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Il était une fois les Jeux

Eurosport
ParEurosport

Publié 19/08/2008 à 05:45 GMT+2

Chaque jour, nous vous proposons de revivre une grande page de l'histoire des Jeux Olympiques. Lundi, retour sur le plus grand scandale de l'histoire des JO. En 1988, à Séoul, Ben Johnson passe en trois jours du paradis à l'enfer. vainqueur du 100m, le Ca

Mardi 27 septembre 1988. 10h50. Aéroport de Kimpo. Ben Johnson, accompagné par sa mère, entre dans le hall principal. Une foule de photographes et de journalistes est tenue à distance par des barrières de sécurité montées à la hâte. Des gardes du corps et des policiers tentent maladroitement de masquer le visage du Canadien derrière un sac à dos ou un attaché-case. Illusoire. Il est matraqué par les flashs. Vêtu de noir, il semble porter le deuil de sa propre gloire. Son visage, hagard, ne trahit aucune émotion. Comme s'il ne mesurait pas l'impact du maelstrom qui est en train de l'emporter. Johnson n'a plus rien d'un athlète. C'est un criminel en passe d'être extradé. 15 minutes plus tard, le Vol KAL 02, à destination du Canada, via New York décolle. Rideau. Et pourtant...
Pourtant, 68 heures avant cette incroyable sortie de scène, Johnson trônait au sommet de l'Olympe. La star incontestée des Jeux, c'était lui. Son duel avec Carl Lewis avait été le plus attendu de la quinzaine, et un des plus tendus de l'histoire sur la distance reine de l'athlétisme. D'autant que les deux hommes se détestent. Lorsqu'il arrive en Corée du Sud, le Canadien est champion du monde en titre depuis sa victoire à Rome l'année précédente. En Italie, il avait collé une première claque à Lewis, en s'emparant qui plus est du record du monde en 9"83. Mais l'année 88 a mal commencé pour Johnson. Une blessure tenace à la cuisse a perturbé sa préparation au coeur de l'hiver. Puis Lewis l'a battu deux fois en meeting au mois de juillet. Big Ben n'a pourtant rien perdu de sa morgue. "Quand je pense à Carl Lewis, ça me rappelle mon enfance à la Jamaïque. Ma mère me disait toujours: 'surtout, Benjamin, quand tu cours, ne te retourne pas, ne t'occupe pas de ce qu'il y a derrière toi. " Pour lui, c'est encore le temps des certitudes...
La détresse de King Carl
Le samedi 24 septembre, au coeur de l'après-midi, Séoul retient donc son souffle. Lewis est au couloir 3. Johnson au 6. Les autres, Linford Christie, Dennis Mitchell, Calvin Smith, ne sont là que pour le bronze. King Carl a retenu la leçon de Rome. Cette fois, il jaillit vite. Son temps de réaction (136/1000e) est presque équivalent à celui de son adversaire (132/1000e). Une simple illusion. Johnson est beaucoup, beaucoup trop rapide pour Lewis. Entre les 40 et les 60m, Johnson avance à la vitesse de 12 mètres par seconde. Sur cette seule portion, la bombe de Toronto a pris 9 centièmes. Aux 80 mètres, Lewis est à la rue. Il tente de relancer la machine et reprend quatre centièmes, mais le mal est fait. 13 centièmes, soit 1,50m, séparent les deux hommes sur la ligne d'arrivée. Johnson est seul au monde. Il relègue Lewis au rang de sprinter de second ordre. Par trois fois, pendant la course, le Californien a tourné la tête vers son rival. A chaque fois, son regard exprimait une immense détresse. Celle d'un champion prenant conscience de son impuissance. Un sentiment inconnu pour Lewis, qui n'avait pas été dominé à ce point à Rome un an plus tôt.
L'ampleur de la victoire de Johnson sidère. On la mesure mieux lorsque son chrono s'affiche: 9"79. Record du monde. Il brise la barre des 9"80. Tous les autres sont au-delà des 9"90. Big Ben peut bomber le torse. Il regarde à peine Lewis, qui est le premier à venir lui serrer la main, la mort dans l'âme. Il est encore temps pour lui de fanfaronner. "Mon entraineur, Charles Francis, avait prédit 9"76. Je sais que je peux courir encore plus vite ." C'est sans doute vrai puisqu'il n'a pas cassé à l'arrivée, levant même le bras quelques mètres avant la ligne. Puis, lors de la conférence de presse, il en rajoute encore une couche dans l'arrogance: " je vous avais bien dit que Lewis serait toujours derrière moi ."
La nuit la plus longue
Les observateurs auront à peine le temps de se remettre de cette course folle. Ben Johnson n'aura même pas le temps de la savourer, et Carl Lewis de la digérer. Le lundi 26 septembre, en début de soirée, la rumeur s'empare de Séoul. Pour les membres du CIO, pour les journalistes, pour Johnson aussi, c'est la nuit la plus longue de ces Jeux qui s'apprête à commencer. Quand le bruit d'un contrôle positif d'une star des JO commence à se répandre comme une traînée de poudre, les jeux, en réalité, sont déjà faits. Comme d'habitude, les quatre premiers de la finale du 100m ont été contrôlés à l'issue de la course. Dans la nuit du dimanche au lundi, le Docteur Park-Jon-Sung, responsable du laboratoire en charge des analyses, obtient la certitude qu'un des échantillons est positif à un stéroïde anabolisant, le stanozolol. Le labo sait qu'il tient une bombe. Pour plus de sécurité, il effectue alors une demande hors-procédure, en faisant procéder à une seconde analyse, par deux éminents spécialistes. Le diagnostic est confirmé. A cet instant, le Docteur Park-Jon-Sung ignore encore l'identité du tricheur, le nom correspondant à chaque numéro inscrit sur les fioles étant en possession du Prince de Mérode, le patron de la commission médicale du CIO. Il faut réveiller ce dernier en pleine nuit. Le Prince consulte son listing: il s'agit de Ben Johnson.
La machine infernale, qui va entrainer Ben Johnson vers les abimes, se met alors en route. Le responsable de la délégation canadienne est prévenu dans la nuit. Au petit matin, Ben Johnson est informé du contrôle positif. Il va rester cloitré dans sa chambre toute la journée. Pour le monde entier, il est encore le grand triomphateur des JO. Lui sait déjà qu'il est condamné. Le résultat de la contre-expertise, effectuée sur l'échantillon B, tombe lundi en fin d'après-midi. A 20 heures, l'athlète est convoqué devant les membres du CIO, dans le luxueux hôtel Shilla. Flanqué de son entraîneur et d'un représentant du Comité olympique canadien, Johnson vient rendre sa médaille. Ironie du sort, il doit la remettre à Dick Pound, vice-président du CIO et... canadien comme lui. Il était temps, car les informations commencent à filtrer. Des dizaines de journalistes font le pied de grue devant l'hôtel où logeait Johnson. La chasse a commencé. Elle ne se terminera que le lendemain matin, à l'aéroport de Kimpo.
"Je suis le seul à avoir rendu mes médailles"
Depuis le Canada, Johnson va d'abord clamer son innocence. Un an plus tard, convoqué devant une commission d'enquête sur le dopage mise en place par le gouvernement canadien, il finira par avouer, expliquant que la peur de perdre à Séoul avait été trop forte. Mais dans un livre sulfureux, paru dans les années 90, son ex-entraineur Charlie Francis a confié que Ben Johnson se dopait depuis 1981. L'intéressé avouera d'ailleurs qu'il était dopé en 1987 lors de son titre mondial à Rome. L'affaire Johnson constitue incontestablement le plus grand scandale de l'histoire des Jeux Olympiques. Elle a quasiment mis fin à la carrière de l'intéressé, même s'il tentera sans succès un retour à la compétition deux ans plus tard... avant d'être à nouveau pris par la patrouille. Johnson était incorrigible. Quelques années plus tard, il livrera le fond de sa pensée sur la question du dopage. Elle est sans équivoque: "Les gens qui viennent au stade, expliquera-t-il, se foutent de savoir si nous sommes dopés ou pas. Ce qu'ils veulent, c'est que nous allions le plus vite possible. Ceux qui prétendent le contraire sont des hypocrites." L'argument fait mal, mais il fait mouche car il interpelle chacun d'entre nous.
Comme toutes les stars prises dans les filets de la lutte anti-dopage, Ben Johnson s'estime la victime d'un système dont chacun, athlètes, entraineurs, dirigeants du CIO, journalistes et spectateurs se retrouve complice. Interviewé sur CBS en 2005, Johnson rappellera que quatre des cinq premiers du 100m de Séoul (lui-même, Carl Lewis, Linford Christie et Dennis Mitchell), ont été contrôlés positifs au moins une fois au cours de leur carrière. "Je suis le seul à avoir rendu mes médailles", déplore Johnson. Personne n'a pourtant jamais pleuré sur son sort. Il n'y avait pas de quoi. Qu'on ne s'y trompe pas. Big Ben n'était pas une victime, ne lui en déplaise. Mais il n'était probablement pas le seul coupable de cette époque troublée. Il n'est pas inutile de s'en souvenir.
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Ben Johnson, de retour au Canada

