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Sam Bahrami : "J'en avais marre de voir papa faire le pitre, j'avais envie de le voir gagner"

Bertrand Milliard

Mis à jour 30/05/2022 à 12:00 GMT+2

LES GRANDS ENTRETIENS DE ROLAND -Tout au long de cette quinzaine, Bertrand Milliard vous propose une série d'interviews avec des personnalités de divers horizons pour apporter un autre regard sur le tennis en général ou Roland-Garros. Nouvel épisode ce lundi avec Sam Bahrami, le fils du célèbre Mansour, artiste et amuseur des courts.

Mansour Bahrami, artiste et amuseur public.

Crédit: Imago

Fils du célèbre et fantasque Mansour Bahrami, créateur et joueur du Trophée des Légendes à Roland-Garros, Sam Bahrami a grandi sur les courts où son père évoluait auprès de très grands noms du tennis. Aujourd’hui âgé de 37 ans, il vient de créer une marque de vêtements sportswear rendant hommage à son père, dont le logo est la moustache si caractéristique de ce dernier.
Sam, vous êtes le fils de Mansour Bahrami et vous venez de sortir une ligne de vêtements au nom de votre père, Mansour by Sam, avec comme logo une moustache. Expliquez-nous ce concept.
S.B. : Exactement. Une moustache parce que je pense que c’est facilement reconnaissable par tout le monde dans le tennis. Quand on dit Mansour + moustache, je pense que ça sonne à l'oreille et aux yeux des gens. Pourquoi ai-je créé cette marque ? C'est un hommage au parcours de papa. Un hommage à lui, même s'il va vivre encore longtemps et en pleine forme mais surtout à son parcours dont je suis très fier. Avoir quitté l'Iran comme ça, être arrivé en France en ayant été SDF, en ayant dormi sur les bancs de Roland-Garros, puis la carrière qu’il a réalisée jusqu’à aujourd’hui, je voulais rendre hommage à ce parcours là.
Comment est née l'idée ? Je crois que c'est après avoir côtoyé le fils de Bjorn Borg en Université, c’est bien ça ?
S.B. : C'est ça. On faisait des 'summer camps' de tennis pendant trois ans avant la tournée de l'ATP Tour Senior. Ce circuit a été créé au début des années 90 par Jimmy Connors et nous, de 1998 à 2000-2001, avec Robin Borg, le fils aîné de Bjorn. On faisait de mi-juin à fin juillet des camps d'été de tennis ensemble. La dernière année ce n'était même plus vraiment un 'summer camp', on logeait chez Tim Wilkison, ancien quart de finaliste à l'US Open notamment, je ne sais pas si vous vous souvenez…
Bien sûr, j'adorais ce joueur !
S.B. : Donc on vivait ensemble chez Tim et cette année-là, Bjorn avait déjà lancé une ligne de sous-vêtements à son nom et il a lancé à cette époque une vraie ligne de vêtements, polos, pantalons, shorts, etc. Robin est arrivé avec un gros sac de vêtements pour moi et j’ai adoré. J’ai porté ça pendant tout le 'summer camp'…
Dessus, il était marqué Bjorn Borg ?
S.B. : Bien sûr ! Il faut savoir que la marque Bjorn Borg, en Scandinavie, c'est quelque chose d'énorme, c'est vraiment une top marque, quelque chose de très lourd. Donc j'ai porté ça tout l'été et et pendant la tournée sur l'ATP Tour Senior avec toutes les anciennes légendes, je me suis retrouvé avec mon père et je lui ai dit 'papa, pourquoi tu ne fais pas une marque avec une moustache et ton nom ? Bjorn l’a fait, pourquoi pas toi ?'. Et il m’a répondu 'moi, je ne suis personne, tout le monde s'en fout d’acheter un polo Mansour, Bjorn Borg c'est une légende, il a gagné onze Grand Chelem, tout le monde s'en fout de moi'.
Ca m'était resté un peu en travers de la gorge mais je n'avais peut-être pas la lucidité à cet âge-là pour me rendre compte à quel point Bjorn était une légende, parce que c'était des gens que je côtoyais, qui étaient des amis. J'étais sparring-partner de Bjorn, de John McEnroe, de Vilas, d'Andres Gomez, tous ces joueurs là je tapais des balles avec eux avant qu’ils rentrent sur les courts de l’ATP Tour Senior. Avec Robin Borg, avec le fils d’Henri Leconte, on était avec eux, c’était des potes de mon père et j’étais pote avec leurs fils, on vivait ensemble.
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Mansour Bahrami et son fils, Sam.

