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"Noah m'a porté dans ses bras quand j'avais 5 ans" : Antoine Couvercelle, enfant de la balle jaune

Bertrand Milliard

Mis à jour 02/06/2022 à 15:05 GMT+2

LES GRANDS ENTRETIENS DE ROLAND - Tout au long de cette quinzaine, Bertrand Milliard vous propose une série d'interviews avec des personnalités de divers horizons pour apporter un autre regard sur le tennis. Jeudi, c'est au tour d'Antoine Couvercelle de se livrer. Photographe bien connu dans le monde du tennis, il a baigné dans ce milieu dès son enfance, par l'intermédiaire de son père.

Yannick Noah en 1983.

Crédit: Getty Images

Fils de Jean Couvercelle, fondateur de Tennis Magazine, et baigné dès sa plus tendre enfance dans le milieu du tennis, Antoine Couvercelle est resté dans ce sport par le biais de la photographie. Aujourd’hui âgé de 44 ans, il a fait sa place sur le circuit dans ce métier de passion, exigeant, qu’il nous fait découvrir au cours de cet entretien.
Antoine, vous portez un nom qui parle beaucoup aux fans de tennis puisque votre père a fondé au milieu des années soixante-dix le célèbre mensuel Tennis Magazine. Vous êtes né deux ans après la création du journal et avez donc baigné dedans dès votre prime enfance, j'imagine ?
A.C. : Exactement. Tennis Magazine, c'est comme mon grand frère, il fait partie de la famille. Nous avons tous baigné dedans. Moi, j'étais un peu plus passionné que mes deux sœurs, qui sont à peu près de la même génération que moi. J'ai tout de suite été pris par la passion du tennis et je suivais mon père sur quelques reportages. J'ai eu la chance d’aller à Monte-Carlo où j'ai de super souvenirs, à Wimbledon aussi et bien sûr à Roland-Garros où je passais beaucoup de temps puisque mon lycée était juste en face. Pendant le tournoi, je n'avais qu'à traverser la rue pour venir voir les matchs, entre midi et deux ou à la sortie après dix-sept heures et je faisais les fins de journée à Roland pendant toute la quinzaine.
Tennis Magazine était un monument pour les amateurs de ce sport. Vous y avez rapidement travaillé. Votre père vous a-t-il laissé le choix ou êtes-vous tombé de toute façon directement dans la marmite comme Obélix ?
A.C. : Il m'a laissé le choix, c'est moi qui ai vraiment pris cette option là. J'avais donc la passion du tennis depuis tout jeune grâce au journal et grâce à mon père, et puis j’ai été pris de passion également pour la photo vers l’âge de quinze ans. J’ai lié ces deux passions et je suis rentré par ce biais là. Au début, je ne voulais pas forcément être photographe de tennis, j'avais plutôt dans l'idée d’être journaliste, mais, adorant la photo, je suis entré par cette porte-là et plus les années passaient, plus j'aimais ce métier, donc j'ai continué dans la photo et aujourd’hui je suis encore très heureux de faire ce métier. Je me rends compte de la chance que j'ai de faire un métier que j'aime, de pouvoir lier mes deux passions, de voyager. Je n'en suis pas encore rassasié, j'aime toujours ça.
Beaucoup de personnes connues du monde du tennis ont collaboré à Tennis Magazine. Votre père a dû côtoyer quelques stars. Est-ce qu'enfant ou adolescent, vous avez eu l’occasion de rencontrer ces stars du tennis ?
A.C. : On côtoyait surtout Yannick Noah, parce que c'était vraiment un ami de la famille. C'est le parrain de ma petite sœur et c'est vrai qu'à l’époque, les journalistes avaient des liens un peu plus étroits avec les joueurs. Yannick était très proche de mon père, il venait à la maison, c'est vraiment quelque chose qu'on ne pourrait plus voir, ou pratiquement plus voir aujourd'hui. C'était une autre génération et oui, Yannick m'a porté dans ses bras quand j'avais cinq ans, donc j'ai quelques bons souvenirs avec lui.
Votre passion pour la photo se révèle assez tôt et vous avez débuté dans ce métier de photographe à Tennis Magazine, en ne voulant pas forcément être photographe de tennis comme vous nous l'avez dit. Pourquoi avoir fait ce choix ? Pour rester dans l’affaire familiale où collaboraient déjà plusieurs membres de votre famille ?
A.C. : C'est sûr que c'est une affaire familiale ! Au début, j'avais quand même à cœur de travailler dans le tennis mais je ne m'étais pas dit 'je vais être photographe de tennis'. Et plus ça allait, plus j'étais bien dans mes baskets et dans mon travail, donc j'ai poursuivi dans cette voie-là et aujourd’hui je suis très content, même si je ne travaille plus pour Tennis Magazine depuis 2017.
En 2017 en effet, votre père vend le journal et c'est forcément un tournant pour vous…
