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La quête du premier Majeur, entre rêve et boulet

Laurent Vergne

Mis à jour 21/05/2022 à 19:24 GMT+2

ROLAND-GARROS 2022 – Gagner un Grand Chelem, pour le joueur de haut niveau, constitue l'ambition ultime et la concrétisation d'un rêve d'enfant. Pour ceux qui en ont les capacités, le plus tôt est le mieux. Sous peine d'avancer avec des nœuds dans la tête et de se retrouver au cœur d'un cercle vicieux, à l'image d'un Alexander Zverev ou d'un Stefanos Tsitsipas.

Alexander Zverev vs. Stefanos Tsitsipas | Semi-final, Roland-Garros 2021 | Eurosport Premium Content

Crédit: Eurosport

Pour la (plus ou moins) jeune génération, il y a de quoi avoir le vertige, voire d'être gagné par un soupçon de déprime. Alors que Rafael Nadal (21), Roger Federer et Novak Djokovic (20 chacun) cumulent désormais à eux trois plus de 60 titres en Grand Chelem, dont 85% de ceux mis en jeu ces quinze dernières années, certains attendent encore leur tour. Une seule "petite" couronne suffirait à leur bonheur. Le Grand Chelem, c'est leur rêve d'enfant, leur raison d'être, sur le court au moins. Ils ont presque tout pour y arriver, mais ça coince encore. Et plus le temps passe, plus le rêve menace de se muer en boulet au pied.
Le cas d'Alexander Zverev est sans doute le plus symptomatique. L'Allemand a été numéro 3 mondial à 20 ans. Au même âge, il avait déjà intégré la catégorie des lauréats en Masters 1000. Alors qu'il vient de passer le cap du quart de siècle, il est à la croisée des chemins. Il a absolument tout gagné. Masters 1000. Masters. Jeux Olympiques. Tout, sauf un Grand Chelem. Il ne lui a manqué qu'une poignée de points à l'US Open en 2020. Faute d'avoir saisi cette opportunité en or massif contre Dominic Thiem dans une finale marquée par un trouillomètre à un niveau rarement vu des deux côtés du filet dans une finale majeure, le voilà toujours bloqué à zéro.
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La victoire et les larmes : Zverev très ému après son succès sur Djokovic en demi-finale

Il l'admet sans mal et sans se voiler la face, la dimension psychologique constitue l'élément le plus problématique dans cette quête. "Le rêve de gagner un Grand Chelem, voilà ce qui change tout, a-t-il encore expliqué vendredi. C'est la grande différence avec les autres tournois, je pense. Chacun d'entre nous a commencé le tennis avec le désir de remporter les plus grands titres du monde. Gagner un Grand Chelem, c'est le but ultime. Avec les Jeux Olympiques. Mais c'est très différent." Et il sait de quoi il parle.

Vertus et inconvénients de la précocité

Pourquoi un Zverev, capable de survoler le Masters en fin de saison ou les Jeux à Tokyo, peine-t-il à ce point à en faire de même sur une quinzaine majuscule ? Bien sûr, le format diffère. Deux semaines. Sept matches à gagner en trois sets gagnants. Mais la difficulté ne se situe pas au niveau physique. Le champion olympique en est convaincu : "Nous sommes tous super bien préparés, ça ne se joue pas là-dessus. Je n'ai pas perdu certains matches en Grand Chelem à cause du physique, mais parce que je me mettais trop de pression pour aller chercher ce premier Majeur. C'est pour ça que je n'en ai toujours pas remporté."
Seuls deux joueurs nés après 1990 ont décroché la timbale : Dominic Thiem et Daniil Medvedev. Les deux seuls nouveaux lauréats dans un passé récent, lors des deux dernières éditions de l'US Open. Leur point commun ? Ils n'étaient déjà plus des perdreaux de l'année. 27 et 25 ans, respectivement. Leur chance, c'est peut-être aussi d'avoir émergé un peu plus tard qu'un Zverev ou un Tsitsipas. A 22 ans, Medvedev n'était pas considéré comme un futur grand. Thiem, lui, a attendu d'avoir près de 23 ans pour intégrer le Top 10. Ce n'est pas tard, mais nettement plus que l'Allemand ou le Grec.
Ne pas avoir suscité de fortes attentes dès la sortie de l'adolescence a été une chance pour eux, selon Sascha Zverev. "Medvedev a vraiment percé plus tard que nous par exemple, et je pense que ça a peut-être été plus facile pour lui parce qu'il était déjà plus mature", estime-t-il. La précocité, voire l'ultra-précocité, a donc ses vertus mais aussi ses inconvénients. Un, surtout : si, à 24, 25 ans, vous n'avez toujours pas ouvert votre palmarès en Grand Chelem, la chose est perçue comme une anomalie, doublé d'un raisonnement en forme de jugement définitif : s'il n'y est pas arrivé maintenant, c'est trop tard, il n'y arrivera jamais.
Ce sera intéressant de voir Alcaraz dans la situation qui a été la mienne ou celle de Tsitsipas
Le problème est sans doute d'autant plus prégnant pour cette génération, contrainte de succéder à celle du "Big Three", qui a fait une norme d'une anormalité absolue. La victoire en Grand Chelem, pour les Nadal, Djokovic ou Federer, s'est presque banalisée. "On a deux joueurs dans le tableau ici qui ont gagné le tournoi. Je ne sais plus combien de fois l'a emporté un des deux, mais l'autre a dû soulever le trophée au moins 28 fois", sourit Stefanos Tsitsipas. "Pour Novak, Roger ou Rafa, ça vient naturellement", ajoute Zverev, comme pour expliquer que, dans leur cas, le rêve, assouvi très tôt dans leur carrière, a vite cessé d'être un poids.
Dans cette équation, l'inconnue Carlos Alcaraz n'est pas la moins intéressante. D'un Grand Chelem à l'autre, le jeune Espagnol a effectué un bon spectaculaire dans la hiérarchie, au point de se retrouver parmi les trois principaux favoris au titre à Roland-Garros, à des années-lumière de son statut lors du dernier Open d'Australie. Lui-même revendique son ambition, au-delà du rêve, de décrocher un titre majeur dès cette année.
"Ce sera intéressant de le voir dans la situation qui a été la mienne ou celle de Tsitsipas il y a quelques années, de voir comment il parvient à la gérer", relève Zverev. Double finaliste de Roland-Garros, Alex Corretja croit son jeune compatriote capable d'absorber pareille pression. "Emotionnellement, il est tellement mature que je ne pense pas qu'il subira la pression, tranche le consultant d'Eurosport. Il n'a pas peur de l'inconnu. Il a déjà l'état d'esprit d'un vétéran même s'il n'en a pas le vécu." Pour l'heure, Alcaraz est à l'âge de l'insouciance, pas encore à celui de se poser trop de questions. Le rêve, sans le boulet. Peut-être le moment idéal pour régler cette question-là, pour ne plus jamais avoir à se la poser.
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Alcaraz, le facteur X : "Il arrive en assumant son statut de favori comme Nadal en 2005"

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