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On refait l'Histoire : Quelles sont les finales de Grand Chelem les plus improbables ?

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 14/07/2019 à 11:31 GMT+2

DEBAT - Troisième épisode de notre rubrique "On refait l'Histoire". La finale entre Novak Djokovic et Roger Federer, dimanche, est une des plus attendues possibles. Cela n'a pas toujours été le cas, à Wimbledon ou ailleurs. Bertrand Milliard et Laurent Vergne reviennent sur les trois finales qui, à leurs yeux, présentaient un caractère pour le moins surprenant par son affiche.

On refait l'histoire : Cilic - Becker

Crédit: Eurosport

Eurosport.fr vous propose désormais une nouvelle rubrique, co-alimentée par Bertrand Milliard, commentateur du tennis sur nos antennes depuis vingt ans, et Laurent Vergne, qui contribue à la rubrique tennis sur notre site. Un principe, simple : une question, deux points de vue.
Ici, plus que d'actualité, il sera question de la grande et de la petite histoire du jeu. Ici, personne n'aura tort ou raison. Tout sera affaire de goûts, de choix, de souvenirs ou de points de vue. Et parce que cette rubrique sera aussi celle des lecteurs, nous comptons évidemment sur vous pour partager les vôtres.
La question du jour : quelles sont les finales de Grand Chelem les plus improbables ? Ici, la difficulté tenait au fait de trouver des finales où les deux protagonistes nétaient guère attendus. Un finaliste surprise, qu'il soit vainqueur (Gaston Gaudio, Gustavo Kuerten, Thomas Johansson...) ou vaincu (Chris Lewis, Michael Pernfors, Jo-Wilfried Tsonga, Martin Verkerk...), c'est relativement fréquent. Deux, beaucoup moins.

Bertrand Milliard

Roland-Garros 1976 : Adriano Panatta - Harold Solomon
L’unique bourreau de Borg à Roland-Garros méritait pour cet exploit, de gagner le titre : c’est ce que réalise Adriano Panatta en 1976. Le Suédois au bandeau, tête de série numéro un et double tenant du titre, se présente pourtant Porte d’Auteuil en grandissime favori pour fêter ses 20 ans. Mais en huitièmes, le Français François Jauffret le pousse au 5e set et sert même pour le match à 6-5 avant de s’incliner sur le fil, 10-8. Au tour suivant, émoussé, Borg rend les armes en 4 manches face à un Panatta qui l’avait déjà battu lors de son tout premier Roland, en 1973. Plus personne ne dominera Ice Borg sur l’ocre parisien.
En l’absence de Jimmy Connors, Ilie Nastase et Vitas Gerulaitis, les autres favoris sont Guillermo Vilas et Manuel Orantes, têtes de série 2 et 3. Mais ces spécialistes de la terre battue mordent la poussière face à deux Américains : Vilas sort en huitièmes face à Harold Solomon, futur finaliste, et Orantes en quarts, dominé par Eddie Dibbs.
Cette révolution a son explication : cette année-là, la marque de balles utilisée pour le tournoi a changé. On joue avec des balles sans pression. Eric Deblicker se souvient : "Ces balles gênaient les lifteurs, qui n’arrivaient plus à imprimer cet effet. La balle tournait moins bien". Une aubaine pour l’attaquant Adriano Panatta. Friand de service-volée, l’Italien à la prise ouverte en coup droit est pourtant miraculé dans ce tournoi : au 1er tour, il sauve une balle de match sur un acrobatique plongeon face au Tchécoslovaque Pavel Hutka avant de l’emporter 12-10 au 5e.
Mais il est bien au rendez-vous de la finale où il retrouve Solomon, sorte de "David Ferrer de l’époque", selon Deblicker. Tête de série 7, ce petit gabarit (1,68m) n’était attendu par personne à ce stade de la compétition. Il y parvient en gagnant notamment 3 fois en 5 sets. Le reste appartient à la légende. Chambreur réputé, le Romain raconte : "La finale allait débuter, il ne restait plus que lui et moi dans le couloir. Pour rigoler, je l’ai appelé et lui ai demandé très sérieusement : 'Eh, Solo, mais comment tu vas faire pour gagner alors que tu es si petit ?'. Il mesurait 15 centimètres de moins que moi. Et j’ai gagné !"
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Adriano Panatta (à droite) et Harold Solomon après la finale de Roland-Garros 1976.