A.C. : Oui, c'est un tournant parce qu'on quitte le navire. Enfin on a été obligés de le quitter (sourire nostalgique). Mais ça a été un mal pour un bien, même si ça m'embêtait un peu pour le magazine en lui-même qu'il se retrouve sans photographe alors que ça faisait partie de son âme. Depuis 1976, il y avait toujours eu des photographes du journal, avec une réputation de vrais pros du tennis et qui vivaient leur métier avec passion. C'était une super école pour moi grâce à Serge Philippot, le photographe numéro 1 de Tennis Mag. C'est grâce à lui et à ses côtés que j'ai appris à voir le tennis sous un certain angle, pour transmettre la passion à travers les photos.
Justement, c'est quoi un photogaphe de tennis ? La question est vaste mais vu de l'extérieur, on se dit qu'il faut transporter un matériel lourd, toujours être au bon endroit au bon moment… Il y a un côté stressant, non ?
A.C. : Oui, ça, vous pouvez le souligner, parce que c'est très stressant ! Il y en a qui se stressent moins que d'autres mais en l'occurrence, moi, sur un tournoi, je suis tout le temps dans le stress parce que je veux essayer d'avoir la meilleure photo. Pour ça, forcément, il faut être placé au bon endroit et au bon moment en effet. Cela peut changer très vite en fonction du match, du côté où se trouve le box du joueur, etc. Ce sont des moments où on ne veut pas rater la photo parce qu'une fois que c'est passé, c'est passé. Ce n'est pas comme un journaliste qui peut réécrire son papier s'il a fait une boulette. Nous, si on rate la photo, on l'a ratée et c'est fini.
Quand c'était pour Tennis Magazine, je ne voulais pas rater la photo pour qu'elle puisse faire la couverture ou l'ouverture des sujets. Aujourd'hui je suis en freelance, donc je bosse pour pas mal de clients et c'est pareil, pour eux, je ne peux pas rater la bonne photo, je dois les satisfaire au maximum. Et puis même pour moi, je déteste rater les photos, alors je fais tout pour ne pas les rater. Malheureusement, parfois, je passe à côté mais j'essaye toujours d'avoir la meilleure position pour avoir la meilleure photo.
Il y a des petits trucs, des endroits un peu secrets ? Et on se refile un peu les infos entre photographes ou bien si on a trouvé un bon spot, on le garde pour soi ?
A.C. : Non, si vous trouvez un spot vous ne le dites pas, mais de toute façon après les autres le voient, puisque votre photo est publiée et que par conséquent ça ne devient plus secret. Moi, j'avais trouvé un spot secret à Wimbledon, enfin pas vraiment un spot secret, mais un emplacement où l'on pouvait voir les deux joueurs qui passent dans le couloir des champions avant d’aller sur le Center Court. Tout le monde le voit mais personne n'y avait fait très attention jusqu'en 2013. J'étais en train de me balader dans le stade et j'ai vu Marion Bartoli qui passait au travers des vitres, avec le lierre autour, et je me suis dis 'là, ça peut faire une photo pas mal'.
Donc après j'ai cherché le meilleur endroit pour faire cette photo et je l'ai faite pour la finale dames. Mais pour cette finale là ce n'était pas trop réussi parce qu’il y avait des caméras qui étaient passées devant et je n’avais finalement pas sorti la photo, particulièrement en agence, justement pour que personne ne la voie. Je l’ai refaite le lendemain pour la finale hommes. C'était Djokovic-Murray et celle-là était réussie puisque les deux joueurs étaient dans les fenêtres, c’était assez symétrique. La photo a été publiée dans L’Equipe Magazine, ça a fait une double page, à l’époque où ils avaient trois photos en début de magazine. A ce moment-là tout le monde l’a vue et l'année d’après je n'étais plus tout seul à l’endroit en question (rires).
Hormis ce gros coup, y a-t-il d'autres photos dont vous êtes particulièrement content ou fier dans votre carrière de photographe de tennis ?
A.C. : Celle-là est vraiment spéciale parce que j'ai découvert le spot et que ça fait une belle photo. D'ailleurs, je l'ai refaite avec les deux plus grands joueurs de tous les temps que sont Rafael Nadal et Roger Federer et ça prend tout son sens dans le temple du tennis avec ces deux joueur là. Sinon, j'ai quelques photos qui me reviennent comme ça mais ce sont plus des coups de chance. Par exemple, un plongeon de Monfils ici, sur le Lenglen, alors qu'il faisait presque nuit. Il ne se passait pas grand-chose, mais il se trouve que j'étais au bon endroit au bon moment et ça a fait une belle photo d'action.
