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L'US Open, ou l'exception culturelle du Big 3 Novak Djokovic, Rafael Nadal, Roger Federer

Rémi Bourrières

Mis à jour 26/08/2022 à 11:23 GMT+2

US OPEN - Alors qu'il règne quasiment sans partage sur les trois autres tournois du Grand Chelem depuis plus de 15 ans, le Big Three a curieusement relâché son étreinte à l'US Open, tournoi qui a souvent échappé à son joug ces dernières années, notamment lors des deux dernières éditions. Certes, c'est en grande partie contextuel. Mais il y a aussi d'autres explications.

Rafael Nadal celebra un punto en el US Open 2019

Crédit: Getty Images

Fût un temps où l'US Open s'érigeait en forteresse quasi-imprenable, sauf à appartenir à une élite très resserrée du tennis mondial. Jugez plutôt : entre son déménagement à Flushing Meadows en 1978 (année qui a aussi correspondu à son passage au dur) et l'édition 2014, le Grand Chelem new-yorkais n'avait consacré que des n°1 mondiaux - anciens, en exercice ou futurs -, à la seule exception de Juan Martin Del Potro en 2009. Dont personne ne doute qu'il avait lui aussi le profil d'un as s'il ne s'était pas tant blessé.
Plusieurs raisons ont été avancées ici et là pour expliquer ce palmarès ultra-VIP qui semblait faire de l'US Open sinon le Grand Chelem le plus difficile à gagner, du moins le plus sélectif, et de loin. Notamment le fait que le tournoi se dispute sur dur, surface la plus universelle et la moins propice aux spécialistes, donc peut-être la moins aléatoire et sujette aux surprises improbables.
Reste que de manière assez paradoxale, ce constat a progressivement changé ces dernières années à l'ère de la génération la plus glorieuse de l'histoire du jeu : celle du Big Three, qui a moins gagné à l'US Open (tout est relatif…) que sur les autres Grands Chelems, dont il a fait sa chasse gardée dans des proportions frôlant l'indécence.
Là encore, jugez plutôt les chiffres. En cumulé, le Big Three compte "seulement" 12 titres à l'US Open (5 pour Federer, 4 pour Nadal et 3 pour Djokovic), contre 17 à l'Open d'Australie (Djokovic 9, Federer 6, Nadal 2), 17 à Roland-Garros (Nadal 14, Djokovic 2, Federer 1) et 17 à Wimbledon (Federer 8, Djokovic 7, Nadal 2).
Vu sous un autre angle, cela donne cette statistique assez édifiante : depuis 2005, que ce soit à l'Open d'Australie, à Roland-Garros ou à Wimbledon, un seul homme par Grand Chelem a réussi à briser (une seule fois) la mainmise du Big Three : Stan Wawrinka à Melbourne (2014) et à Paris (2015), ainsi qu'Andy Murray à Londres (2013 et 2016). Fin de la liste. A New York, ils sont six : Juan Martin Del Potro (en 2009), Andy Murray (2012), Marin Cilic (2014), Stan Wawrinka (2016), Dominic Thiem (2020) et Daniil Medvedev (2021).
Si, en l'absence de Novak Djokovic et de Roger Federer, Rafael Nadal ne remporte pas cette année son cinquième titre à New York (pour signer son deuxième Petit Chelem et son 23e titre du Grand Chelem au total), cela fera donc trois ans d'affilée que l'US Open échappe au Big Three. Une étrangeté, pour le moins. Presque une aberration.
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"Quand Djokovic n'est pas là, Nadal est encore plus favori que d'habitude"

Djokovic et l'US Open, une histoire contrastée

Est-ce à dire que l'US Open, ce n'est plus ce que c'était ? N'omettons pas tout de même quelques éléments contextuels venus brouiller les cartes, comme la tenue à huis clos d'une édition 2020 marquée aussi par la disqualification de Novak Djokovic en huitièmes, ni le "craquage" nerveux du Serbe l'an dernier contre Daniil Medvedev lors d'une finale qui pesait des tonnes d'histoire et de pression, avec Grand Chelem en vue.
Pendant ce temps, Rafael Nadal n'a joué ni en 2020 (par choix) ni en 2021 (blessure au pied), lui qui a souvent abordé ou terminé blessé un tournoi auquel il avait également renoncé en 2012 et 2014, et où il avait dû abandonner en demi-finale en 2018 (genou) ; quant à Roger Federer, depuis son cinq à la suite entre 2004 et 2008, l'US Open est devenu avec l'âge le Grand Chelem où il a éprouvé le plus de difficultés, peut-être en raison de l'extrême exigence physique d'un tournoi joué dans des conditions météo souvent extrêmes, avec une chaleur moite qui vous brûle les guiboles et vous assèche la gorge.
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Roger Federer accuse le coup physiquement lors de son 8e de finale contre John Millman à l'US Open

Crédit: Getty Images

La difficulté physique et mentale de l'US Open, c'est sans doute ici que résident en partie les "malheurs" du Big Three au Billie Jean King National Tennis Center, où sa gloutonnerie durant le reste de la saison a pu parfois se retourner contre lui lors d'un tournoi qu'il n'a pas toujours joué dans des conditions de fraîcheur optimales.
"L'explication la plus évidente, c'est que l'US Open est le dernier Grand Chelem de la saison, à un moment où beaucoup de joueurs, et particulièrement les top joueurs, sont fatigués voire blessés, estime notre consultant Mats Wilander, vainqueur à Flushing Meadows en 1988. En plus de ça, New York est de loin, la ville la plus épuisante pour jouer un grand tournoi. Il y a beaucoup de bruit, à Manhattan comme au stade. Sans parler des conditions météos… Dans les années 80, Kevin Kurren avait dit : "il faut balancer une bombe sur Flushing Meadows." A mon avis, beaucoup de joueurs le pensent encore. Certains doivent se dire : "Si je gagne, c'est super. Sinon, c'est super aussi, parce que derrière, je rentre chez moi…"
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Inoubliable image : Djokovic ovationné par la foule et en pleurs sur sa chaise

Flushing, le tournoi de la "dernière chance"

"A l'US Open, il y a aussi souvent davantage de pression, soit pour sauver sa saison, soit pour réussir quelque chose de grand, comme Novak l'an dernier, rajoute Alex Corretja, qui avait perdu un match culte contre Pete Sampras en quart de finale de l'édition 1996. Ça ne veut pas dire que les meilleurs joueurs sont moins bons à l'US Open qu'ailleurs mais pour toutes ces raisons, physiques, psychologiques ou extérieures, ils s'expriment peut-être un tout petit peu moins bien parfois qu'à d'autres moments de la saison. C'est vrai que le Big 3, certaines années, a peut-être eu un peu plus de mal à maintenir le même niveau d'éveil."
Le constat est évident pour Nadal, on en a parlé - même si l'Espagnol est mine de rien le joueur le plus titré à New York depuis 2010. Mais il s'est aussi imposé, de manière peut-être moins perceptible mais bel et bien réelle, pour Novak Djokovic qui est probablement le joueur du Big Three ayant entretenu les rapports les plus contrastés avec l'US Open.
Longtemps, on a cru que le stade implanté dans le borough du Queen's, où le Serbe avait d'ailleurs atteint sa première finale majeure en 2007 (à 20 ans), était taillé pour lui. Que sa science du jeu sur dur et son sens naturel du show allaient y trouver un théâtre d'expression à sa parfaite convenance. Quinze ans plus tard, force est pourtant de constater que l'US Open aura été son Grand Chelem le moins prolifique : il y compte certes un succès de plus qu'à Roland-Garros (trois titres en 2011, 2015 et 2018 contre deux à Paris), mais moins de victoires en tout (81 contre 85) et y a subi davantage de déconvenues.
On l'y a parfois vu au bout du rouleau, à l'image de son étonnante contre-performance contre Kei Nishikori en demi-finales de l'édition 2014, sa finale manquée contre Stan Wawrinka en 2016, son forfait sur blessure (coude) en 2017, son abandon face à ce même Wawrinka en huitièmes en 2019 (épaule), puis les deux énormes crashes dont on a parlé en 2020 et 2021, qui avaient forcément à voir avec un épuisement au moins mental. Le cru 2022, avec ce forfait forcé par la politique sanitaire américaine, restera une autre forme de désillusion dans un tournoi qui est aussi son deuxième Grand Chelem le moins prolifique en termes de victoires contre ses rivaux du Big Three (4 contre 6 à Melbourne, 5 à Londres et 3 à Paris).
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Novak Djokovic lors de l'US Oprn 2020

Crédit: Getty Images

Nadal, la blessure ou le titre ?

La trajectoire est un peu inverse pour Rafael Nadal, qui a eu du mal à trouver son rythme de croisière à l'US Open puisqu'il s'agit du Grand Chelem où il a mis le plus de temps à se hisser en deuxième semaine (2006), et qu'il a remporté en dernier (2010). Mais à partir de là, on l'a dit, il s'y est imposé à quatre reprises (2010 puis 2013, 2017 et 2019), ce qui ne l'a pas empêché lui aussi d'y connaître pas mal de déboires. Essentiellement physiques mais aussi tennistiques puisque c'est à New York, au 3è tour de l'édition 2015 contre Fabio Fognini, qu'il avait perdu pour la première fois un match en Grand Chelem après avoir mené deux sets à rien. L'année suivante, en huitièmes, il y avait eu aussi cette mémorable défaite contre Lucas Pouille au jeu décisif du 5e set.
Depuis ? Eh bien depuis c'est simple, Nadal n'a plus "vraiment" perdu un match à l'US Open : titre en 2017, abandon en 2018, titre en 2019, forfaits en 2020 et 2021. En gros, désormais, à Big Apple, soit Nadal est blessé, soit il gagne. Cette année 2022 s'annonce toutefois particulière puisqu'après sa blessure aux abdominaux à Wimbledon et sa reprise manquée à Cincinnati avec cette défaite d'entrée face à Borna Coric, l'Espagnol arrivera sans la moindre victoire sur dur derrière la ceinture. Même si l'on connaît l'animal et sa fascinante capacité à doser au millimètre sa montée en puissance, c'est un gros argument en sa défaveur, forcément.
Reste que bien préparé ou pas, Rafael Nadal porte en tout cas la responsabilité de redonner un peu de "normalité" à un tournoi qui n'est plus à une bizarrerie près puisque c'est aussi le seul Grand Chelem, rappelons-le, où il n'a jamais affronté Roger Federer. Aucun rapport ? Certes. Mais une étonnante statistique de plus à mettre au passif d'un ancien havre de stabilité en passe de devenir une drôle d'exception culturelle à l'américaine.
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Rafael Nadal savoure son sacre lors de l'US Open 2019

Crédit: Getty Images

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