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Histoires de familles (3) : L'Espagne de Pato Alvarez

Eurosport
ParEurosport

Publié 24/04/2015 à 09:57 GMT+2

Règlements de compte, soutien psychologique, famille nombreuse et héritages, voici le point sur la famille du tennis en visite chez l'Oncle d'Amérique. Troisième épisode : L'Espagne selon le patriarche Pato Alvarez.

Histoires de familles (3) : L'Espagne de Pato Alvarez

Crédit: Eurosport

Du haut de ses 74 ans et de ses deux titres de meilleur coach de l'année ATP, Pato Álvarez observe le tennis mondial et espagnol. Il sait tout du tennis moderne, et tout du tennis espagnol. "Pato, c'est moitié fanfare, moitié symphonie", dit de lui Victor Ferré son biographe. Pato, Colombien de naissance et Espagnol d'adoption, qui vit à Barcelone depuis 1972, est un homme que tout le monde écoute avec attention. Comme un patriarche amuse la galerie lors des réunions de famille en distillant moqueries et jugements définitifs auxquels personne n'ose répondre, il a récemment offert ses commentaires lors d'un entretien avec Tomas de Cos du quotidien hispanique As. Il y explique comment rester jeune (en entraînant par exemple Grigor Dmitrov), et surtout pourquoi Andy Murray est meilleur que Rafael Nadal et comment Roger Federer se repose sur son talent.

Pato le patriarche

Imaginez un repas de fin d'année à Barcelone. Tous les grands joueurs du pays sont là, et on porte un toast à celui qui a passé plus de 15 ans au sein de la Fédération Espagnole et qui occupe toujours une place de choix dans l'Académie Sanchez-Casals. On lui demande poliment un discours, et tout le monde en prend pour son grade, non sans humour...

Pato, levons un verre au tennis espagnol qui compte 12 représentants dans le top 100, et qui vit le meilleur moment de son histoire, non ?
. Pato, voix grave, répond comme Marlon Brando : "Ces dernières cinq années, le niveau du tennis espagnol a beaucoup baissé. Il y a des joueurs dans le top 100 mais ils sont tous déjà assez "vieux". Derrière Nadal il n'y a personne, et ceux qui viennent ensuite évoluent à niveau très bas. On ne voit aucune possibilité de les voir aller plus haut. Il n'y a aucun "Dimitrov". La Fédération a délaissé le tennis de base et de nombreux joueurs évoluent avec des entraîneurs privés."

Derrière Nadal, il n'y a personne

L'ambiance est plombée, quelqu'un se lance : Dans cette Armada (sous-entendu, l'Espagne a tout de même remporté la Coupe Davis sans Rafael Nadal...), qui préfèrez-vous ?
. Réponse nette de Pato : "La vérité, c'est qu'aucun ne me plaît. Verdasco, je le vois trop lourd et je ne pense pas qu'il dure longtemps. On l'a vu trop beau et je ne pense pas qu'il puisse récupérer assez bien des efforts qu'il fournit et enchaîner les tournois. Ferrer, je le sens bien mais il est très petit. Il ne peut pas compter sur les 20 points qu'un joueur doit gagner sur ses points gagnants. Feliciano Lopez aurait pu être un très bon joueur mais il n'a pas fait ce qu'il fallait pour. Il n'a pas supporté de souffrir et de se sacrifier pour l'être. Ferrero joue bien, mais c'est un "ancien". Almagro lui aussi est assez lourd. Il frappe bien mais il ne bouge pas bien."

Pato observe tout son monde avec aplomb. Emilio Sanchez, vainqueur de la Coupe Davis en tant que capitaine ? Il n'y est pas étranger : "Emilio, c'est comme un fils pour moi, j'ai été l'unique entraîneur de sa carrière. Il fait un parfait capitaine. Je lui ai donné quelques conseils. Quand un des mes joueurs gagne, c'est comme si je gagnais aussi." Pato Clavet, entraîneur de Feliciano Lopez ? Je l'aime bien, il entraîne selon la méthode que je lui ai enseigné (les fameux "cubes"). Mais on essaie toujours de m'imiter et personne ne m'égale", finit dans un rire Alvarez. A 74 ans, il se sent d'ailleurs capable de faire la leçon à tout le monde.