Crédit: Getty Images

Mais vous aviez mal vécu cette réponse de votre père…
S.B. : Oui, ça m’est resté un peu en travers de la gorge, qu'il me dise que c’était impossible de faire une marque à son nom et c'est resté dans mon esprit depuis l'an 2000 jusqu’à aujourd’hui. Pendant le Covid, je me suis repenché sur le truc, j'ai rencontré un ami qui a déjà une marque de vêtements, il m'a aidé à me lancer, on a mûri la chose pendant dix mois et aujourd'hui on lance Mansour by Sam.
Et qu'en pense votre père aujourd'hui ?
S.B. : Au début, il était un peu fermé. Quand je lui ai présenté le projet l'été dernier, je l'ai senti très fermé, au fond de son canapé, il faisait la moue. Il est très expressif quand il fait la moue et j'ai compris que ça allait être compliqué, mais au bout de dix minutes de présentation, j’ai senti qu’il se redressait et qu'il s'ouvrait et voilà, ça a fini par lui plaire et il m'a dit 'vas-y lance toi, je trouve ça génial, banco'.
Comment va être commercialisée cette marque ?
S.B. : Elle sera distribuée exclusivement par internet, sur le site www.mansour-by-sam.com, uniquement par ce canal.
Revenons un peu sur le parcours de votre père. Lorsqu’il a atteint la finale du double ici à Roland-Garros en 1989 (avec Eric Winogradsky, ndlr) vous aviez 4 ans. Vous avez forcément peu de souvenirs de cette époque mais avez-vous quand même des souvenirs de lui joueur, je parle de sa première carrière, avant d’intégrer les Légendes ?
S.B. : Bien sûr oui, je me souviens de matchs, notamment de matchs par équipes, parce qu'il les a joués jusqu'à 40 ans, au TC Illberg Mulhouse. Je crois qu'ils ont été vice-champions de France, d'ailleurs. Et puis il avait la chance d'avoir encore quelques wild-cards en double. Je me souviens notamment d'une à Monte-Carlo où il jouait avec Henri Leconte contre Forget et Becker. Le Court Central était plein à craquer, c'était incroyable et ça tombait en plus le jour de son anniversaire.
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Mansour Bahrami et Eric Winogradsky en double à Roland-Garros en 1989.

Crédit: Imago

Mais à cette époque-là je ne comprenais pas, j'en avais marre de voir papa faire le pitre et j'avais envie de le voir gagner. En face tu avais Forget qui était un des meilleurs mondiaux en double, Becker qui devait encore être top 5 en simple. Je crois que Henri et papa gagnent le premier set, et après dans le deuxième et le troisième, ils commencent à faire un peu les 'cons'. Moi, j'étais effondré au bord du terrain. Je me rappelle que Marc Maury vient me voir et me dit 'ça va bientôt être la fin, on va amener un gâteau d’anniversaire pour ton papa, tu pourrais venir sur le court' et je lui réponds 'non, je ne veux pas aller sur le court', j'étais mauvais à ce moment-là, je ne comprenais pas, j'étais jeune.
Et puis arrive la cérémonie, tout le monde debout, ils amènent le gâteau et Marc annonce quand même 'Sam va venir sur le court pour féliciter son papa', je ne voulais pas et là je vois papa qui me regarde et me dit 'viens sur le court, dépêche-toi de venir !' alors j'y suis allé, je lui ai donné le gâteau, un peu par dépit. Je le regrette maintenant mais j'étais jeune à l'époque et j'avais vraiment envie qu'il gagne, je ne comprenais pas pourquoi il commençait à faire des coups un peu différents quand il pouvait mener un match. Maintenant, je le comprends, je trouve ça top et je suis fan.
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Le fameux double de Mansour Bahrami avec Leconte, Forget et Becker...

