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Legends' Voice - Miracle, crampes, perfusion… 20 ans après, Justine Henin revient sur son duel mythique contre Capriati

Laurent Vergne

Mis à jour 07/09/2023 à 22:09 GMT+2

Dans Legends' Voice, Eurosport donne la parole aux champions et aux championnes qui ont marqué l'histoire du tennis. Ce jeudi, jour des demi-finales dames de l'US Open, retour sur un duel de légende, celui qui avait opposé, justement en demie, Justine Henin à Jennifer Capriati. La Belge, consultante d'Eurosport, évoque pour vous ce moment inoubliable. Pour elle et pour le tennis féminin.

Quand Hénin vous fait revivre sa demi-finale dingue avec Capriati

Le tennis américain "célèbre" les 20 ans de sa dernière victoire en Grand Chelem et à l'US Open, par l'intermédiaire d'Andy Roddick. Mais cette édition 2023, c'est aussi le 20e anniversaire d'un match d'anthologie dans le tableau féminin : la demi-finale entre Justine Henin et Jennifer Capriati.
Une lutte infernale de plus de trois heures, achevée au-delà de minuit. Un niveau de jeu stratosphérique, une intensité inégalable, des rebondissements, des crampes et un dénouement heureux pour la consultante d'Eurosport, victorieuse 7-6 au 3e set. La Belge est pourtant passée ce soir-là à neuf reprises à deux points de la défaite.
20 ans plus tard, elle revient dans Legend's Voice sur cette rencontre qu'elle considère encore aujourd'hui comme le moment le plus fort de sa carrière, en tout cas sur le plan émotionnel. A l'heure de se replonger dans ses souvenirs, Justine commence par la fin : une poignée de mains glaciale, qui traduisait simplement la gigantesque déception de "Jenny" Capriati. La Belge l'avait parfaitement compris.
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Par Justine Henin
"J'étais un peu dans un état second avec les crampes, la fatigue, l'émotion, l'adrénaline et cette victoire inespérée au bout du suspense, donc je ne me souviens pas particulièrement de la poignée de mains très froide. J'avais un bon rapport avec Jennifer, il y avait beaucoup de respect entre nous, de la reconnaissance mutuelle, mais nous n'avions pas non plus une relation particulièrement chaleureuse.
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La poignée de ains entre Jennifer Capriati et Justine Henin en 2003.

Crédit: Imago

Nous avions déjà eu des confrontations intenses. Mais il n'y a jamais rien eu de houleux entre nous. Simplement, je pense que la déception, de son côté, était vraiment très forte pour elle ce soir-là. Elle a eu le match en mains à tant de reprises. Probablement qu'elle s'est vue gagner. Elle était déçue, et je la comprends.
J'ai revu ce match plus tard et vu la situation dans laquelle elle était, c'est forcément douloureux. On connait tous et toutes ce genre de moments pénibles dans une carrière. Ce soir-là, c'est elle qui a vécu ce moment très difficile. Devant son public, elle voulait aller au bout. Cette poignée de mains, ce n'est pas un manque de respect. C'est simplement la traduction de son énorme déception. J'ai revu aussi des images de sa conférence de presse. On sent que c'est dur. J'en ai connu des moments comme ça, où on a tout en main pour gagner et, au bout, il y a une terrible désillusion. Car elle a été la plus forte toute une partie du match.
Jennifer fait partie des joueuses que j'ai préféré affronter, parce qu'elle avait une frappe vraiment particulière, très lourde mais très pure. Jouer contre elle, même si elle m'emmenait dans des matches très physiques, j'aimais ça. Et ce match-là surtout, qui va devenir évidemment épique. C'était énorme.
New York, c'est si particulier. C'était il y a 20 ans, j'étais encore une gamine à l'époque. Je venais de gagner mon premier Grand Chelem à Roland-Garros quelques semaines auparavant. J'avais déjà un certain bagage et un peu d'expérience mais il fallait continuer à apprivoiser de nouvelles aventures, des situations inédites.
Pour moi, jouer aux Etats-Unis, c'était difficile. Mon caractère un peu timide, introverti, face à ce public très exubérant. J'avais du mal à m'exprimer là-bas. Le fait de passer du temps en Floride fin 2002 avec mon préparateur physique Pat Etcheverry m'avait fait du bien. J'avais progressé en anglais, découvert un peu mieux la culture américaine. Mais je devais progresser là-dessus. Alors affronter, en demi-finale de l'US Open, une championne américaine, sur le court Arthur-Ashe, en night session, c'était quelque chose de très particulier.
Ce soir-là, je me suis sentie un peu dépassée par tout ça pendant une bonne partie du match, et je suis passée près de prendre la porte très vite. L'atmosphère est unique, déjà à New York, et en plus en night sessions. Et si on arrive à s'en servir, à l'utiliser positivement, ça nous emmène dans des dimensions particulières. C'est ce qui va se passer ce soir-là.
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Jennifer Capriati - US Open 2003.