Est-ce une corporation où les gens s'entendent bien, où il y a de la solidarité ? Comment ça se passe entre photographes ?
A.C. : C'est comme partout, il y a des gens avec qui on s'entend plus ou moins bien mais il y a toujours une entente cordiale, un respect entre chacun. Tout le monde sait pour qui chacun travaille donc il y a un respect mutuel entre tous les photographes de tennis.
Un peu de fiction. Nous sommes en finale de Grand Chelem, à Roland-Garros par exemple puisqu'on s'y trouve pour cet entretien, on est dans le cinquième set, on se rapproche de la fin, où est-ce que vous allez vous placer pour avoir LE truc ?
A.C. : C'est toujours l'éternelle question parce que c'est là qu’il faut prendre les bonnes décisions. Là, il faut suivre un peu son instinct, c’est ce que j'essaie de me dire à chaque fois. C'est souvent la première idée qu'il faut suivre. Mais c'est un peu compliqué parce qu'en plus à Roland, il y a beaucoup d'endroits où on peut aller. On peut aller en haut, dans la fosse, en bas en face de l'arbitre, un peu partout dans les gradins, donc on a trop de choix à la limite. Sur toutes ces options, il faut prendre la bonne.
Et là, en fonction du joueur qui va gagner, tu sais comment il peut réagir, tu sais qu'il peut s'allonger, qu'il peut juste se retourner vers son clan et lever les bras, donc tu t'adaptes. Mais c'est au dernier moment que ça se décide parce que si ça fait trois petits sets, il ne va pas forcément être fou, si ça fait cinq sets et que c'est un match de dingue, là, forcément il va en faire plus, peut-être s'allonger par terre, embrasser le sol, dessiner un cœur sur le court… C'est l’expérience qui va parler, parce que vous avez déjà vu les joueurs ou les joueuses faire ceci ou cela. Ça se joue beaucoup à l'intuition, au feeling. Et puis la chance, aussi. Il faut toujours avoir un petit peu de chance en photo.
Etre photographe de tennis, c'est suivre le circuit, donc bouger beaucoup. Combien de semaines par an êtes-vous en déplacement ?
A.C. : C'est vrai qu'on bouge pas mal. J'avais calculé que ça faisait en gros quatre mois et demi sur l'année. Après, c'est relativement bien réparti avec les quatre Grand Chelem et, aujourd'hui, comme je suis freelance, j'ai la liberté de choisir un peu mon programme, c'est un luxe (sourire). J'essaie de ne pas coller les événements parce que j'ai une famille et pour eux autant que pour moi, je n'ai pas envie de partir trop loin trop longtemps. Ce n'est pas forcément évident, c'est un des côtés négatifs de notre métier. Tout le monde voit ça du bon côté, on voyage, etc. C'est vrai, on voyage dans de beaux endroits, il fait beau, mais à côté de ça on est seul, on rate des moments de famille et il faut trouver le bon équilibre.
Ce métier peut faire rêver, être dans de beaux endroits et suivre les joueurs, mais est-ce qu'on gagne bien sa vie quand on est photographe de tennis ?
A.C. : Oui et non. Il y en a qui se débrouillent mieux que d'autres. Il n'y a pas beaucoup de place. En France, je pense qu'on est trois ou quatre à vivre de la photo de tennis puisqu'après, il y a beaucoup d'étrangers aussi qui suivent le circuit. Je pense que ceux qui font ça vivent correctement mais il faut se faire sa place. S'il y a quelqu'un qui a envie d'être photographe de tennis aujourd'hui, s'il est vraiment passionné, qu'il aime ce qu’il fait, il fera de bonnes photos, il réussira et il aura les bons clients pour vivre de sa passion correctement, voire très correctement si ça marche bien.
Vous l'avez dit, votre première idée était d'être journaliste comme votre père. Finalement, vous êtes devenu photographe. Est-ce que papa Couvercelle est fier du fiston et de la voie qu'il a prise ?
A.C. : Il faudrait lui demander (rires) mais je pense que oui, parce qu'il sait que je m'éclate dans mon métier, il sait que les gens avec qui je travaille sont contents de ce que je fais. Même si dans un coin de sa tête il aurait évidemment bien aimé que je reprenne le magazine et que je continue à le faire vivre, aujourd'hui, je pense qu'il est heureux que je sois totalement épanoui dans ce que je fais. Et c'est vraiment grâce à lui, donc j'en profite pour le remercier de tout ce qu'il m'a transmis dans ma jeunesse pour qu'aujourd’hui je sois toujours aussi passionné par ce sport et j'espère que ça continuera.
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Jean Couvercelle, le fondateur de Tennis Magazine, lors de la finale de Roland-Garros 1999, remportée par Andre Agassi.

Crédit: Getty Images

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