Crédit: Imago

Pour la petite histoire, je l'ai personnellement vu jouer en qualifs de Bercy au Forest Hills de Meudon à l'époque, il s'était qualifié mais en jouant comme maintenant, en servant avec cinq balles dans la main, en soufflant sur les retours, etc… c'était exceptionnel.
S.B. : Il ne sait pas faire autrement en fait. Le tee-shirt que je porte sur moi (une poële et une raquette entremêlées au-dessus de la moustache ndlr) c’est un peu cette histoire-là. Il a grandi sous les tribunes du stade d’Amjadieh en Iran. Quand j’y suis allé, c’était assez incroyable à voir, ça a été un vrai choc. Je me suis rendu compte du parcours qu'il avait accompli. Quand je suis arrivé en Iran la première fois, j’ai vu une pièce en terre battue sous les gradins du stade de football. Elle devait faire neuf mètres carrés et ils étaient cinq ou six dedans avec des lits les uns sur les autres. Lui avait le droit de faire tous les sports sauf le tennis, qui était réservé aux élites…
Il vient donc d'une famille modeste à la base ?
S.B. : Oui, une famille très modeste. Mon grand-père était jardinier dans le complexe sportif et ma grand-mère s'occupait des enfants. Mon père, à l'âge de six ans, travaillait déjà comme ramasseur de balles, il ramenait des sous à la maison, c’était ça sa vie. Il a vraiment grimpé les échelons tout seul, personne ne lui a appris à parler anglais ou français, il s'est fait tout seul et je suis très admiratif de ça. Et pour l'histoire de la poële, c’est parce qu'il a appris à jouer avec cet instrument de cuisine contre les murs de la piscine olympique vide de ce fameux stade d'Amjadieh à Téhéran et c'est de là aussi que sont venus ses coups spéciaux. Il jouait de façon un peu acrobatique contre le mur.
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Mansour Bahrami.