Crédit: Imago

J'ai un vague souvenir du point pour mener 5-3 dans le premier set où l'arbitre overrule en annonçant faute une de mes balles qui était sur la ligne sur la balle de jeu. Ça fait partie des faits de jeux qui pouvaient arriver à l'époque, car nous n'avions pas le hawk-eye. La technologie n'était pas au rendez-vous comme j'ai pu la connaître un peu plus tard dans ma carrière. Il fallait avancer, faire avec les erreurs des arbitres. J'en aussi bénéficié parfois. Il faudrait que je me replonge dans les images pour ressentir à nouveau mon état d'esprit à ce moment précis. 20 ans, ça commence à dater gentiment ! A partir de ce moment-là, Jennifer Capriati est la plus forte sur le court. Tout simplement.
Elle a joué ce match dans un grand état d'excitation. Pendant toute la partie, c'est électrique. Elle va en imposer, jouer avec le public. C'est normal. Elle cherche à m'effacer, à m'écraser même. Peut-être que ce point du 1er set est le moment où ça bascule vraiment vers une Jennifer Capriati nettement dominatrice. Derrière, elle va gagner le set 6-4.
Je crois qu'elle va se retrouver 9 fois à deux points de la victoire, même si elle n'aura jamais de balle de match. Mais je suis dominée, malmenée. Je suis menée 6-3, 5-2. Elle était extrêmement solide ce jour-là, en totale confiance. Elle joue peut-être le meilleur tennis de sa carrière. J'ai pris des coups, j'ai encaissé.
Puis il y a des matches, comme ça, où ça bascule, où on entre dans une autre dimension. Ça aurait pu faire 6-3, 6-2, j'aurais pu aller prendre ma douche et réfléchir déjà au tournoi suivant, mais non, ça va faire trois sets et plus de trois heures pour devenir un de ces matches qui marque l'esprit des gens. Je ne dirais pas rentrer dans l'histoire de notre sport mais...
Sauf que tout ça, on ne le sait qu'après. Sur le moment, on ne s'en rend pas compte. Elle essaie juste de gagner, et moi de survivre. J'ai toujours été une grande battante sur le court et je n'avais pas la mentalité à lâcher le match, même si je sentais bien que je n'étais pas à la fête.
Petit à petit, j'ai eu le sentiment de revenir dans le match et, en même temps, je sens la nervosité qui grandit chez elle. C'était tellement perceptible. Je la voyais s'impatienter et c'est compréhensible quand on est autant de fois si près de conclure. Une fois, deux fois, trois fois… neuf fois, ça peut rendre un peu dingue.
Je vais revenir dans le 2e set, et le gagner. On est dans un match qui devient totalement irrationnel, avec un niveau de jeu exceptionnel. J'ai des souvenirs de certains points… Dans le 2e set, alors que je suis à deux points de la défaite (A 6-3, 5-3, 30 A sur le service de Capriati, NDLR), je sors une demi-volée amortie incroyable (suivie d'un lob de défense de revers miraculeux sur le point du débreak) et ça me remet complètement dans le match. C'est l'instinct qui parle. J'avais presque perdu le match. Il fallait que j'essaie autre chose. Un moment donné, on lâche un peu prise, on arrête de réfléchir et on y va. Perdu pour perdu… Il y a la combativité, l'audace, et surtout l'instinct. Mais c'est vrai que ça se joue à rien.
Après, dans le 3e set, je suis encore menée 5-2, je commence à revenir à nouveau, mais je suis prise par les crampes. Je n'ai pas un souvenir exact de la manière dont elles sont arrivées, si c'est venu brutalement ou si je les ai senties venir. Je pense quand même que ça a été assez soudain. Les crampes, c'est souvent ça, sur un mouvement. J'étais tellement fatiguée. J'avais énormément couru. Elle m'avait fait mal.
Je me sentais prête physiquement, mais la cadence qu'elle m'a imposée était tellement importante… Sans oublier la tension. On le sait, les crampes, c'est aussi souvent dû à ça. Je vais lutter et devoir composer avec mon état physique toute la fin du match. Mais ce n'est pas évident pour elle non plus, parce qu'elle le voit, et ça lui met sans doute un peu la pression. Elle aurait dû le gagner tellement de fois ce match. Mais à la fin, avec les crampes, ma force de caractère, il était presque écrit que c'est moi qui devais le gagner.
C'est beau, la folie de ce sport, où tout peut basculer, où rien n'est jamais joué. Même quand vous vous sentez dominée. Parce que je me suis vraiment sentie toute petite dans ce match. Tout ne s'explique pas. Pourquoi et comment un match comme celui-ci bascule ? Il se passe quelque chose mais on ne sait pas toujours mettre le doigt sur une véritable explication, comment la décrire. C'est là, c'est tout. Vous êtes portée par le moment. Il y a même un peu de chance. Parfois, il faut un coup de pouce. Ça peut tourner sur tellement peu de choses. Il faut être très humble par rapport à ça.
Six mois plus tôt, il est certain que je ne m'en serais pas sortie. Ma victoire à Roland-Garros m'a aidée, mais surtout le travail physique effectué. A l'intersaison, j'avais énormément bossé. En juillet, on avait remis une couche avec Pat. Avant ça, j'étais dans le Top 10, on connaissait mes qualités tennistiques mais je n'étais pas prête physiquement.
Quand j'ai rencontré Pat Etcheverry en novembre 2002, je lui ai demandé ce qu'il pensait de moi. Il m'a dit 'Tu as le tennis d'une numéro un mondiale mais le physique d'une 70e mondiale'. Ça m'avait mis un coup mais j'avais aimé ce discours. A partir de là, j'ai commencé à travailler le physique de manière beaucoup plus intense. On sait qu'on prend des risques en s'engageant sur cette voie, on est sur un fil, il ne faut pas aller trop loin, mais c'était indispensable pour moi si je voulais gagner des Grands Chelem et atteindre mes objectifs. Avec mon gabarit, quand tu fais 1,65m, face à des joueuses aussi puissantes, tu dois avoir du répondant, sinon c'est impossible.
Je me suis lancée à fond là-dedans, même si ça a été très dur. J'ai souvenir de séances physiques qui me faisaient mal dormir. Mais le fait de passer à travers ça m'a donné une énorme confiance en moi. Donc je n'aurais jamais pu gagner ce match contre Jennifer si je n'avais pas fait tout ce travail physique.
Je me suis prouvé beaucoup plus de choses ce soir-là qu'en m'imposant à Roland-Garros trois mois plus tôt. L'émotion vécue à la fin du match, la folie du public ce soir-là, ça c'est quelque chose que je garde profondément en moi, parce que je n'étais pas du tout habituée à vivre ce type de moments et à en profiter, à les gérer.
Ce match reste dans les plus beaux moments de ma carrière. Dans un Top 5, certainement. C'est un des matches dont on me parle le plus quand on évoque ma carrière. Il y avait eu la première victoire à Roland-Garros, mais ce n'était pas un grand match. En termes d'émotions, c'était autre chose. Il y a aussi ma victoire face à Myskina en demi-finales des Jeux Olympiques, où j'étais menée 5-1 dans le 3e set. Ma victoire contre Sharapova en finale du Masters. On retire une satisfaction autre quand on vit des matches très serrés, au niveau de jeu très élevé, avec beaucoup d'émotions. Donc, oui, c'est peut-être le plus grand moment de ma carrière.
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Justine Henin après son exploit en demi-finale de l'US Open 2003.