Crédit: Getty Images

Wimbledon 1996 : Richard Krajicek - Malivai Washington
Cette finale marque l’unique rupture dans les 7 titres remportés sur le gazon londonien par Pete Sampras entre 1993 et 2000. Triple tenant du titre, l’Américain, numéro 1 mondial, semble alors invincible dans son tournoi fétiche. Il vient de réaliser le meilleur résultat de sa carrière à Roland-Garros, son unique demi-finale Porte d’Auteuil. Et décide de ne pas jouer de tournois de préparation au Grand Chelem anglais, lui qui est un habitué du Queen's (1 titre et 1 finale les années précédentes).
C’est peut-être ce changement qui lui vaut une défaite en 3 sets secs en quarts de finale face à Richard Krajicek. Le Néerlandais, attaquant pur, sert le plomb et ne laisse aucune occasion au favori, créant là la plus grosse surprise de la décennie à Wimbledon. Tête de série 2, Boris Becker, triple vainqueur, se blesse au poignet et abandonne au 3ème tour face au modeste sud-africain Neville Godwin. Et la révolution est totale avec les défaites d’Agassi dès le 1er tour face au qualifié Doug Flach et de Goran Ivanisevic en quarts face à l’inattendu australien Jason Stoltenberg.
Pour la première fois depuis l’Open d’Australie 90, aucun des 4 demi-finalistes n’a encore remporté de tournoi Majeur. Seul Todd Martin a déjà disputé une finale, à l’Open d’Australie 94. Mais l’Américain trouve le moyen de s’incliner en demie face à son compatriote Washington, 20e mondial, après avoir mené 5-1 dans la dernière manche ! Son bourreau n’avait pourtant gagné jusque là que 3 matches en 6 participations à Wimbledon.
Krajicek, promu tête de série 17 après le forfait de Muster, ne présente pas non plus un gros bilan dans le tournoi : 7 victoires en 5 participations (un huitième de finale en 1993). Mais son jeu est taillé pour la surface et il croque tranquillement Washington pour remporter le titre dans une finale improbable jusqu’au bout, une demoiselle dans le plus simple appareil faisant son apparition sur le Centre Court au moment de la photo officielle, sous l’œil amusé des joueurs et médusé des organisateurs. Shocking tournament !
US Open 2014 - Marin Cilic - Kei Nishikori
Jusqu’aux demi-finales, cette édition n’a rien de très improbable. Nadal, absent sur blessure, laisse ses deux rivaux Novak Djokovic et Roger Federer (respectivement têtes de série 1 et 2), se hisser dans le dernier carré. Le Suisse a tout de même dû sauver 2 balles de match en quarts face à Gaël Monfils et le Serbe a laissé un seul set en route, en quarts également, face à un Andy Murray retombé à la 9e place mondiale.
Certes, Nishikori a créé une petite surprise en sortant Wawrinka, tête de série 3, là encore en quarts de finale, pour devenir le premier Japonais de l’ère Open en demi-finale d’un Majeur. Mais en cette journée de samedi, tout le monde attend tranquillement une finale entre les deux têtes de série principales, comme à Wimbledon quelques semaines plus tôt.
L’insensé va pourtant se produire. Je me trouve au restaurant des médias quand Djokovic et Nishikori ouvrent le bal. Mené 1 set à 0, le Serbe recolle très rapidement. L’alerte semble passée. L’effervescence monte à nouveau d’un cran quand le Nippon remporte le 3ème set au tie-break. Les yeux sont rivés sur les écrans et dans la stupeur générale, Djokovic cède finalement en 4 manches. Une énorme surprise qui ouvre en grand les portes du 18ème Grand Chelem pour Federer. On n’entend plus que ça "18, 18, 18" dans les couloirs du stade quand débute la seconde demie. Le recordman de victoires en Grand Chelem y pense-t-il lui aussi ?
Face à un excellent Cilic (transcendé depuis son gros combat en huitièmes face à Gilles Simon), le Suisse, totalement dominé, ne donne à aucun moment l’illusion de pouvoir ne serait-ce qu’inquiéter le Croate. Ce dernier l’emporte en 3 petits sets. Cet invraisemblable scénario a pour conséquence de qualifier en finale deux néophytes à ce stade de la compétition. Et pour la première fois depuis l’Open d’Australie 2005, aucun membre du Big Four n’est présent le dernier jour. Improbable, ce dernier acte à sens unique, joué le lundi, rapidement remporté par Cilic sera malheureusement tout autant insipide.

