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Oui, c'est ça qu'on veut, Juan Martin !

Laurent Vergne

Mis à jour 05/09/2017 à 12:05 GMT+2

US OPEN 2017 – Formidable moment de tennis lundi soir sur le Grandstand, quand un Juan Martin Del Potro mis K.-O. par un virus a trouvé les moyens de renverser en cinq sets Dominic Thiem (1-6, 2-6, 6-1, 7-6, 6-4). Le sommet émotionnel d'un tournoi jusqu'alors ronronnant. L'Argentin a offert au public ce dont, au fond, il est toujours en quête : le grand frisson.

Juan Martin del Potro - US Open 2017.

Crédit: Getty Images

"This is what they want..." A 39 ans, le jour même de ses 39 ans d'ailleurs, après quatre heures et demie de combat, Jimmy Connors avait trouvé ce 2 septembre 1991 le temps et le moyen de résumer, en cinq mots, l'ADN de cette foule qui ne ressemble ni à celle de Melbourne, ni à celle de Paris, et encore moins à celle de Wimbledon. Cette foule qu'il comprenait mieux que personne. Assis au fond du court avant de retourner au charbon et d'achever le pauvre Aaron Krickstein dans un tie-break au dénouement couru d'avance, Connors s'était tourné vers la caméra et, évoquant l'hystérique public, avait lâché ces mots si fameux qu'ESPN en fit le titre de son documentaire consacré à la folle cavalcade de Papy Jimmy : "This is what they want". "Voilà ce qu'ils veulent".
Oui, c'est ce qu'ils voulaient, et ce que Connors savait mieux que personne leur donner. Mais quoi au juste ? Une dose d'adrénaline, un shoot d'adrénaline pure, celui qui dresse les poils sur la peau et fixe les souvenirs dans la tête. Le frisson. L'émotion. La passion. Lundi soir, quand après avoir arraché la victoire à Dominic Thiem au terme d'un match aussi improbable que mémorable, Juan Martin Del Potro s'est planté telle une statue devant le public déchaîné du Grandstand, tête et bras vers le ciel, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Connors.

Dans la tronche

Comprenez-moi bien, les contextes et les hommes n'ont rien à voir. Del Po, c'est même l'anti-Jimbo. Il était facile de détester Connors. Il est bien compliqué de ne pas aimer Del Potro. L'Américain se nourrissait de ses détestations, les siennes et celles qu'il engendrait, quand l'Argentin de Tandil ne voudrait pas de mal à une mouche. Il n'est jamais dans l'intimidation, grande spécialité de Connors.
En revanche, chacun à sa manière est un combattant phénoménal. En 1991, Connors luttait contre son âge déraisonnable. Del Potro, grand corps malade, contre une saleté de virus et sa fièvre. On peut l'appeler "fighting spirit", "rage de vaincre" ou "garra", comme disent les Argentins, peu importe. La force mentale de ces gens-là est hors normes. Del Potro était mené 6-1, 6-2. Il était au fond du gouffre. C'est bien dans la tronche, plus que dans le bras ou les jambes, que Del Potro a fini par prendre le dessus sur Thiem lundi. Comme Connors sur Krickstein jadis. Et le public adore ça.
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Après la victoire, les frissons : l'ovation monumentale réservée à Del Potro

Un seul regret, le Ashe

Est-ce injuste pour leurs victimes ? D'une certaine manière, oui. Mais cet amour-ci et ce respect-là ne s'achètent pas. Ils se méritent. Connors incarnait l'US Open comme personne. Del Potro est lui aussi un ancien vainqueur et la lutte contre les éléments contraires est devenue le leitmotiv de sa carrière, minée par les blessures. Personne n'a rien contre Thiem. Mais l'histoire personnelle ou la personnalité de l'Autrichien, pour respectables qu'elles soient, ne pèsent pas lourd aujourd'hui face à celles d'un Del Potro. C'est pour cela, et pas seulement parce que beaucoup de supporters argentins étaient là, que le Grandstand était unanimement aux anges de voir l'Argentin aller au bout de son invraisemblable comeback.
Oui, c'est ça qu'on voulait. Un match qui nous transcende un peu. Enfin. Cet US Open, lesté par les absences et assez chiche en moments mémorables dans sa première semaine, avait besoin d'un match-référence et d'émotions fortes. Il fallait quelqu'un pour secouer Flushing. On ne regrettera qu'une chose : que ce match ne se soit pas disputé sur le court Arthur-Ashe.
L'affiche le justifiait a priori. C'était la plus belle, sur le papier, de ces huitièmes de finale. Le scénario du match l'a confirmé, ô combien, a posteriori. Les rencontres de Nadal et Federer, trop évidemment programmées sur le central, n'ont eu qu'un intérêt très limité. C'est un manque de respect pour Del Potro, ancien vainqueur du tournoi, et même plus récemment que Federer. Business is business, rétorquera-t-on, les plus bankables sont placés sur le Ashe, peu importe leur adversaire. Mais qui en a eu pour son argent lundi soir sur le plus grand court du monde ?
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Souffrant puis renversant, Del Potro a signé le come-back de l'année

Vieux salaud et parfait gentil

Peu importe au fond. Lundi soir, Juan Martin Del Potro s'est approprié cette édition 2017. J'ignore s'il pourra la confisquer jusqu'au bout, mais on n'y mettrait pas son 13e mois et son Livret A. Enchaîner Federer et potentiellement Nadal après ça... Mais si le vainqueur a toujours raison, il n'est pas toujours celui dont on se souvient le plus. Pendant un quart de siècle, avant l'inauguration du toit sur le Arthur-Ashe, c'est Connors-Krickstein qui repassait à la télé de façon systématique à chaque averse. Pas un match de Stefan Edberg, indiscutable triomphateur cette année-là. L'US Open 1991 est celui du Suédois dans les palmarès. Mais c'est à jamais celui de Connors dans les mémoires.
Il est fort possible que, dans quelques années, la première chose qui vienne à l'esprit à l'évocation de cette cuvée 2017 soit ce Del Potro-Thiem. Nadal, Federer, Querrey ou un autre sera peut-être sacré dimanche, mais si le tournoi replonge dans l'ennui, il nous restera ça. Car c'était un sacré combat, un sacré scénario, et un sacré moment de tennis. "Inolvidable", a tweeté JMDP après son match. Inoubliable.
Pour ceux qui étaient devant leur télé cette nuit et plus encore dans le stade, c'est sans aucun doute vrai. Ça fait du bien. Et en plus, ça fait plaisir. "Je faisais un bon méchant", a dit Connors en 2014 lors d'un match exhibition avec Krickstein, à l'initiative de ce dernier, alors qu'ils ne se parlaient plus depuis ce 2 septembre 1991. Le méchant parfait, oui. Juan Martin Del Potro, lui, est le parfait gentil. Mais de ce vieux salaud de Jimbo à la nature affable de ce bon Del Po, un même frisson. This is what we want.
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