Open d'Australie - Un an après avoir éjecté du pays, Novak Djokovic fait son grand retour à Melbourne

La Rod Laver Arena. Il n'y a pas un court au monde où Novak Djokovic s'est davantage senti chez lui que sur le central de Melbourne Park. En une décennie et demie, il a tissé avec ce lieu un rapport affectif incomparable. Le Serbe a gagné partout mais la Rod Laver Arena, pour lui, c'est autre chose. Parce que c'est ici qu'il est devenu pour la première fois un vainqueur en Grand Chelem, en 2008. Parce qu'il y a soulevé neuf fois le trophée Norman Brookes. Un record.

Puis 2022 est passé par là. Arrêté à la douane, placé en rétention et finalement expulsé d'Australie pour les raisons que l'on sait, "Novak l'Australien" est devenu "Novak le paria". Son retour aux antipodes, douze mois plus tard, avec en perspective la quête d'un dixième Open d'Australie doublée d'un certain parfum de revanche, ne fait qu'ajouter du sel au piment d'un enjeu sportif majuscule, puisqu'il peut, en prime, revenir à hauteur de Rafael Nadal dans la course au record de victoires en Grand Chelem. Pour lui, ce sera donc beaucoup plus qu'un simple Open d'Australie supplémentaire.

Novak Djokovic sait tout cela mais le premier enjeu pour lui sera pourtant de faire fi du contexte si particulier et de s'aligner pour faire ce qu'il fait le mieux, gagner, comme si 2022 n'avait jamais existé. Il n'a surtout pas besoin d'ajouter de l'enjeu à l'enjeu. Dans un contexte radicalement différent, cela avait fini par l'ensevelir à l'été 2021 à New York où la quête du Grand Chelem calendaire avait englouti celle, plus "basique", de l'US Open. Le poids de la première lui avait coûté la seconde.

"Ça va être dur pour Novak en Australie, ça c'est sûr, redoute Patrick Mouratoglou. Personne n'est blindé. J'espère qu'il ne va pas craquer comme il a pu craquer à l'US Open justement parce qu'il y avait eu un trop plein. Bon, maintenant, je pense que niveau charge émotionnelle, il en a tellement vécu… Sa chance, c'est que ça intervient après une période où il a eu beaucoup de repos. Il y a eu la présaison, l'intersaison et il n'y a pas le stress de la compétition. Donc il va arriver à être reposé sur le plan émotionnel, et ça c'est bien pour lui."

Il y a ensuite tout ce qu'il ne maîtrise pas, à savoir l'attitude que le public de Melbourne adoptera à son endroit. Le psychodrame de l'an passé avait été assez mal vécu par une population à qui ses dirigeants avaient infligé de très grosses contraintes dans la lutte contre le Covid-19. Les sondages le montraient, une grande majorité refusait toute forme de "passe-droit" à Novak Djokovic, non-vacciné contre le virus.

"J'espère que les Australiens lui réserveront un bel accueil parce qu'à mon sens, tout ce qui a été dit sur lui est tellement immérité, insiste Mouratoglou. Je voudrais du respect pour les champions. Quand on rentre dans un stade de tennis et qu'on voit jouer Djokovic, la moindre des choses, c'est de le respecter. Qu'on les aime, qu'on ne les aime pas, qu'on soit d'accord avec eux ou pas, je trouve que c'est le minimum que de respecter ces grands champions." Sur ce plan, le tournoi d'Adélaïde, où il a effectué sa rentrée la semaine dernière, a rassuré tout le monde. Le public s'est montré chaleureux envers le natif de Belgrade et il n'y a aucune raison qu'il en aille différemment à Melbourne.

Mats Wilander n'est pas surpris. Il s'attendait à des retrouvailles plus sympathiques que conflictuelles. "Je pense que Novak sera très bien accueilli partout où il n'a pas pu jouer en 2022, nous confie l'ancien numéro un mondial. A commencer par l'Open d'Australie, bien sûr. Avec le recul, peut-être que les Australiens se sont aussi rendu compte que c'était une erreur, qu'ils auraient dû le laisser entrer sur le territoire national. Il doit être traité comme une personne normale, c'est tout. En tout cas, je m'attends à un superbe accueil pour lui à Melbourne." "On verra comment se comporte le public lors de son premier tour mais, pour ce que j'en sais, personne ne s'est plaint ici du fait qu'il soit autorisé à revenir", nous explique la consultante d'Eurosport Barbara Schett, installée elle-même en Australie.

Novak Djokovic s'est toujours construit, depuis l'enfance, dans une forme d'adversité. Il s'en nourrit. Il n'a certes pas besoin de s'appuyer sur ses tribulations australes de l'année passée pour avoir envie de gagner une fois encore à Melbourne, mais difficile d'imaginer qu'il n'y puise pas un supplément de détermination et l'idée d'une certaine revanche. "Je ne crois pas qu'un joueur a déjà été aussi affamé que Novak avant cet Open d'Australie", prévient Wilander. Il y a donc toutes les raisons de croire que l'épisode de janvier 2022 constituera un moteur, plus qu'un frein.

Il tient l'occasion de rappeler que l'Open d'Australie est SON tournoi. Ici, personne ne l'a plus battu depuis cinq ans, lorsqu'il s'était incliné contre Hyeon Chung en huitièmes de finale. Mais il traversait alors une des périodes les plus difficiles de sa carrière. C'était son creux de la vague, avant de redevenir dominateur à partir de l'été 2018. Titré à nouveau en 2019, 2020 et 2021, il n'y a eu que les autorités australiennes pour le stopper depuis que Djoko est redevenu le "Djoker". S'il peut prouver que 2022 n'a été qu'une parenthèse en forme d'anomalie, il ne s'en privera pas.

D'autant que les enjeux historiques vont pulluler. Il y a cette marque mythique du "double chiffre". Passer de 9 à 10, symboliquement, ce n'est pas tout à fait comme passer de 8 à 9. Il resterait certes à distances des 14 couronnes de Rafael Nadal à Roland-Garros, mais l'exploit n'en serait pas moins colossal. "Pour moi, ce serait une performance inimaginable. Neuf, c'est déjà exceptionnel, mais gagner dix fois un Grand Chelem sur dur..., glisse Mats Wilander. Le dur, c'est la surface de tout le monde. Pour gagner 10 fois en Australie, il faut vraiment battre 10 fois tous les meilleurs joueurs du monde, parce qu'aujourd'hui, tout le monde sait jouer sur dur, plus encore que sur terre ou sur herbe."

Que ce soit pour son passé ici ou le contexte spécifique de cette édition 2023, Wilander voit Novak Djokovic "comme le grand favori." "Tout est parfait ici pour lui. La surface, les conditions, ajoute le Suédois. Tout le monde n'est pas toujours prêt à 100% en Australie mais Novak, lui, l'est toujours. Et encore une fois, il voudra ce titre encore plus que d'habitude."

Puis, une carotte en appelant une autre, il y a donc la possibilité pour lui de glaner ce 22e Majeur synonyme de record égalé, en attendant peut-être mieux. Et comme le rappelle John McEnroe, personne n'est davantage motivé que lui par une telle perspective : "Du Big 3, Novak a toujours été celui qui a fait de cette course une motivation. Il n'a jamais eu peur de dire 'Je veux être le GOAT'." Ce 22e opus, le 10e à Melbourne, tiendrait à coup sûr une place à part dans la collection personnelle du Serbe.