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Retraite de Roger Federer : Souvenirs de Federer, de Bâle à l'arbre de Melbourne Park

Bertrand Milliard

Mis à jour 19/09/2022 à 21:23 GMT+2

L'heure de la retraite a sonné pour Roger Federer. Et ça fait tout drôle. Parce que l'un des plus grands joueurs de l'Histoire s'en va et parce que le parcours du Suisse a jalonné le mien depuis le début. Je n'ai pratiquement pas connu mon métier sans lui. Il en résulte un paquet de souvenirs parmi lesquels je vais tenter de piocher pour raconter "mon" Federer.

5'30'' de pur bonheur : quand Federer régale à travers le monde

Alorsque j'étais tout juste débarqué de l'école de journalisme au printemps 1997, la légende du commentaire tennis Hervé Duthu m'avait pris sous son aile et mis le pied à l'étrier sur le tennis. L'année où Roger Federer n'est encore qu'un adolescent faisant ses tout premiers pas sur le circuit, j'ânonne mes premiers commentaires télé, en l'occurrence sur un Haas-Berasategui à Hambourg en ce qui concerne la petite balle jaune.
On parle alors déjà beaucoup du prometteur joueur Suisse, qui remporte l'année suivante le titre junior à Wimbledon, le début d'une grande et longue histoire d'amour. La mienne ne débutera pas aussi tôt. Moi l'ancien fan de Mecir, Leconte et plus récemment Moya, je n'adhère pas immédiatement à Federer, ses cheveux peroxydés et son caractère de cochon (pour les plus jeunes de nos lecteurs, oui, vous avez bien lu !)…
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De 10 à 1526 : les stats qui ont aussi fait la légende de Federer

Encore - jeune - pigiste et numéro 3 ou 4 sur le tennis, j'ai la chance de commenter Federer pour la première fois au tournoi de Marseille en 1999, probablement son quart de finale face à Arnaud Clément. Nerveux, agaçant, peu efficace, le Suisse ne m'inspire pas vraiment et rien ne peut alors me laisser présager que ce joueur deviendra rapidement ma plus grande idole, tous sports confondus.
C'est en l'an 2000 que tout va basculer, année d'une mue assez phénoménale chez le Bâlois. Après une petite boulette dans un papier concernant la médaille olympique d'Arnaud Di Pasquale, Hervé Duthu me sanctionne. Me voilà exclu du tennis pour une durée indéterminée et renvoyé aux news. Peu importe, je ne jette pas l'éponge et comprends qu'il faut être plus exigeant et rigoureux dans ce métier.
Satisfait de cette prise de conscience, Hervé me propose d'aller sur place couvrir le tournoi de Bâle, seul, sans consultant. Vivre un tournoi "on site", c'est toujours un ravissement, particulièrement en début de carrière et cette expérience à la St. Jakobshalle me marquera durablement. En début de semaine, déambulant dans les méandres de cette gigantesque salle, je croise un Roger Federer très concentré aux côtés de son coach de l'époque, Peter Lundgren. Je lui trouve quelque chose de "changé", pas uniquement son look, on le sent posé, la détermination dans le regard.
La suite confirmera cette impression. Parvenu en demi-finale, le Suisse va jouer à domicile le meilleur match de ce début carrière encore balbutiant, face à Lleyton Hewitt. J'ai souvenir d'un niveau de jeu très élevé, d'une intensité rare et d'un joueur montrant sans aucun doute les qualités d'un grand champion en devenir dans la chaude ambiance bâloise.
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Spectaculaires et légendaires : 10 points magiques remportés par Federer

