Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Calendrier surchargé et dérégulation des exhibitions : plongée dans la grande hypocrisie du tennis

Maxime Battistella

Mis à jour 04/03/2024 à 20:04 GMT+1

La longueur de la saison tennistique fait l'objet de nombreux débats depuis des années et à quelques jours d'intervalle, Carlos Alcaraz et Andy Murray se sont opposés sur le sujet. Le premier a décrié un "calendrier trop exigeant" tandis que le second a souligné le poids croissant des exhibitions. Alors où se situe la réalité ? Panorama d'un sport aux contradictions multiples.

Murray, un final à la Agassi ?

"Parfois, les joueurs sont un peu hypocrites par rapport au calendrier. Ils l'estiment trop long, et puis ils voyagent à travers le monde entier pour jouer des exhibitions à l'intersaison auxquelles ils n'ont pas l'obligation de participer." Dans un entretien accordé au site thenationalnews.com, Andy Murray a mis les pieds dans le plat. Le champion écossais, triple vainqueur en Grand Chelem, double médaillé d'or aux Jeux Olympiques et dont la parole a évidemment du poids, a répondu à sa manière à une autre star du circuit. Carlos Alcaraz avait ainsi considéré le programme de la saison "trop exigeant" au cours d'une autre interview, accordée deux semaines plus tôt au journal argentin Olé.
Or, le Murcien a disputé deux exhibitions en 24 heures à plusieurs milliers de kilomètres de distance à la fin du mois de décembre dernier : le 27, à Riyad en Arabie saoudite contre Novak Djokovic, et le 28 à Murcie, en Espagne, contre Roberto Bautista Agut. A ceci s'ajoute le "Netflix Slam" auquel il a pris part à Las Vegas face à Rafael Nadal dimanche. Difficile en effet de ne pas souligner ici une certaine incohérence entre les propos du prodige espagnol et ses actes.

Une saison certes trop longue, mais les cadors peuvent la gérer

"C'est aussi un apprentissage pour un joueur aussi jeune qu'Alcaraz, de bien gérer son programme, et ce même s'il est très bien conseillé, observe notre consultant Arnaud Clément. Ce n'est pas si facile de dire non, parce qu'il y a des centaines et des centaines de milliers de dollars en jeu pour une apparition de ce type. Mais une carrière se joue sur la longueur. Et celui qui s'est permis de répondre à Alcaraz comme ça, il a plutôt bien géré sa carrière de ce côté-là…"
Cela étant dit, il y a évidemment du vrai dans ce que souligne "Carlitos". La saison actuelle court du 29 décembre 2023 au 24 novembre 2024 avec 66 tournois et les trois seules semaines qui en sont dépourvues mettent en scène la Coupe Davis. Cette dernière intervient en plus à chaque fois juste après un grand événement : barrages du 1er au 4 février dans la foulée de l'Open d'Australie, phase de poules du 10 au 15 septembre consécutive à l'US Open et phase finale du 19 au 24 novembre après le Masters. Dans ce contexte, les impasses faites par les grands joueurs vis-à-vis de la compétition par équipes séculaire sont plus que compréhensibles.
Mais par ailleurs, les cadors n'ont évidemment pas besoin de s'aligner en compétition toutes les semaines, le classement ATP étant calculé sur 19 résultats dont les quatre Grands Chelems et huit Masters 1000 obligatoires. Et à vrai dire, bien que tout jeune encore, Carlos Alcaraz l'a bien compris puisqu'il n'a joué que 17 tournois en 2023, prenant au cours de la saison une vingtaine de semaines pour récupérer, se soigner et/ou s'entraîner.

Les gros ont besoin de protection, les petits d'opportunités

Cela ne signifie pas pour autant que le Murcien n'éprouvait pas une fatigue légitime. De Buenos Aires en février à Wimbledon en juillet l'an dernier, il a ainsi disputé pas moins de 52 matches (48 victoires pour 4 défaites), gagnant 6 tournois sur 10. Sur le papier, l'enchaînement est infernal, mais il ne le doit qu'à ses performances extraordinaires : Alcaraz n'a pas joué toutes les semaines mais il allait au bout de la plupart d'entre elles. Et il a logiquement accusé le coup par la suite, finissant la saison avec 77 matches au compteur (soit 25 "seulement" disputés lors des quatre derniers mois de compétition), loin des 97 de Roger Federer lors de sa folle saison 2006 (92 victoires - 5 défaites) par exemple.
picture

"Cette finale entre Alcaraz et Djokovic a été le tournant de la deuxième partie de saison"

A vrai dire, l'équilibre est difficile à trouver pour l'ATP. Avec sa réforme des Masters 1000, l'instance dirigeante a favorisé l'élite en étalant ces tournois dans le temps (octroyant ainsi des jours de repos supplémentaires entre les matches), balisant des semaines aux dépens des ATP 250. Mais elle ne peut se permettre de réduire trop la voilure pour donner aux joueurs moins bien classés une opportunité d'engranger points et prize money dès la semaine suivant une élimination précoce.

Les exhibitions concurrencent désormais le circuit traditionnel

L'intersaison, qui se résume essentiellement au mois de décembre, est évidemment trop courte. Mais les cadors ont – et il faut bien le dire – du mal à résister à l'appel du dollar. Pendant cette période traditionnellement dédiée au repos et à la préparation, a lieu par exemple la très lucrative Diriyah Tennis Cup en Arabie Saoudite depuis 2019. En 2022, elle distribuait 3 millions de dollars à ses participants dont 1 million au vainqueur, soit autant que pour le gain d'un Masters 1000. Et désormais, la dérégulation est telle que ces exhibitions ont aussi lieu pendant la saison, en concurrence avec le circuit traditionnel.
picture

Une cheville qui se bloque dès le deuxième point : Comment Alcaraz s'est blessé

Outre ce "Netflix Slam" à Las Vegas, Alcaraz a d'ores et déjà accepté de participer à la Laver Cup (20-22 septembre prochains) deux semaines après l'US Open et au "6 Kings Slam" en octobre, encore en Arabie Saoudite, aux côtés de Nadal, Djokovic, Daniil Medvedev, Jannik Sinner et Holger Rune. A ceci, il faut ajouter l'Ultimate Tennis Showdown de Patrick Mouratoglou, créé pendant la crise de la Covid-19 en 2020, et ses quatre dates en 2024 (9-11 février, 20-22 août, 17-20 octobre et 5-8 décembre). Alors évidemment, l'overdose menace. Il est d'ailleurs assez révélateur que Rune ait préféré l'épreuve UTS d'Oslo à l'Open 13 de Marseille, prétextant une blessure pour se retirer du tournoi ATP 250.
"On entend beaucoup de joueurs se plaindre du rythme du tennis. Le calendrier est en effet très dense, mais à chaque fois que l'ATP libère une place, il y a une exhibition qui s'y met et beaucoup de joueurs de renom qui y participent parce qu'il y a des enjeux financiers importants, résume Arnaud Clément. Ce sont des choix à faire et je suis assez d'accord avec Murray : chacun est libre de son programme et personne n'oblige des joueurs à aller jouer des exhibitions."
Les joueurs plus anonymes - y compris dans le Top 100 - n'ont, eux, pas l'occasion d'y participer et se plaignent moins du calendrier. Alors avant de refondre encore ce dernier, ne serait-il pas avisé de réguler davantage les exhibitions ? Quant il s'agit de gros sous, le bon sens est souvent secondaire.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité