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"On me pardonne moins mes erreurs qu'à d'autres" : Djokovic, victime ou coupable ?

Laurent Vergne

Mis à jour 15/02/2021 à 21:43 GMT+1

OPEN D'AUSTRALIE - Ce n'est pas la première ni sans doute la dernière fois, mais Novak Djokovic se retrouve à nouveau au cœur de la polémique cette année à Melbourne. Sa blessure aux abdominaux, la gravité et la nature réelles de celle-ci, suscitent le débat. Novak Djokovic est-il le principal responsable de l'image qu'il renvoie ? Vaste débat.

Novak Djokovic.

Crédit: Getty Images

Est-ce lui le problème ? Ou est-ce de notre faute ? Est-ce son comportement ? Ou est-ce le regard que l'on pose sur lui ? Bref, y a-t-il un problème avec Novak Djokovic ? Victime, coupable ou les deux, le champion serbe semble condamné à la polémique. Cette édition 2021 de l'Open d'Australie a rajouté une ligne à son passif dans ce domaine avec sa désormais "fameuse" blessure aux abdominaux. A l'article de la mort ou presque contre Taylor Fritz pendant les 3e et 4e sets vendredi en 16e de finale, presque ressuscité dans la manche décisive, on a cru successivement à son abandon, puis à son forfait contre Milos Raonic, qu'il a finalement écarté sans trop de soucis en quatre sets, dimanche.
Dans cette affaire, le numéro un mondial a tout de même contribué lui-même a brouiller les cartes. Vendredi, dès son interview sur le court après sa victoire face à Taylor Fritz, il avait parlé spontanément d’une "déchirure aux abdominaux". Dimanche, en conférence de presse, désireux de ne pas livrer d’informations à ses adversaires, il s'est montré beaucoup plus évasif : "Je ne veux pas trop en dire, je suis toujours dans le tournoi, j'espère que vous me comprenez." Quand on lui a fait remarquer que c'était pourtant lui qui avait évoqué 48 heures plus tôt, avant tout examen médical précis, la nature du problème, il a botté en touche : "Je pense que tout le monde avait vu quel était le problème, ça se voyait."

L'ironie de Fritz

Sans doute a-t-il parlé un peu vite vendredi. S'il souffre réellement d'une déchirure aux abdominaux, il aura du mal à terminer le tournoi. "C'est sa façon de fonctionner, sa façon d'être, relevait dimanche notre consultant Nicolas Escudé sur Eurosport dans "Les Hits". Il a toujours une espèce de com', je ne sais pas exactement où il veut en venir en fait. Il sème le trouble en permanence. Qu'est-ce qui est vrai ? Qu'est ce qui ne l'est pas ? Est-ce qu'il y a de l'intox, est-ce qu'il n'y a pas d'intox ?"
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Les Hits: "Difficile de croire à 100% ce que raconte Djokovic"

Taylor Fritz, sa victime dans ce drôle de match, avait ironisé sur les circonstances de la qualification du Djoker. "Dans le 5e set, il me paraissait plutôt bien, avait plaisanté l'Américain dans un sourire crispé. Je dois lui donner du crédit pour le 5e set, il était vraiment bon. Rien à voir avec le 3e et le 4e. Mais j’aurais dû m’y attendre. S’il était vraiment, vraiment blessé, il n’aurait pas continué à jouer. Il avait l’air d’avoir du mal dans le 3e et 4e set, il n’avait pas l’air d’avoir du mal au 5e. Je suis content pour lui qu’il ait eu un si bon rétablissement..."
Des mots lâchés à chaud, sous le coup de la déception, mais qui en disent long, sous-entendant à demi-mots que Djokovic avait largement exagéré l'ampleur de sa blessure. Certains sont mêmes allés jusqu'à envisager qu'il puisse l'avoir simulée. Ce qui, objectivement, n'a aucun sens. Même si on le sentait nerveux dans les deux premières manches, peut-être d'ailleurs parce qu'il commençait à éprouver une gêne, pourquoi un joueur qui mène largement dans une rencontre comme celle-ci irait-il faire semblant d'être blessé ?
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Un cinq sets illisible, une blessure, un public évacué : Djokovic, la victoire la plus étrange

Le langage corporel "djokovien"

Pour Patrick Mouratoglou, interrogé lundi par la presse à Melbourne, "un champion n'essaie pas de s'enlever de la pression en prétendant être blessé, ça n'existe pas". "Bien sûr que Novak est blessé, ajoute l'entraineur de Serena Williams. Je pense que, quand c'est arrivé, il a peut-être ressenti sa blessure de façon plus grave encore qu'elle ne l'est réellement. Vous avez tous vu le match hier (dimanche, contre Raonic, NDLR). Il bougeait, il frappait la balle. A ce niveau, si vous avez une déchirure musculaire, c'est juste impossible de faire ce qu'il a fait. Mais clairement, il a une blessure. Il n'a pas inventé ça de toutes pièces."
Novak Djokovic a donc probablement eu tort de parler de déchirure musculaire à chaud. Mais au fond, est-ce si grave ? Il a répondu à une question, deux minutes après la fin de son match. Il aurait peut-être, sans doute dû s'abstenir, mais il a livré son sentiment. Quitte à se tromper. Mais ce message-là, même erroné, aurait peut-être été moins mal reçu s'il ne s'était pas accompagné de ce langage corporel très "djokovien". Quand Djokovic a un problème, tout le monde le sait, surtout son adversaire. L'an passé, en finale de l'Open d'Australie, il semblait presque agonisant contre Dominic Thiem au milieu de la partie, avant de l'emporter en cinq sets une fois sa vigueur retrouvée.
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"En se comportant comme ça, Djokovic n’aura jamais la popularité de Federer et Nadal"

