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Laver Cup : Coup d'essai, coup de maître, coup de cœur

Laurent Vergne

Mis à jour 25/09/2017 à 14:36 GMT+2

LAVER CUP – A Prague, pendant trois jours, Federer, Nadal, Kyrgios, McEnroe et les autres ont bousculé le monde du tennis en créant l'évènement. Il aura suffi d'un week-end pour que la Laver Cup trouve ses marques. Une vraie réussite.

Rafael Nadal et Roger Federer lors de la Laver Cup.

Crédit: Getty Images

Avant ce week-end, je n'avais pour la Laver Cup ni enthousiasme délirant ni dédain de principe. Je ne me sentais ni l'âme d'un avocat ni celle d'un procureur. Plutôt celle d'un témoin. J'étais intrigué. Je demandais à voir. Comme tout le monde, j'ai donc vu. Vu quoi ? Du tennis de qualité. Un immense succès populaire (83000 spectateurs au cumul des cinq sessions sur les trois jours et, au passage, quel excellent choix que celui de Prague, comme celui de Chicago l'an prochain, deux villes sevrées de tennis de très haut niveau). Un schéma plutôt bien ficelé avec le système de points progressifs au fil du week-end pour maintenir le suspense le plus longtemps possible. Un rendu visuel et graphique plaisant avec ce court tout noir. Mais si tout ceci n'est pas négligeable, cela demeure secondaire.
L'essentiel est ailleurs. Le plus important à l'heure du bilan, c'est l'implication et la passion mise par les protagonistes de cette nouvelle affaire. C'était ma plus grande interrogation : Laver Cup, Super exhibition ou vraie compétition ? Pour rappel, voici ce que j'avais écrit vendredi : "Ce sont eux, les joueurs, qui détermineront la place que peut tenir la Laver Cup dans le paysage tennistique des 10 ou 15 prochaines années, voire au-delà. S'ils y mettent d'eux-mêmes, s'ils y greffent de la passion, s'ils montrent sur le court que cette épreuve compte pour eux, nul doute qu'elle s'imposera." Le moins que l'on puisse dire, c'est que les joueurs y ont mis du leur, et même du cœur.

Les joueurs ont joué le jeu et se sont pris au jeu

Ma crainte, c'était que la Laver Cup ne se transforme en une gigantesque opération de comm' et ne soit pas grand-chose d'autre. Le plan marketing, impeccablement rodé, a parfois été étouffant, de la photo du toss avec Anna Wintour au pré-show massif du jeudi soir. Comme si le nouveau-venu, par manque de confiance en lui-même, avait éprouvé le besoin d'en mettre constamment plein la vue. C'est un tort car, en réalité, et c'est là la grande leçon du week-end, l'épreuve se suffisait à elle-même et c'est quand le tennis a pris le pouvoir que la Laver Cup a trouvé sa substantifique moelle.
Ce fut particulièrement vrai dans le tout dernier match, de loin le meilleur et le plus excitant, l'enjeu s'alliant à la qualité, entre Roger Federer et Nick Kyrgios. Sans doute une des 10 plus belles rencontres de la saison. Mais c'est surtout dans la réaction des protagonistes juste après la balle de match que tout a été dit. C'est là, dans ces quelques poignées de seconde, que tient le succès de cette première Laver Cup. Kyrgios en larmes. Federer euphorique et Nadal qui bondit du banc pour lui sauter dans les bras. J'ai vu là beaucoup de spontanéité, des deux côtés du terrain.
Si tout ça n'était qu'une vulgaire machine à fric déguisée en exhibition de pacotille, pourquoi des réactions aussi fortes au niveau émotionnelle ? Parce que la Laver Cup est déjà autre chose qu'une exhibition. Vouloir la réduire à cela, c'est une erreur. Ce n'est pas une vraie épreuve officielle, elle ne rapporte pas de points ATP, n'est reconnue ni par l'ITF ni par l'ATP, mais c'est en tout cas d'ores et déjà un vrai rendez-vous. Parce que les joueurs ont joué le jeu et, plus encore, parce qu'ils se sont pris au jeu, peut-être même au-delà de ce qu'ils imaginaient.
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Le capitaine Björn Borg déguste le champagne dans le trophée de la Laver Cup, entouré par ses joueurs et sous l'oeil amusé de Roger Federer