Federer s'impose au tie-break du troisième set et n'échouera qu'en cinq manches en finale face à l'expérimenté Thomas Enqvist, 6e joueur mondial. Ce week-end là, en deux matchs, ma perception entière du futur GOAT a changé. Sa transformation est radicale et bluffante : le joueur nerveux a laissé place à un monstre de calme et de concentration au tennis fluide et flamboyant. Grâce soit rendue à Lundgren d'avoir orchestré tout cela.
Quelques mois plus tard, le planning m'attribue le commentaire du tournoi ATP de Milan. Jackpot : c'est en Lombardie que "Rodgeur", que je prononce encore "Rogé" à l'époque, étrenne son immense palmarès. Je ne me souviens guère de la finale, disputée face au Français Julien Boutter, mais je ressens encore l'enjeu historique du moment, qui me fait d'ailleurs vibrer. Après Marseille et donc Bâle la saison précédente, cette troisième finale doit être la bonne et elle va l'être, difficilement. Vingt-et-un ans plus tard, on peut s'amuser de la phrase de conclusion de mon commentaire : "Rogé Federer remporte son premier titre, ce ne sera probablement pas le dernier."
Puis les années passent, le premier Grand Chelem tombe en 2003 à Wimbledon pour Federer et de mon côté je passe titulaire la même année, ce qui me permet d'être à Melbourne en 2004 pour le numéro 2 des vingt titres majeurs de l'artiste. Comme un spectateur lambda, j'assiste au sacre en tribune, heureux d’être là et conscient du privilège que représente la présence physique sur un événement de cette ampleur.
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Marat Safin et Roger Federer, Open d'Australie 2004.

Crédit: AFP

L'année suivante, toujours à Melbourne, j'ai le souvenir d'un beau récital du Suisse face au Japonais Suzuki au 2e tour. Le genre de match qui ne laisse pas toujours de trace dans la mémoire mais me revient précisément à l'esprit le plaisir ressenti à décrire la beauté d'un tel tennis aux côtés d’Eric Deblicker, en night session, même dans une rencontre à sens unique. Fed y réussira un coup droit gagnant mémorable, la balle passant par l'extérieur du filet avant de revenir dans le court. Auteur du Petit Chelem l'année précédente, le numéro 1 mondial devient un créateur de joie.
En demi-finale, il affronte sa victime de la finale 2004 Marat Safin, un match à ne pas manquer. Manque de bol, si on est accrédité télé, on doit se mettre sur liste d'attente pour espérer obtenir une place en tribune de presse. Et quand Federer joue, a fortiori une demi-finale, on peut toujours attendre, ça n'arrive pas. En cabine alors ? Pourquoi pas, mais avec la vitre, c'est vivre le match sans le son tout en perturbant les collègues qui commentent.
Arpentant, frustré, l'immense coursive de la Rod Laver Arena où se situent les cabines, j'aperçois alors une sorte de trappe en hauteur, un peu comme celles qui permettent d’accéder à un grenier, avec un escalier de fortune. C'est un endroit où seuls les photographes accrédités ont le droit de se rendre. Trompant la vigilance du préposé au contrôle de cette issue, je m'engouffre et trouve un spot inconfortable, où je vois nettement le court depuis une petite lucarne. Je m'y fais discret et vais vivre ainsi les cinq sets incroyables de cette empoignade où le Russe finira par terrasser 9-7 dans l'ultime manche un Federer au dos douloureux. Peut-être pas autant que le mien au final…
Le temps continue à s'écouler, la rivalité avec Nadal bat son plein, les défaites face à l'Espagnol se succèdent à Roland-Garros, jusqu'en 2009 où l'élimination prématurée du Majorquin face à Soderling offre une occasion inouïe au Suisse de remporter le seul titre du Grand Chelem qui lui manque. Pour la finale contre le Suédois, qui a poursuivi sa route, mieux vaut arriver tôt et montrer patte blanche en tribune de presse.
Je m'y installe près d'une heure avant l'horaire d'entrée sur le court et vais avoir comme voisine pendant tout le match... Virginia Wade. L'ancienne championne britannique vit intensément la partie et finit par m'avouer sa nervosité car elle veut absolument voir "Rodgeur" gagner. Après l'émotion de la balle de match et la délivrance, nous échangerons un regard de satisfaction complice. On se rend compte alors à quel point le monde du tennis dans son ensemble est heureux de cette complétude en Chelem.
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Wilander : "En 2009, il devait gagner à Roland-Garros, c'est son plus grand accomplissement"

