US Open 2023 - Simple dames - Coco Gauff, l'avènement et l'événement

L'avenir est une chose fragile, particulièrement dans le sport de haut niveau. Il apportera ses propres réponses. Dans un, cinq, dix ou quinze ans, nous saurons ce que ce premier titre en Grand Chelem de Coco Gauff portait en lui. Le souffle d'une jeunesse sans lendemain. L'annonce d'une domination sans partage sur une longue durée. Ou bien un entre-deux.

De Michael Chang à Serena Williams, de Martina à Hingis à Rafael Nadal, il y a mille façons de faire fructifier, ou non, un sacre aussi précoce. Ce qui apparaît en revanche incontestable dès aujourd'hui, c'est que la consécration de la jeune Américaine constitue à la fois son avènement tout en haut du tennis mondial, en même temps qu'un événement d'importance, de nature à transcender le seul cadre de ce sport et du sport tout court.

Tennistiquement parlant, tout le monde guettait ce moment. Impatiemment et injustement. Pour un peu, parce qu'elle est apparue si tôt sur le circuit, on pourrait croire qu'elle a pris son temps. Titrée à Roland-Garros chez les juniors à 14 ans, huitième de finaliste à Wimbledon un an plus tard, Miss Gauff semblait destinée à atteindre très vite le sommet. Comme souvent, nous n'avions rien compris.

En réalité, il y a eu maldonne, comme le rappelait à l'AFP Patrick Mouratoglou, qui avait décelé son talent immense alors qu'elle n'avait que 10 ans. "Comme elle a gagné des matches très jeune, tout le monde a dit qu'elle allait gagner des Grands Chelems tout de suite. On a fait d'elle quelqu'un qu'elle n'était pas. Elle était prête à battre des grandes joueuses sur un match. Mais sur la durée d'un Grand Chelem, ce n'est pas la même histoire", expliquait le technicien français.

Désormais, Coco Gauff est ce qu'elle est. Une jeune joueuse avec un titre du Grand Chelem. Ce qui sidère, ce n'est pas qu'elle ait coché cette case à 19 ans, mais qu'elle y soit parvenue avec un jeu encore très perfectible. Ce n'est pas une critique, mais un gage d'avenir. Sa marge de progression reste importante, notamment dans la construction tactique. Malgré tout, la voilà déjà avec un trophée majuscule sous le bras. C'est dire.

L'US Open n'a pas toujours été tendre ces dernières années avec les championnes précoces ayant ouvert leur palmarès ici. On songe notamment à Bianca Andreescu ou Sloane Stephens. Un corps qui lâche, une tête qui dit stop, tout cela peut arriver. Mais la native d'Atlanta semble de taille à aller au-delà de l'éphémère, notamment pour ce qui est du second cas.

Elle a été habituée très tôt à susciter des attentes et à les gérer. On ne dira jamais assez à quel point la chose est compliquée pour quelqu'un d'aussi jeune, soumis aux spotlights dès la préadolescence. Il ne suffit pas d'être une joueuse d'exception, mais aussi une personne dotée de qualités spéciales pour vivre avec cela.

"Je dirais que c'est vraiment bizarre, a-t-elle admis à propos du fait d'être une personnalité publique. C'est parfois difficile parce que je pense que les gens oublient que vous êtes une personne. Ils vous voient comme un athlète et ils encouragent leur personne préférée, et quand vous perdez, ils disent toutes sortes de choses sur vous. Je pense qu'il est important que vous vous connaissiez vraiment, parce qu'il est très facile de se laisser influencer par ce que vous devriez faire ou ne pas faire lorsque tout le monde donne son avis."

Coco Gauff joue juste, mais elle pense et parle avec peut-être plus d'acuité encore. Son discours d'après-finale, samedi, a été un modèle du genre. Sur ce plan aussi, elle a surclassé Sabalenka. Là où la Biélorusse a été débordée par la confusion de ses émotions, l'Américaine a impressionné.

Que ce soit pour évoquer son père ("C'est la première fois que je le vois pleurer. Il ne voulait pas que je le dise. Il se croit dur, mais en fait il ne l'est pas"), rendre hommage à Bille Jean King à propos de l'égalité du prize-money ("Merci Billie de t'être battue pour ça !") mais plus encore pour remercier tous ceux qui l'ont prise pour cible en clamant que jamais elle n'y arriverait : "Merci à tous ceux qui n'ont pas cru en moi. (…) Ceux qui ont voulu mettre de l'eau dans mon gaz, vous n'avez fait que verser de l'essence sur mon brasier et aujourd'hui, je brille de mille feux."

Comme toujours avec ce genre ce spécimen, si la jeune femme est épanouie, la championne le sera aussi. Lorsque Brad Gilbert a rejoint son staff cet été aux côtés de son entraîneur Pere Riba, il a demandé une chose à sa nouvelle protégée qui l'a interpellée : "Souris davantage". De l'extérieur, il la trouvait trop fermée. Il voulait la voir plus heureuse. Dimanche soir, elle l'était.

Mais derrière la consécration sportive se dresse la certitude de voir débouler une jeune femme capable de marquer son temps, un peu comme une Serena Williams. En cela, son sacre est un événement. Il y a des évidences. Des gens qui ont des choses à faire et à dire. Serena dégageait cela. Gauff aussi. Le charisme ne s'achète pas et se travaille à peine plus. C'est injuste mais il est ou n'est pas. Il se passe quelque chose autour de Coco Gauff, parce qu'il y a de la substance par-delà la fille qui tape dans une balle.

Elle n'a pas peur de dire ce qu'elle n'a pas peur de penser. Cela ne lui vaudra probablement jamais l'unanimité, mais du respect, sans doute, oui. C'est peut-être plus fort encore qu'elle ouvre son palmarès ici, aux Etats-Unis, comme la cadette des Williams près d'un quart de siècle plus tôt, au moment où le sport américain se retrouve orphelin de cette championne absolument hors normes. Gauff, ou l'héritière parfaite. Elle aussi est consciente d'une forme de responsabilité. "Depuis que je suis petite (soit il n'y a pas si longtemps, NDLR…), mon père me dit que je peux changer le monde avec ma raquette", disait-elle après avoir pris position contre les armes à feu. Elle ne le changera peut-être pas, mais Coco Gauff a vraiment tout pour y prendre sa place.