Mais il n'est pas question de simulation. Pour Patrick Mouratoglou, il s'agit plutôt d'une forme de pression psychologique exercée sur l'adversaire même si, dans le cas précis de ce match contre Taylor Fritz, la donne était un peu différente selon le technicien français. "Il ne faut pas confondre ce qui se passe à Melbourne, avec ces moments, qui peuvent arriver sur le circuit, où Novak est un peu sous pression et où il va tester le mental de son adversaire, a-t-il expliqué ce week-end chez nos confrères de Tennis Majors. Il est mené, il semble loin, voire résigné, et d’un coup, il est à nouveau au top. C’est ce que j’appelle se mettre mode on/off, mais ça n'a rien à voir avec le fait de simuler une blessure ou de l'exagérer pour faire baisser l'attente."
Pour être honnête, je suis en paix avec ça
Pour résumer, Novak Djokovic n'est pas un escroc ou un voleur. Il est, parfois, malin. Filou. C’est son droit, comme c’est le droit de chacun de ne pas approuver la démarche. Il y a un an, Roger Federer s'en sortait sur un fil contre Tennys Sandgren en quarts de finale de l'Open d'Australie, malgré une blessure à l'aine. Le Suisse n'avait reçu que des éloges pour sa victoire. Il ne serait venu à l'idée de personne de supputer qu'il avait pu simuler une blessure pour essayer de perturber son adversaire ou, mieux (ou pire) encore, pour se trouver une excuse en cas de défaite.
Federer, il est vrai, n'a pas le même passif comportemental que son rival, lequel traine une réputation depuis ses premières années sur le circuit. Tout vient sans doute de là. Comme un péché originel. Mais faut-il souligner une forme de délit de sale gueule ? Dimanche, après son match contre Milos Raonic, un journaliste serbe a pointé du doigt cette différence de traitement entre le Federer-Sandgren de 2020 et le Djokovic-Fritz de 2021. Voici ce que le principal intéressé a répondu :
"C'est comme ouvrir la boite de Pandore. Si on commence à parler de ça, on n'aura pas fini ce soir. Sans doute y a-t-il trois millions de raisons. Pour être honnête, je suis en paix avec ça. Je ne peux pas dire que, parfois, ça ne me touche pas ou que je ne vis pas comme une injustice la façon dont les médias me présentent. Je suis un être humain, j'ai des émotions et, naturellement, ça ne me plait pas beaucoup. (…) Je suis capable d'être reconnaissant, je suis capable de lever les mains et de m'excuser quand j'ai fait une erreur mais peut-être qu'on me pardonne moins mes erreurs par rapport à d'autres joueurs ou d'autres stars du sport."
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Novak Djokovic

Crédit: Getty Images

L'homme peut être touché, le champion s'en nourrit

Qu'il en soit pleinement ou en partie responsable, Novak Djokovic semble presque systématiquement se retrouver soumis à une forme d'incompréhension. Sur le court ou en dehors. Le dernier épisode en date, juste avant l'Open d'Australie, lorsqu'il avait écrit une lettre aux organisateurs pour demander l'aménagement des conditions du confinement subi par les joueurs et les joueuses, l'a encore prouvé.
On laissera de côté la conclusion de Nick Kyrgios, qui l'avait traité de "crétin", le numéro un mondial étant devenu la tête de turc favorite de l'Australien. Mais quand Alexander Zverev, d'un côté, avait estimé sur Eurosport qu'on lui faisait un mauvais procès en lui collant "encore l'étiquette du méchant", Rafael Nadal, que l'on peut difficilement suspecter d'aimer la polémique pour la polémique, avait regretté que "certains éprouvent toujours le besoin de se mettre en avant". Tout le monde avait compris qui se cachait derrière ce "certains".
Une chose est sûre, le regard des autres n'affectera jamais le rendement du champion. Au contraire. S'il n'y a pas de raisons de douter de sa sincérité quand il dit qu'en tant qu'homme, il peut parfois en être blessé, le joueur, lui, se nourrit de cette adversité. Plus on le critique, plus on le brocarde, plus on le siffle, plus il sera fort. Enfant de la guerre civile yougoslave, Djokovic a grandi dans un climat d'une hostilité mille fois plus forte que celle qu'il peut retrouver aujourd'hui auprès d'une partie du public ou de la presse.
"Personne dans les médias ne pourra me briser, a-t-il encore affirmé dimanche. Je sais qui je suis, ce que je suis, où je suis, d'où je viens et où je vais. Et je tire une certaine fierté de tout ça." Novak Djokovic clive. Ce n'est pas l'aspect le moins intéressant du personnage. Jusqu'à la prochaine polémique, qu'il en soit le coupable, la victime, ou les deux, il sera sur le court mardi. Avec, en tête, un nouveau sacre à Melbourne. La victoire reste son pouvoir. Même si, ça non plus, ça ne plait pas à tout le monde.
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Novak Djokovic à l'Open d'Australie en 2021.

Crédit: Getty Images

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