Laurent Vergne

Wimbledon 1985 : Boris Becker - Kevin Curren
On peut appliquer ici la même réflexion que pour Roland-Garros 1989 ci-dessous. Wimbledon, au milieu des années 80, est sous la mainmise conjointe de John McEnroe et Jimmy Connors. Surtout du premier, d'ailleurs. Présent en finale sans discontinuer de 1980 à 1984, Big Mac a fait sien ce territoire depuis la fin de l'ère Borg. Il est archi-favori de ce Wimbledon 1985. Il a certes échoué en demi-finale à Roland-Garros, mais il ne parait pas avoir de rivaux à Londres.
Le seul qui peut le titiller s'appelle Connors, mais il ne l'a plus battu depuis deux ans et huit rencontres et la finale 1984 à Wimbledon a tourné à la boucherie en faveur du plus jeune des deux gauchers américains : 6-1, 6-1, 6-1. Il y a donc clairement Mac et les autres. Sa défaite en quarts de finale, en trois petits sets en prime (6-2, 6-2, 6-4), contre Kevin Curren, sidère le All England Club. Et quand le Sud-Africain sort dans la foulée Connors en demie, il accomplit un double exploit majuscule.
Face à lui, un gamin. Pas un inconnu, certes. Boris Becker vient de remporter le Queen's. Il est déjà dans le Top 20. A 17 ans, l'Allemand incarne le futur à Wimbledon, mais il sera, aussi, le présent. Dans un bas de tableau grand ouvert, il sort Henri Leconte (tombeur de Lendl en huitièmes) en quarts puis le Suédois Anders Jarryd (novice, comme lui, à ce stade du tournoi) en demie.
Monumental et atypique serveur (il avait la particularité de prendre la balle dans sa phase montante) et finaliste de l'Open d'Australie l'année précédente (sur gazon à l'époque), Kevin Curren était potentiellement dangereux, tout le monde le savait. Becker aussi, dans une moindre mesure. Il n'empêche que cette affiche-là valait une gigantesque cote, tout comme l'absence de McEnroe, maître des lieux. Cette finale 1985 reste en tout cas une date importante dans l'histoire du tournoi : elle a marqué une césure majeure, imposant la fin d'une époque (celle de McEnroe et Connors) et annonçant une autre, puisque Becker figurera en finale six fois en sept ans jusqu'en 1991. Mais cette brutale rupture, personne ne l'avait vue venir.
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Kevin Curren et Boris Becker après la finale de Wimbledon, en 1985.

Crédit: Getty Images

Roland-Garros 1989 : Michael Chang - Stefan Edberg
Ne l'oubliez pas, tout, ici, est question de (re)contextualisation. Avec trente années de recul, cette finale apparait peut-être moins improbable qu'à l'époque. D'abord parce qu'elle est restée fameuse, parachevant une des éditions de Roland-Garros les plus mémorables de l'ère moderne. Puis en raison de l'impact des deux hommes dans l'histoire du tennis. Chang, même si ce fut son unique sacre, demeure (et sans doute pour longtemps) le plus jeune vainqueur jamais vu en Grand Chelem. Quant à Edberg, sextuple lauréat en Majeur, il fut un des principaux champions de son temps. Ce ne sont donc pas deux oubliés de la mémoire qui se sont affrontés pour la Coupe des Mousquetaires cette année-là.
Mais lorsque ce tournoi 1989 a débuté, il n'y avait personne pour envisager une confrontation finale entre Michael Chang et Stefan Edberg. Disons que pronostiquer la présence de l'Américain relevait de la pure plaisanterie et celle du Suédois, qui n'avait gagné que cinq matches en trois ans à Paris, de l'improbable pari. Roland-Garros, à l'époque, "appartient" à deux hommes : Ivan Lendl et Mats Wilander. A eux deux, ils ont remporté six des sept dernières éditions et la dernière finale de Roland sans au moins un de deux ogres de l'ocre d'alors remonte au tout début de la décennie, en 1980.
Au moins autant que les présences de Chang et Edberg, c'est donc l'absence concomitante de Lendl et Wilander qu'il était difficile d'anticiper. Le premier écrasait tout sur son passage depuis le début de l'année, le second était tenant du titre. Il faudra le match le plus invraisemblable jamais vu en Grand Chelem, ce huitième de finale surnaturel entre Chang et Lendl, pour rendre crédible l’inimaginable.
Les vents porteurs du destin et de l'insouciance ont propulsé le jeune Américain jusqu'au dernier dimanche. L'absence de terriens (en dehors de Mancini en quarts) aura, elle, guidé la quinzaine inédite (avant comme après) d'Edberg. Les pièces de ce drôle de puzzle pouvaient dès lors s’imbriquer.
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Michael Chang et Stefan Edberg lors de la cérémonie après la finale.

Crédit: Getty Images

US Open 2014 - Marin Cilic - Kei Nishikori
Les finales improbables sont devenues une denrée rarissime depuis l'émergence des monstres que sont Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic et, à un degré moindre, Andy Murray. De Roland-Garros 2005 (celui de l'émergence de Nadal) à Wimbledon 2019, une seule des 58 dernières finales de Grand Chelem s'est jouée sans aucun des quatre membres du Big Four. Une seule. Celle de l'US Open 2014 entre Marin Cilic et Kei Nishikori.
Cette exception à la règle des presque quinze dernières années rend donc évidente la présence de cette rencontre dans cette liste, d'autant qu'il s'agit aussi de la seule finale sans membre du Top 10 depuis Roland-Garros 2002. A eux deux, le Croate et le Japonais totalisaient jusqu'alors... une demi-finale en 48 participations aux tournois du Grand Chelem. C'est dire si cette affiche-là ne relevait pas de l'évidence.
Pour autant, il importe de ne pas confondre improbable et illogique. Sur la quinzaine, la double présence de Cilic et Nishikori en finale ne doit rien à personne. Ils n'ont pas bénéficié de circonstances favorables, d'un tableau grand ouvert, mais bien du fruit de leurs propres exploits. Leurs efforts cumulés ont éjecté du tableau les têtes de série 1 (Djokovic), 2 (Federer), 3 (Wawrinka), 5 (Raonic) et 6 (Berdych). Personne ne leur a déminé le terrain. Ils s'en sont chargés eux-mêmes.
Le plus gros coup de tonnerre est sans aucun doute venu des demi-finales. Tout le monde guette tranquillement les énièmes retrouvailles entre Novak Djokovic et Roger Federer pour un remake de la récente finale de Wimbledon. Mais le Serbe va céder en quatre sets contre Nishikori avant que, plus sidérant encore, Cilic ne colle trois petits sets à un Federer réduit à la figuration. Il sera tout aussi injouable en finale face à Nishikori, rendant cette finale aussi inintéressante qu'elle avait été improbable. Originalité ne rime pas (forcément) avec qualité.
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