Crédit: Eurosport

Et comment est-il arrivé en France ?
S.B. : Il a commencé à voyager très jeune. A 16 ou 17 ans, il jouait la Coupe de Galéa (ancien compétition, sorte de Coupe Davis des jeunes). D'ailleurs, l'Iran avait battu la France, personne n’avait compris et Papa avait gagné tous ses matchs. Il jouait en juniors et je pense qu’il aurait pu faire une carrière différente. Mais il y a eu la Révolution Islamique en Iran en 1978, les courts ont été fermés, il ne pouvait plus quitter l’Iran ni jouer au tennis. Puis il est arrivé en 1980 à Nice avec un costume, un 8 août sur la Promenade des Anglais, il faisait 35 degrés (grâce à un visa délivré par l'intermédiaire d'un ami du ministre des Affaires Etrangères ndlr). Il est revenu en France pour pouvoir jouer à nouveau au tennis.
Et il a pu y rester ?
S.B. : Il a pu y rester mais ça a été un peu acrobatique. C'est l'histoire d'un autre tee-shirt (Nice 1980). Quand il est arrivé sur la Promenade des Anglais, il avait 8000 francs en poche, son costume, il y avait des filles en topless, les seins à l'air, il ne comprenait pas où il était. Il a acheté un sandwich et une bouteille d'eau, il a compris qu'avec 8000 francs, il ne tiendrait pas très longtemps. Il a vu le casino Ruhl, il y est entré, vingt minutes plus tard il avait tout perdu… De fil en aiguille, il a réussi à rester grâce à des mécènes iraniens qui lui ont donné un peu de sous. Il est monté à Paris où il dormait sur les bancs en face de la Porte 13 à Roland-Garros. Puis il a pu faire les pré-qualifications de Roland-Garros, ensuite les qualifications, il s'est qualifié et a passé un tour dans le grand tableau et là les caméras se sont braquées sur lui et il a pu vraiment rejouer au tennis, avoir un classement assimilé, etc…
Son but, c'était vraiment de pouvoir rejouer au tennis parce que c’est ce qui le faisait vibrer. Vous, vous êtes né en France. Quel est votre rapport à l'Iran ?
S.B. : Le jour où j'ai atterri à Téhéran, je me suis senti tout de suite chez moi. J'ai ces racines là en moi, la culture, la nourriture, la musique, ce sont des choses avec lesquelles j'ai été bercé depuis que je suis petit. Donc je me sens français bien sûr avant tout, mais je me sens aussi iranien. J'ai la double culture, j'en suis très fier et très fier de mes racines.
Vous y allez souvent ?
S.B. : Je n'y vais malheureusement pas très souvent mais quand j'y vais, c'est quelque chose d'exceptionnel parce qu'il y a beaucoup de monde qui nous attend et c'est toujours une grosse fête. On ne dort pas beaucoup, il y a du monde tout le temps à la maison, je prends dix kilos à chaque fois parce qu'il faut manger toute la journée mais oui, j'adore y aller.
Pour en revenir à la marque, vous avez parlé d'un tee-shirt Nice 1980. Donc ça se décline en plusieurs messages différents ?
S.B. : Voilà. J’ai essayé de faire des tee-shirts qui sont soit des dates clés, soit des lieux qui me tiennent à cœur. Donc il y a le Porte d’Auteuil forcément pour Roland-Garros avec le Trophée des Légendes, les pré-qualifications, les qualifications et la finale de 1989. Et puis moi je suis né dans ce stade aussi, j’y ai fait des conneries, gamin, quand Papa s’entraînait. Ca fait 35 ans qu’il s’entraîne ici , tous les jours. Quand il n’est pas en tournoi exhibition, il est au CNE, il fait sa cryothérapie et moi pendant ce temps-là, j’étais dans les allées du stade entrain d’explorer les allées de Roland avec notamment le fils d’Henri, donc j’y suis très attaché. Il y a le tee-shirt avec la poële pour rappeler comment il a appris à jouer, il y a le tee-shirt d’Amjadieh, le complexe sportif où il a grandi avec mon grand-père jardinier. Voilà comment ça se décline.
Il y a sur votre site une vidéo avec des extraits de matchs de votre père et en la regardant, on se rend compte à quel point c'est un vrai métier. Par exemple, quand il lance la balle très haut et qu'il la fait retomber dans la poche de son short, ça se travaille, il doit travailler tout ça énormément, non ?
S.B. : Non, je vous promets qu'il n'a jamais travaillé ça. C'est quelque chose qui est devenu instinctif. Il l'a fait une fois, dans ma mémoire peut-être à Genève, le stade était blindé, il l'a fait, c'est rentré, il a vu que les gens étaient debout mais après il ne l'a jamais retravaillé. Moi je l'ai vu s'entraîner des millions de fois, il n'a jamais travaillé quoi que ce soit. Tout ce qu'il fait est instinctif. Vraiment. Ca me fait rire mais jamais il ne s'est dit 'je vais prendre cent balles, la taper cent fois et voir combien de fois ça rentre', non, il le fait instinctivement parce que c'est ce qu'il faisait quand il était gamin en dehors des courts puisqu'il n'avait pas le droit de rentrer sur les courts de tennis.
On connaît votre père comme quelqu’un de facétieux, sur le court c’est ce qu’il montre, c’est le personnage qu’il a créé. Est-il le même dans la vie ou est-ce qu’il est complètement différent ?
S.B. : Dans la vie, il est pareil sur le plan de la générosité. Il est très généreux, il aime accueillir, faire plaisir, de ce côté-là pas de problème. Mais il y a des facettes de lui qu'on ne connaît pas, c'est quelqu'un qui peut aussi être très râleur. Il râle beaucoup, énormément même. J'ai toujours l'impression qu'il fait la tronche mais ce qui est marrant c’est que moi, son fils, je peux lui rentrer un peu dedans et au bout de deux minutes, il se marre. Donc il a ce côté râleur qu'on ne voit pas sur le court mais, dans la réalité, il peut être chiant (rires).
L'objectif de cette marque, c’est d’abord de rendre hommage à votre père, mais est-ce aussi d'en faire commercialement quelque chose qui tourne ?
S.B. : Très sincèrement, je l'ai fait, je suis heureux d'avoir réalisé ce projet, maintenant c'est dans la main des gens, j'espère qu’ils vont adhérer, que ça va leur plaire. Je ne suis pas une grosse structure, je n’ai pas d'attentes énormes. Ce dont j’ai envie, c'est que ça plaise aux gens, qu'ils soient heureux de le porter, heureux d’avoir une moustache avec écrit 'Mansour' dessus et que ça leur donne envie de le voir jouer au Trophée des Légendes ou sur n'importe quel autre terrain du monde.
Ce qui me plaît là-dedans, c'est qu'on l'a lancé très récemment, il y a trois semaines, et qu'il y a des gens qui m’écrivent de Londres, des Etats-Unis, d'Autriche, d'un peu partout et qui m'achètent des tee-shirts ou une casquette. Il y a pas mal de clients iraniens aussi qui m'achètent beaucoup de tee-shirts et j'en suis fier. Parce qu'ils sont fiers de porter la moustache et fiers de Papa comme je suis moi-même fier de lui et son fan numéro un.
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Mansour Bahrami.

Crédit: Imago

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