Crédit: Getty Images

Après le match, il a fallu me mettre sous perfusion pour me réhydrater dans les deux heures qui vont suivre le match. Je vais aller me coucher à 5-6h du matin. Je vais avoir du mal à trouver le sommeil, alors que je dois rejouer le soir-même la finale contre Kim Clijsters. Quand je suis rentrée à l'hôtel cette nuit-là, je sentais encore l'euphorie. Il y a beaucoup de plaisir, de bonheur, mais aussi un peu de doutes par rapport à ce que je vais pouvoir faire quelques heures plus tard. Mais je suis quand même dans l'instant présent. Et c'est très fort.
Pour la finale, on n'a pas eu le temps d'anticiper, ne serait-ce que pour se demander si j'allais être en état de jouer. On a vécu les choses heure après heure après cette nuit si spéciale où je me suis couchée quand le jour se levait. Après le réveil, j'ai fait un petit décrassage, j'ai mangé et on a planifié l'échauffement d'avant-match.
C'est allé tellement vite qu'à aucun moment nous n'avons finalement eu de discussion pour dire 'Est-ce que je vais jouer ? Est-ce que je déclare forfait ?' Une chose est sûre, la dernière séance d'entraînement a confirmé que j'étais prête. Je n'étais pas blessée et je ne prenais pas de risques en jouant. J'étais très fatiguée, oui, mais il n'y avait aucun danger.
Quand il reste un match, que c'est une finale de Grand Chelem, on est capable d'aller au-delà de la douleur et de cette énorme fatigue. J'étais portée par un moment dont je savais qu'il pouvait être très spéciale dans ma carrière. Puis, Kim connaissait mon état, elle savait ce que j'avais vécu en demi-finale, et c'est finalement peut-être sur elle que la pression était. Pas sur moi..."
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Le sacre de Justine Henin face à Kim Clijsters à l'US Open 2003.

Crédit: Getty Images

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