Crédit: Getty Images

Plaisir trans-générationnel

S'il n'avait "pas d'inquiétude" sur le sérieux de chacun sur le terrain, Federer a avoué avoir été agréablement surpris par la façon dont les joueurs ont agi et réagi sur le banc. Plusieurs d'entre eux, initialement, avaient prévu de rester à l'hôtel pour rester au calme et se préparer. Mais tous ont préféré vivre le moment à fond, profiter de l'ambiance et de chaque instant. Cette excitation presque juvénile, ce fut par exemple celle d'un Nadal, remonté comme un coucou pour soutenir Federer pendant son match contre Kyrgios. Il faudrait être rachitique du palpitant pour ne pas voir dans l'attitude d'un Nadal l'expression d'un réel plaisir. Le numéro un mondial n'a plus l'âge et pas le caractère à simuler ses émotions.
Après ce week-end, il me parait quand même très audacieux, et pour tout dire presque inconscient, de balayer d'un revers de main cette Laver Cup. Trois jours lui ont suffi pour s'installer. Elle a offert un des matches de la saison et une des images de l'année avec le double Federer-Nadal. Est-ce que cela répondait à un besoin ? Je ne sais pas. Mais à un désir, sans aucun doute, oui. Celui de joueurs qui ont trouvé à Prague quelque chose qu'ils n'avaient pas ailleurs sur le circuit. D'ailleurs, Nadal a d'ores et déjà annoncé qu'il serait encore là l'an prochain.
Le plus bluffant, ce fut de voir John McEnroe, capitaine de 58 ans, prendre son pied autant que Nick Kyrgios, de 36 ans son cadet. Ce plaisir trans-générationnel est peut-être le plus joli succès de ce week-end tchèque. Un Kyrgios qui, en l'espace d'une semaine, a joué à fond une demi-finale de Coupe Davis et la Laver Cup. Preuve que tout ceci n'est pas (forcément) incompatible.
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Nick Kyrgios lors de la Laver Cup

Crédit: Getty Images

Une identité ne s'achète pas

Il reste beaucoup de questions, j'ai encore certaines réserves, par exemple cette notion de "Team World". Le processus d'identification ne me parait pas évident quand une équipe est composée de joueurs issus de quatre continents. Si, une année, la Laver Cup se joue aux Etats-Unis et qu'il n'y a quasiment aucun joueur américain, cela sera un problème. Prague a plutôt rassuré à ce sujet, mais la cohésion de l'équipe guidée par Big Mac a été facilitée par la présence de quatre Américains et par le fait que Kyrgios soit très proche d'un Jack Sock. Mais cette unité-là ne sera pas forcément évidente à terme. Quoi qu'il en soit, il serait injuste de demander à une toute nouvelle épreuve d'être parfaite.
Pendant trois jours, j'ai vu des joueurs qui prenaient énormément de plaisir et qui en ont donné tout autant. J'ai vu des joueurs et des équipes qui avaient envie de jouer, et de gagner, ce qui est plus important encore. Avec des moyens hors normes, de gros sponsors et la double caution Federer-Laver, il était aisé de monter cette nouvelle épreuve. Mais une identité ne s'achète pas. Elle se façonne. Grâce à ses acteurs, la Laver Cup, me semble-t-il, en a déjà une.
"Le temps dira à quel point la Laver Cup peut devenir importante", a soulevé Federer en guise de conclusion dimanche soir. Il a raison. Personne ne peut en présager. Mais elle est vraiment bien née, avec ce petit goût de reviens-y propres aux plats les plus succulents.
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