La finale entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner, à jamais au-delà du réel et hors du temps
Mis à jour 09/06/2025 à 00:17 GMT+2
Un point. C'est tout ce qui a manqué à Jannik Sinner. Un point qui a tout changé. Pour lui. Pour Carlos Alcaraz, vainqueur inouï au prix d'un scénario totalement fou. Mais pour cette finale, surtout, passée du relativement quelconque au souffle épique le plus délirant, jusqu'à ce dénouement sublime et cruel qui a séparé le vainqueur du vaincu tout en les réunissant dans une grandeur commune.
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Video credit: Eurosport
Dans le sport, il y a les grands moments. Les grands matches. Le paroxysme de l'esthétisme, du beau, de l'intense. Puis il y a les moments à part. Ni mieux, ni plus forts, ni rien. Juste, à part. Ils sont différents, parce qu'uniques. C'était ça, ce 8 juin 2025, à Roland-Garros. Un de ces très rares moments qui dépassent le rationnel. Le déjà vu et le déjà vécu.
Nous étions nombreux à attendre beaucoup de cette finale entre Jannik Sinner et Carlos Alcaraz. A juste titre. Parce qu'ils sont les deux meilleurs joueurs du monde, que rien de ce qui compte le plus ne leur échappe depuis un an et demi et parce qu'ils étaient enfin réunis avec, au bout de ce débat dominical, un trophée majeur à soulever. Je faisais partie des "nombreux". Entre espoir et crainte. Voici ce que j'avais écrit hier :
"Peut-être nous laisseront-ils sur notre faim. Un peu ou beaucoup. Peut-être écriront-ils une page inoubliable, inscrivant cette finale 2025 parmi celles dont on reparle 15, 30 ou 40 ans plus tard. Tout est possible. Le pire n'est jamais sûr, le meilleur n'est jamais garanti."
Tout était envisageable, oui. Qu'ils nous servent une finale d'une intensité et d'une qualité comparable à leur duel de 2022 à l'US Open en quart de finale. Ou que l'un des deux ne survole à ce point son sujet que l'affaire fasse pschitt. C'eut alors été "Tant mieux pour l'un, tant pis pour l'autre et pour nous". Confidence pour confidence, c'était, sinon mon pronostic, en tout cas mon ressenti. Je voyais Jannik Sinner tenir ce rôle et s'imposer en trois sets, à la rigueur en quatre. Je le trouvais trop fort sur cette quinzaine et Carlos Alcaraz un brin trop erratique, en dépit de ses hauts si hauts. Je me suis trompé. Dont acte, et peu importe.
Sinner avait une main et quatre doigts sur le trophée
La chose était toutefois envisageable et, à un point près, cette réalité aurait existé. Sinner a été dominateur dans ce match. Ce match moins un point. Est alors arrivé ce qui n'était pas envisageable. La sortie des rails de la rationalité, de la logique. Deux sets à un Sinner, 5-3 Sinner, 0-40. Trois balles de match et de titre. Mais la Coupe des Mousquetaires n'est pas dans ses mains. Ça n'existe pas. Même Coria face à Gaudio, ce n'était pas tout à fait ça. Même Federer et ses deux balles de match en 2019 à Wimbledon contre Djokovic, au bout du 5e set, c'était différent. Il restait une forme de fragilité. Pas là. Sinner avait trop les cartes en main. Trop serein, trop fort, trop tout.
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Jannik Sinner a capo chino nella finale contro Carlos Alcaraz, Roland Garros 2025
Crédit: Getty Images
A-t-il réveillé la bête ? Oui et non. Il fallait l'achever, il n'a pas su le faire. Mais le numéro un mondial n'a pas non plus craqué dans les grandes largeurs. Ce qu'a produit Carlos Alcaraz pour sauver son service et sa vie dans cette finale témoigne une fois de plus du caractère spécial du jeune homme. On peut tout apprendre, tout travailler. La technique, le physique, la tactique. Le mental aussi se travaille. Mais quand même. Ça, c'est différent. Il y a une sublime part d'instinct, quelque chose d'inné pour sortir ça de ses tripes et de sa raquette dans un moment de cet ordre.
Une force mentale inouïe
Il compte donc désormais cinq titres du Grand Chelem, où il n'a toujours pas perdu une finale. On le savait différent, on le savait grand et même peut-être un peu plus que cela, il avait déjà beaucoup montré et offert mais ça… Il s'est grandi, comme jamais il ne s'était grandi, en ajoutant ce scénario venu d'ailleurs. Gloire à lui et à 22 ans, il en a encore probablement sous la semelle et dans la poitrine, même s'il lui faudra quand même se lever tôt pour nous sortir une dinguerie approchante à l'avenir. C'est immense, ce qu'il a accompli. Il est immense.
Mais s'il n'y a qu'un seul vainqueur puisque telle est la nature du sport et particulièrement de celui-ci, Alcaraz n'est pas le seul à s'être élevé dans des sphères qui lui étaient encore inconnues. Il est impossible et il serait plus qu'injuste, dégueulasse, de ne pas y associer Jannik Sinner. Ce dimanche soir, pour le palmarès et les chiffres, il est dans la peau du "loser". Il paraît même que l'Histoire les oublie, ne retenant que les vainqueurs. Ineptie. La pire de toutes.
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Sinner felicitando a Alcaraz.
Crédit: Getty Images
C'est tout le paradoxe, presque l'absurdité de cette journée. Passé à un point et une poignée de centimètres, pas plus d'un ou deux, d'une victoire presque sans histoire comme il y en a eu tant d'autres et comme il en existera encore à la pelle, Sinner sort lui aussi grandi de sa défaite comme il y en a si peu. Parce qu'il faut être d'une trempe rare pour se relever de ce qui ne lui était promis dans cette fin de 4e set. De repartir au charbon, de débreaker, pour se retrouver à nouveau à deux points du sacre, une heure et demie après l'avoir déjà effleuré du doigt. Lui aussi a été immense.
Et "maintenons, aimons-le", avait écrit il y a plus de quatre décennies une grande plume, Philippe Brunel. Il parlait de Bernard Hinault, champion aux jambes d'acier et au caractère de cochon, qui suscitait respect et admiration de chacun sans jouir de l'amour de tous. Tout ceci ne va pas toujours de pair. Jannik Sinner a ses défauts, il traîne une casserole depuis quelques mois, certains jugent que son jeu n'invite pas toujours aux effluves les plus passionnées. Mais s'il ne faut qu'un gagnant, il faut être deux pour magnifier un match et engendrer un tel moment, hors du temps et du réel. Alors, maintenons, aimons-le. Et il se relèvera. Comme il s'est relevé dans ce cinquième set, même s'il a fini par retomber pour de bon.
Je ne sais pas encore, à chaud, comment qualifier avec justesse et précision ce à quoi nous avons assisté. Mais c'était spécial. Très spécial. Ils commencent à nous y habituer, ces deux-là. "Donnez-nous des Alcaraz - Sinner pendant 15 ans", disions-nous à New York, en 2022, après un quart de finale lui aussi d'anthologie, par son intensité et son scénario. Déjà. Mais ils ont trouvé le moyen de faire encore plus fort. Beaucoup plus fort. On confirme. 15 ans. Même 20, pas de souci.
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