"Elles sont 30 à 60 % plus lentes qu'avant…" : Les balles, vrai problème du circuit, faux alibi pour les joueurs
Publié 29/11/2024 à 23:37 GMT+1
Ces deux dernières années sur le circuit ATP, le sujet des balles revient inlassablement sur le tapis. Les joueurs se plaignent d'une baisse générale de leur qualité, des changements constants de marques et de leur responsabilité quant à la multiplication des blessures. Au Masters, le problème, réel, a encore été disséqué, mais les joueurs ne se cachent-ils pas aussi un peu derrière ?
Alexander Zverev aux ATP Finals à Turin en 2024
Crédit: Getty Images
Aurait-il déjà pensé à sa reconversion en journaliste d'investigation ? Membre du conseil des joueurs, Alexander Zverev est une voix qui compte sur le circuit et il a décidé de s'attaquer à un problème dont se plaignent de plus en plus fréquemment ses collègues, celui des balles. Depuis deux ans, ces dernières ne satisfont pas grand-monde. En cause, leur qualité intrinsèque supposée en baisse et leur trop grande diversité. S'appuyant sur des sensations assez unanimement partagées, le numéro 2 mondial a mené sa petite enquête auprès des fournisseurs dont il a dévoilé les enseignements en conférence de presse au Masters.
"Depuis le Covid, toutes les entreprises – pas seulement Dunlop qui a toujours été la meilleure dans ce domaine – ont vu la qualité de leurs balles beaucoup baisser. J'ai toujours adoré les balles Penn par exemple et elles sont devenues plus lentes. Pourquoi ? Parce qu'à cause du Covid, les entreprises ont essayé de réduire leurs coûts de production en utilisant un type de caoutchouc différent. C'est un matériau différent qui rend en moyenne les balles 30 à 60 % plus lentes par rapport à avant le Covid. Les balles ne sont plus aussi constantes, elles ne durent plus aussi longtemps", a-t-il expliqué.
Et l'Allemand de préciser : "Par exemple, avant, les balles Dunlop étaient très rapides quand elles étaient neuves puis elles grossissaient. Quand elles grossissaient, elles volaient quand même encore bien parce que l'air à l'intérieur, la pression ne baissait pas. La balle ne faisait que pelucher. Ce qui arrive maintenant, c'est que les balles de tennis perdent peu à peu en pression à cause du matériau. Elles ne font pas que pelucher, leur pression interne chute de façon drastique."
Si vous n'avez pas la puissance d'un Alcaraz ou d'un Sinner, alors vous jouez un tennis monotone
Plus difficiles à faire avancer et moins vives par définition, les balles utilisées désormais sur le circuit prennent moins les effets et rendent les coups gagnants plus difficiles à frapper en théorie. Car si le jeu est ralenti, alors il est plus facile de défendre et de faire jouer un coup de plus à l'adversaire. Voilà qui va dans le sens d'une uniformisation des styles encore plus prononcée, avec des joueurs de plus en plus capables d'allonger les échanges. Spécialiste de l'exercice, Daniil Medvedev ne devrait a priori pas s'en plaindre, mais de plus en plus de ses collègues peuvent désormais l'affronter dans sa filière, ce qui génère une forme d'usure.
"C'est le tennis de nos jours : si vous n'avez pas la puissance d'un Alcaraz ou d'un Sinner pour accélérer une balle morte, alors vous jouez un tennis monotone, sans arrêt. Il n'y a plus de tactique dans certains matches, vous jouez simplement où vous pouvez", a lancé le Russe lors d'une interview accordée à une consœur russe à Turin. C'est tout le paradoxe de cette baisse de qualité globale des balles : elle nivelle le jeu, amoindrit les écarts de qualité technique entre les joueurs, mais permet aussi à ceux qui frappent le plus fort et avec le plus de précision de se distinguer.
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Après le craquage, la question qui fâche : Medvedev donne-t-il une bonne image du tennis ?
Video credit: Eurosport
Avec son service de canonnier et sa lourdeur de balle naturelle, Alexander Zverev correspond au profil type du joueur favorisé par cette évolution. Mais il s'inquiète d'une autre conséquence de plus en plus crainte sur le circuit. "Je n'ai pas de raison personnelle de m'en plaindre : je suis numéro 2 mondial, j'ai fait une super saison. Je pense juste que sur le long terme, c'est un gros problème de santé pour les joueurs", a-t-il encore souligné.
Très différentes selon les tournois, les balles ont leur part dans l'usure des corps
Et pour cause, Stefanos Tsitsipas, touché à une épaule en février 2023, avait été l'un des premiers à élever la voix. S'appuyant aussi sur les blessures de ses collègues, dont Sebastian Korda touché à un poignet quelques semaines plus tôt à l'Open d'Australie, il avait plutôt alerté sur la multiplicité des types de balles utilisées sur le circuit, chaque tournoi ayant son contrat avec son propre fournisseur. Ses changements constants nécessitent une adaptation permanente des joueurs et des compensations sur le plan physique qui fragilisent les articulations.
En début de saison 2024, l'ATP a réagi en annonçant son intention de pousser pour l'utilisation de balles similaires par séries de tournois : par exemple pour la tournée du printemps sur terre battue ou celle en indoor à l'automne. Mais l'horizon est encore flou, Andrea Gaudenzi, président de l'instance, ayant annoncé lors du Masters qu'il faudrait "attendre une année ou deux que les contrats signés par les tournois arrivent à expiration."
Pourquoi ne pas aller jusqu'à utiliser un seul et même type de balle toute l'année ? Tout simplement parce que cela ne contenterait pas non plus les joueurs qui ne préfèrent pas tous les mêmes marques. "Il faudrait trouver quelque chose de plus stable, plus cohérent. Mais il y aura toujours des joueurs qui se plaindront parce que leurs styles sont différents. Ce qui est sûr, c'est que le tennis est devenu de plus en plus physique, les joueurs sont de plus en plus complets et sont capables de se défendre, de tenir la balle dans le court. C'est un sujet, mais attention à ne pas se déresponsabiliser non plus sur ce sur quoi on a la main", avertit Justine Henin, consultante pour Eurosport.
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Le tennis, un sport finito après le Big 3 ?
Video credit: Eurosport
une diversité à préserver avec bon sens
Car les plaintes de Medvedev et de Rublev – qui a, lui, regretté avoir moins de contrôle sur les balles actuelles – sont aussi celles de joueurs un peu plus en difficulté ces derniers temps et dépassés par les Alcaraz et Sinner. Quelle est leur part de responsabilité dans leur stagnation ou leur difficulté à se réinventer par rapport à un matériel dont ils déplorent la qualité ?
"Je crois que c'est bien d'avoir des périodes où il se passe des choses différentes, où des joueurs peuvent tirer leur épingle du jeu d'une autre manière. C'est bien que les conditions changent. Sinon, on voit le même type de match et je trouve que c'est déjà de plus en plus stéréotypé. Tous ces changements, c'est complexe pour la santé des joueurs, mais c'est aussi leur métier de s'adapter en permanence", résume Justine Henin.
Tout est une question de fréquence et de dosage : changer de balles tous les mois n'aurait pas les mêmes répercussions physiques que de le faire de semaine en semaine. À défaut de retrouver à court terme de meilleures balles, il faudrait donc exploiter leur diversité avec plus de bon sens : utiliser une certaine marque en fonction d'une certaine surface et de ses propriétés (vitesse, abrasivité). Cohérence n'est pas synonyme d'uniformisation généralisée.
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