Roland-Garros 2023 | Novak Djokovic - Carlos Alcaraz, le blockbuster de transition

Nous y voilà enfin. Un an, un mois et deux jours après leur première et, pour quelques heures encore, unique confrontation à ce jour, Carlos Alcaraz et Novak Djokovic vont se retrouver sur un court de tennis. C'était à Madrid le 7 mai 2022 et cette savoureuse mise en bouche, dont était sorti vainqueur le jeune Espagnol au tie-break du dernier set, avait un goût de reviens-y qui se sera fait attendre.

Depuis, au gré des blessures de l'un et des empêchements de l'autre, ils n'ont pas toujours été en mesure de s'aligner dans les mêmes tableaux. Quand ce fut le cas, il y avait toujours quelqu'un ou quelques-uns pour nous priver de ces retrouvailles. Comme l'an passé à Roland-Garros, lorsqu'ils avaient été stoppés nets par Nadal et Zverev alors qu'ils auraient pu, déjà, constituer l'affiche de la demi-finale du haut du tableau. Cette fois, Nadal n'est plus là, Zverev est en bas et le duo hispano-serbe évolue sur des hauteurs différentes.

Ces quinze dernières années, en dehors des joutes communes des membres du Big 3, voire du Big 4, aucun match n'avait été à ce point attendu en Grand Chelem. On peut se tromper, certes, mais difficile de trouver quelque chose de comparable. On ne peut rêver mieux en ce moment. Le public en avait envie, le tennis en avait besoin.

Si ce n'était "que" le duel entre les deux meilleurs joueurs du moment, ce serait déjà affriolant. Mais ce n'est pas que ça. C'est aussi une confrontation entre le dernier rescapé du trio le plus légendaire de l'histoire du tennis (64 titres en Grand Chelem à eux trois, rappelons-le quand même) et celui qui, même s'il n'est qu'au tout début de sa trajectoire de champion, semble en mesure d'emprunter leurs pas et d'embrasser leur grandeur.

C'est bien cette dimension générationnelle entre deux évidences, l'une ancrée depuis fort longtemps (Djokovic est un des géants de ce sport) et l'autre à peine moins indiscutable (Alcaraz va le devenir) qui donne à ce combat-là tout son sel. Avec, en cerise sur le gâteau, le parfum de l'inédit. Qu'il s'agisse des "Fedal", des "Djokodal" ou des "Fedovic", le Big 3 a offert 49 duels dans les tournois du Grand Chelem. Ce Djokovic-Alcaraz sera en revanche le tout premier du nom sur une scène majeure.

La nouveauté excite. Elle intrigue, aussi, car dans nos bottes subsiste une tonne de questions : Alcaraz est-il déjà si fort que même Djokovic va se laisser emporter par la tornade ? Le Serbe va-t-il convoquer une montagne d'orgueil pour refuser d'adouber 'Carlitos' dès aujourd'hui comme le nouveau roi ? Une page d'histoire peut-elle s'écrire vendredi ? La quête de ces réponses sublime encore l'enjeu d'un événement que les deux protagonistes attendaient sans doute avec autant d'impatience que nous. Car eux aussi veulent savoir.

Malgré leurs 16 années d'écart, rien ne dit que c'était "Maintenant ou jamais" pour voir ces deux-là s'affronter. Novak Djokovic a beau avancer en âge, le Serbe ne montre aucun signe notable de fléchissement, encore moins quand viennent les quinzaines majuscules. Si l'attente a été longue, le choc frontal de la porte d'Auteuil a encore le temps d'engendrer des petits frères.

Il n'en reste pas moins que si Carlos Alcaraz doit nouer des rivalités durables, à savoir sur la décennie à venir, il est plus que probable qu'il devra se tourner vers d'autres compagnons. Un Rune, peut-être. Un Sinner. Ou d'autres. Avec Djokovic, c'est différent. Un plaisir d'une autre nature. Une sorte de blockbuster de transition, pour tourner en douceur la page de quinze années de festin entre les trois seigneurs, avant, peut-être, de passer à autre chose.

Peut-être, car rien ne dit que Carlos Alcaraz trouvera un interlocuteur à sa hauteur comme ce fut le cas pour Federer avec Nadal, puis Djokovic. Ce n'est encore qu'un pressentiment, plus qu'une vérité gravée dans le marbre tennistique, mais on a du mal à voir aujourd'hui qui, de manière constante, pourrait s'imposer comme son grand rival. Mais c'est une autre question. Un autre débat. En attendant, il faut savourer sans aucune modération ce qui nous attend vendredi.

D'autant que, pour réduire ce match à son enjeu court-termiste, c'est peut-être la vraie finale de cette édition 2023 qui pointe le nez. On peut d'ailleurs trouver dans ce dernier carré un écho vieux de 10 ans. En 2013, Novak Djokovic avait affronté Rafael Nadal dans une demi-finale mémorable qui avait scellé le destin du tournoi. L'autre billet pour la finale se jouait alors entre David Ferrer et Jo-Wilfried Tsonga. Ce n'était pas leur faire injure que de penser à l'époque que le vainqueur gagnerait surtout le droit d'être la victime d'un des deux monstres en finale. Ce fut Nadal. Ce fut Ferrer. Et ce fut le cas. Il n'y avait pas eu de finale.

Dix ans plus tard, Djokovic est toujours là, Alcaraz a suppléé Nadal mais le même raisonnement peut s'appliquer à Casper "Ferrer" Ruud et Alexander "Tsonga" Zverev. Rien n'est écrit à l'avance, c'est vrai, et l'histoire est truffée de surprises et de contre-pieds. Mais ils demeurent des exceptions, et c'est plus prégnant encore à notre époque. Il serait étonnant que le futur vainqueur de ce Roland-Garros ne foule pas la terre du Chatrier sur les coups de 14h45. Alors, faites vos jeux. Tout va bien. Le grand moment est arrivé.