Oubliez Nadal, pensez Murray et Dimitrov

Au-delà de l'Espagne, il ne jure aujourd'hui que par Grigor Dimitrov. Ce Bulgare qui a décidé comme Anastasia Pavlyuchenkova et Michelle Larcher de Brito de rejoindre Team Mouratoglou (qui avait perdu Marcos Baghdatis et un peu de sa crédibilité ses dernières saisons), est le "tennis de jouvence" du vieux Pato.  "Il est en avance sur les meilleurs à son âge (17 ans)" s'enflamme-t-il en rappelant quelques faits de match de cette saison. Une petite lueur dans les yeux, il souligne que Grigor "est parti mais qu'il pourrait revenir". Puis, pris par la nostalgie, il vante les mérites d'Andy Murray, qu'il a suivi à Barcelone pendant le séjour de l'Ecossais (deux ans dans l'Académie) et qui "l'appelle souvent", puis remet brusquement Rafael Nadal et Roger Federer à leur place.

Nadal, il l'avait vu venir. En 2001-2002, il annonce qu'il sera un grand joueur. Maintenant, il relativise : "Nadal est très bon parce qu'il a un esprit combatif que personne d'autre n'a. Murray est un meilleur joueur, plus complet, il sert et volleye mieux, mais il ne se bat pas comme Nadal. Le tennis, c'est du coeur, de la tête et de pieds. Et Nadal a tout ça. Nadal n'est pas obsédé par les points gagnants. Il va faire en sorte de maintenir la balle dans le court en changeant de direction jusqu'à ce que l'autre se fatigue, prenne des risques et fasse la faute."

Nadal est perdu sur un court et Federer donne trop de points

Pato n'a pas la barbe du sage mais il en impose. Le futur de Nadal est incertain, il le confirme : "S'il se blesse à nouveau, cela lui coûtera encore plus car il devra recommencer à gagner plusieurs tournois de suite. Je crois que Murray sera supérieur à Nadal parce qu'il possède plus de jeu, il frappe plus fort, il sert mieux et il volleye mieux. Il est plus acrobatique sur le court." Il martèle son jugement, définitif. L'audience est bouche bée. "Nadal est un peu perdu sur le court. Murray, au contraire, t'enferme de tous les côtés. Et Dimitrov sera encore meilleurs qu'eux deux."  Tout le monde se relâche un peu. Dimitrov n'a encore rien montré. Pato peut encore se tromper. Il enchaîne pourtant sur le cas Federer. Le meilleur joueur du monde ? "Il joue avec talent, il sert très bien et il fait beaucoup de points gagnants mais il lui manque la 'garra' '. Je vous laisse traduire la garra selon votre inspiration. La "niaque", le "fighting spirit" ? Pato est sur son nuage : "Il devrait seulement améliorer son attitude. Il joue en toute décontraction parce qu'il se sent supérieur mais il donne beaucoup de points. Il devrait aussi améliorer la vitesse de son jeu de jambes."

Si Pato avait coaché Federer, il lui aurait appris à serrer le jeu

Federer, c'est aussi le roi d'une période creuse : "Il y a vingt ans, vingt joueurs pouvaient gagner un tournoi du Grand Chelem. Aujourd'hui, trois : Federer, Nadal et Murray. Le niveau du top 10 a beaucoup baissé malgré la hausse du niveau du top 50 et même du top 1000." Le silence est fait. Je ne sais pas si Pato fume le cigare, mais en lisant ces déclarations, je l'imagine fumer le cigare avec les pieds sur la table. Tout est cohérent dans la vision de Monsieur Alvarèz.

Pour lui, comme pour Rafael Nadal d'ailleurs à qui Marca posait la question il y a plus d'un mois, Federer n'est pas le meilleur de l'histoire du tennis. C'est Rod Laver. Parce que l'Australien jouait son meilleur tennis pendant ses années passées chez les professionnels, loin des tournois du Grand Chelem encore "amateurs" (de 1963 à 1967) et qu'il avait réussi deux Grand Chelem en 1962 et 1969. Deux exploits que l'on a par revu depuis. "Laver était très stable. Pour lui prendre un point, il fallait le tuer. La seule chose que Federer a de plus, c'est qu'il est plus grand. Il domine en fond de court et au filet, mais pas au milieu du court. Il prend trop de risques et improvise trop. Au tennis, c'est celui qui est le plus stable qui gagne. Il faut jouer au moins six coups et changer de direction. Si j'avais été son entraîneur, je lui aurais appris à serrer le jeu."

Pato pourrait continuer ad vitam aeternam, cela se sent. je vous laisse continuer cette soirée imaginaire interminable avec le véritable entretien sur le Blog Matchball. Vous y découvrirez d'autres anecdotes sur le tennis espagnol, dont celle de Julian Alonso, qui a préféré l'amour au tennis, et le vrai visage de cet homme hors du commun, pour qui le succès passe avant tout par le travail. A 74 ans, son point de vue impose une sacrée remise en question du tennis espagnol. Si Dimitrov fait mieux que Nadal, on reparlera bientôt de lui dans les salons d'une Fédération Espagnole déjà secouée par le conflit entre son président et Nadal.
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