Un nouveau rival est alors venu tourmenter le héros suisse : Novak Djokovic, l'homme qui causera le plus de désillusions à Federer, à commencer par les deux demi-finales consécutives à l'US Open où le Serbe sauvera chaque fois deux balles de match, empêchant une confrontation Federer-Nadal qui n'aura finalement jamais lieu à New York. La seconde fois, en 2011, je suis au commentaire de ce match épique aux côtés d'Emilie Loit.
Menant deux sets à rien puis rejoint à deux partout, le Suisse breake au cinquième et obtient deux balles de match sur son service à 5-3. L'année précédente, Djokovic les avait sauvées sur sa propre mise en jeu, à 4-5, au cinquième également. Debout dans la cabine de commentaire, j'anticipe dans ma tête et commence à préparer mon propos emphatique à l'issue de la rencontre. Beaucoup de superlatifs au programme car Federer est en passe de battre pour la deuxième fois de l'année en Grand Chelem un homme qui n'a perdu que… deux matchs à ce moment de la saison.
La suite, chacun la connaît : retour gagnant de coup droit croisé de Djokovic, agacé par le public, qui lâche ce coup entre dépit et génie. Le soufflé retombe, la climatisation est en marche (normal à New York), je me rassois car ce point est de ceux dont on sent qu'ils font tourner un match. Quatre jeux plus tard, le Serbe est en finale, le stade éteint hormis le clan Djoko qui paradera bruyamment dans les allées.
Au même endroit trois ans plus tard, Roger Federer rend visite au plateau d'Eurosport à l'issue d'un match. Peut-être enfin le moment de prendre une photo avec lui ? Pendant qu'il répond aux questions de mon collègue, j'approche le responsable presse de l'ATP Nicola Arzani pour lui faire cette requête. "Non non, tu es journaliste et les journalistes n'ont pas le droit de demander des photos aux joueurs", me répond-il. Il a raison mais j'insiste, il s'agace et reste ferme, il n'y aura pas d'exception.
"Mais puisqu'il est chez nous, et ça prendra cinq secondes..." Devant mon obstination, il finit par me lâcher "Et bien demande lui mais il va refuser". Dès la fin de l'interview, alors que Roger commence à sortir du plateau, je l'aborde et lui dis "Bonjour Roger, je suis le commentateur français d'Eurosport, serait-il possible que nous fassions une photo ensemble ?" Il me répond par l'affirmative avec un grand sourire et j'en profite, pendant la prise du cliché, pour lui avouer mon admiration. Ce jour-là, j'ai été soulagé de le voir si humain et abordable, l'inverse aurait été trop décevant.
Enfin, évidemment, il y a Melbourne 2017. Je ne commente pas la finale et mes pérégrinations pendant ce mythique "Fedal" me transportent de la cabine d'Eurosport France à celle de nos voisins britanniques où officie un Mats Wilander enthousiaste, mais aussi à celle de la télévision suisse francophone où mon confrère Pascal Droz souffle le chaud et le froid en fonction de l'évolution du score.
Mais la magie du cinquième set, c'est dehors, adossé à un arbre, un peu en retrait de la foule qui suit le match sur l'écran géant de Melbourne Park, que je vais la vivre. Presque incrédule devant le niveau de jeu prodigieux proposé par les deux légendes. Et aussi par le dénouement, avec ce retournement de situation victorieux réussi par Federer. Il faudra longtemps pour retomber, arpenter les couloirs du Central, croiser Roger le trophée en main, assister à la conférence de presse rendue lunaire par certaines questions incongrues et finalement rejoindre les copains à deux heures du matin, à pied, toujours un peu ailleurs dans la douceur estivale, avec le sentiment d'avoir assisté à un nouveau moment historique de ce sport auquel cet homme aura tant et tant apporté.
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Federer - Nadal 2017, le résumé d'une finale légendaire

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