qui gardent leur sang-froid, pèteraient les plombs ? Je ne pense pas, parce que s'ils ne le font pas, c'est qu'ils considèrent qu'ils sont meilleurs en jouant comme ça. Cet assouplissement du règlement accompagnerait une dizaine de joueurs sujets à ce genre de crises, même pas. Sauf exception dans le cas récent de Rublev, on cite toujours les mêmes. Les râleurs et les râleuses réguliers, on les connaît."
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité