Federer et les impatients

Il fut un temps où les meilleurs joueurs mondiaux exprimaient leur potentiel en contrôlant patiemment les matches. Cette attitude, qui avait fait le bonheur des joueurs aguerris sur terre battue, n'est plus à la mode. Aujourd'hui, il s'agit de finir les points le plus vite possible. La maîtrise consiste alors à aller vite sans se précipiter.

Sur les six demi-finalistes connus à l'heure où j'écris ces lignes, aucun ne déroge à cette règle. Mais il faudra évoquer les cas des "relanceurs" Rafael Nadal et Nikolay Davydenko, mais aussi ceux de Martina Hingis, Anna Chakvetadze et Andrew Murray.

Le joueur emblématique de l'efficacité moderne, c'est bien sûr Roddick, dont la première balle fait des ravages immédiats. Les efforts fournis par l'Américain à la volée ces derniers mois, confirment cette nécessité d'aller chercher les points le plus vite possible. Le protégé de Connors n'a pas le bras d'un Sébastien Grosjean, qui peut foudroyer n'importe qui d'un seul geste, mais il ne s'installe pas dans la durée des échanges.

Les Américains en général n'aiment pas traîner. Les ravages de Serena Williams ont marqué les esprits au début des années 2000, et l'ancienne N.1 mondiale peut encore se vanter de dominer son monde sans avoir la condition physique nécessaire pour engager des échanges à rallonge. Lindsay Davenport avait le même profil de bombardier, repris aujourd'hui, avec les formes, par Maria Sharapova et Nicole Vaidisova.

La détresse des "relanceurs", perdus corps et âmes il y a quelques années, s'est amenuisée avec l'arrivée de joueurs comme Federer, Nadal et encore Davydenko ou Murray et les triomphes récents de Justine Henin et Amélie Mauresmo. Martina Hingis, qui a trouvé en Anna Chakvetadze une épigone de choix en Russie, en même revenue sur le circuit.

Les victoires de Clijsters et Sharapova, mercredi à Melbourne, ont donné un bon exemple du paradoxe de la toute-puissance des cogneuses. Kim Clijsters est l'archétype de la joueuse impatiente. Elle possède un tennis formidable, mais elle se précipite quelquefois sur la balle comme si elle voulait raccourcir encore plus sa carrière !

Sharapova n'a commis "que" 41 fautes directes (contre 62 pour Clijsters) face à Chakvetadze, mais elle peut également sortir de la rencontre par cette forme d'obstination, propre au tennis promu par l'école Bolletieri.

Explosifs mais fragiles, à l'image d'un Gaël Monfils qui n'a pas encore choisi entre la Floride et Paris, entre le jeu offensif à outrance et le tempo plus parisien.

Rafael Nadal, dont les contres magnifiques ont déboussolé bien des attaquants trop pressés, et Nikolay Davydenko, dont la morgue a éteint la flamme de nombreux optimistes, ont imposé une nouvelle vision du jeu en cadence, adapté à toutes les surfaces. La pensée unique des grands serveurs est ainsi souvent tombée dans l'impasse.

A ce petit jeu de questions-réponses entre attaquants et relanceurs, Roger Federer met encore tout le monde d'accord. Le Suisse réussit pour l'instant à combiner l'impatience et la puissance de ses contemporains avec un effet surprise quasi-permanent qui rappelle les meilleurs attaquants du jeu. Federer va vite, non pas parce que son bras mouline plus rapidement que ceux de ses adversaires, mais parce qu'il les surprend à chaque coup ou presque.

Amélie Mauresmo a saisi l'importance de cette dimension du tennis : la variation. Mais la Française perd souvent ses moyens face à la détermination des "impatientes".

Chez les messieurs : la nouvelle génération a déjà beaucoup appris de Federer. Andrew Murray et pourquoi pas Richard Gasquet et Gaël Monfils, ont eux le talent pour bousculer les certitudes des hommes d'affaire du Top 10. Mais leur donnerons-nous le temps de convaincre ?