Forget explique tout

Quand fallait-il faire jouer Tsonga dans le week-end en Espagne ? Fallait-il le préserver à tout prix pour le dimanche ? Et finalement qui pour faire face aux meilleurs joueurs du monde sur terre battue ? Ces questions, Guy Forget se les est posées pendant plusieurs jours avant de trancher dans le vif. Et finalement, son choix s'est fait de lui-même, a expliqué samedi le capitaine des Bleus après un double parfait, venu adoucir le choc de la journée de vendredi. Tout est parti du début de semaine, lorsque Gaël Monfils a déclaré forfait. A partir de ce moment-là, il savait que l'équilibre qu'il espérait tant n'allait pas pouvoir se réaliser. Avec le N.1 français, spécialiste de terre battue et des matches à rallonge en moins dans le groupe, c'est une chance (déjà fine) de plus de battre l'Espagne chez elle à Cordoue qui s'évaporait.

Son équipe rêvée : Monfils-Tsonga en simple. Et Llodra-Gasquet en double. Avec cette "configuration idéale", il avait ses deux hommes forts, plus une équipe de double qui "tient la route" avec un troisième joueur de simple. Sans Monfils, l'édifice s'écroule. "C'est comme à Belgrade : si Jo est avec nous, c'est un autre match. Là, c'est la même chose : avec Monfils, j'aurais été bien plus serein." Le choix de faire jouer Gilles Simon et Richard Gasquet le vendredi d'entrée de demi-finale reste quand même surprenant. A cela, Forget rétorque : "Jo n'était pas prêt. Il n’était pas bien mercredi à l’entraînement et il fallait que je donne ma liste le jeudi. Je ne pouvais pas l’envoyer face à David Ferrer. J'ai assisté à son entraînement : Ferrer est un pitbull sur une terre battue qui n’avance pas. Et ce n'est même pas dit que Jo puisse gagner. Il aurait été surtout rincé et vu son état de forme après être rentré des Etats-Unis, je n'étais pas sûr qu'il récupère à temps pour jouer dimanche."

Envoyer Gasquet face à Nadal et Simon face à Ferrer a donc permis à Tsonga de récupérer. L'enchaînement des compétitions sans période de ménagement est un problème pour les joueurs mais aussi pour les capitaines de Coupe Davis. "Il faut avoir tous les meilleurs joueurs de France en même temps pour être compétitif au plus haut niveau. Sinon, c'est mission presque impossible. Mais mon rôle est de la rendre tout de même envisageable. Et je pense qu'avoir laissé du temps à Tsonga était la meilleure option." C'est pour cette raison que l'attitude défaitiste avant l'heure de Gasquet et Simon ne lui a pas plu : "Je savais que Richard et Gilles n'avaient pas le niveau d'un Nadal et d'un Ferrer sur terre battue, mais aborder ce match comme ils l'ont fait n'était pas bon non plus. Après la gifle reçue vendredi, il fallait une réaction. Et Jo et Mika ont été parfaits."

Grâce à un match plein des deux Français samedi après-midi, Forget tient au moins un des deux points qu'il visait sur les deux premières journées. "Verdasco et Lopez ne sont pas les frères Bryan. Je savais qu’ils allaient exploser rapidement si on les embêtait suffisamment dans le jeu, ce ne sont pas Nadal et Ferrer. Après une grosse mise au point vendredi soir, j'attendais une réaction de leur part, il fallait leur répondre car il y avait un compte à régler avec eux. Ils l’ont fait avec la manière, je suis fier d’eux."

Malgré un samedi réussi, rien ne dit que le dimanche sera aussi parfait : quid des deux prochaines rencontres ? Qui aligner face à Nadal dimanche midi ? Garder Simon comme annoncé ou changer la donne ? Pour ce défi ultime, Forget a vu Tsonga faire un pas franc en avant en levant le bras : "Je veux jouer ce match face à Rafa. C'est un challenge très excitant. Je sais que rien n'est encore acté, mais je suis très motivé pour relever le défi." "Il y a deux jours, il ne disait pas cela, avoue le capitaine, surpris, preuve qu'il va mieux et qu'il monte en puissance." Son punch et sa vivacité sur le court samedi finiront sans doute par convaincre Forget de le lancer dans l'arène.

Pourtant, la limite de la stratégie "protectrice" de Forget commence ici : lui-même ne sait pas encore quoi faire dimanche... Si JWT affronte Nadal dans le match des N.1 et parvient à le battre au terme d'un exploit qui resterait longtemps dans les annales, ni lui, ni Simon ne pourront jouer face à David Ferrer dimanche soir. Le sort de l'équipe dans le dernier simple alors décisif reviendrait dans les mains de Richard Gasquet ou Michaël Llodra, derniers choix possibles. Deux joueurs dont Forget sait pertinemment que leur niveau ne suffira pas à déstabiliser le Ferrer qui fait tant peur au capitaine tricolore depuis le début de la semaine. Garder encore Tsonga pour le dernier match est dangereux dans la mesure où ce serait se priver d'une arme importante face au meilleur joueur espagnol et relancer Simon au casse-pipe face au Taureau de Manacor en espérant un exploit dans le quatrième match... Le choix cornélien de Forget pourra être retourné dans tous les sens : il faudra beaucoup de patience et presque un miracle pour voir la France en finale de la Coupe Davis 2011.