Crédit: AFP

BEN JOHNSON EN 5 DATES
. 1976: Agé de 15 ans, Benjamin Sinclair Johnson quitte sa Jamaïque natale pour le Canada. Sa famille s'installe à Scarborough, dans l'Ohio. C'est là qu'il est pris en main par l'entraineur Charlie Francis.
. 1984: Johnson prend la troisième place du 100m des Jeux de Los Angeles, dominé par Carl Lewis. Les deux sprinters ont le même âge (23 ans), mais Lewis est alors largement en avance sur celui qui n'est encore qu'un lointain rival.
. 1987: Le vent a tourné. Big Ben reste sur quatre victoires de rang sur Lewis lorsque débutent les Mondiaux de Rome. En Italie, le Canadien affirme sa suprématie. Il remporte le titre sur 100m en pulvérisant le record du monde de Calvin Smith (9"83 contre 9"93).
. 1988: En 9"79, Johnson s'offre la médaille d'or des Jeux à Séoul. Moins de trois jours plus tard, contrôlé positif, il quitte les Jeux, déchu de son titre et de son chrono. A noter tout de même qu'il faudra attendre 14 ans pour qu'un sprinter aille aussi vite que lui. En 2002, à Charlety, l'Américain Tim Montgomery signe un temps de 9"78... avant d'être à son tour radié des tablettes pour dopage.
. 1993: Après un retour peu convaincant à la compétition, (il n'atteindra que les demi-finales des Jeux de Barcelone), il est à nouveau contrôlé positif à Montréal en 1993. L'IAAF le bannit à vie. Pierre Cailleux, le ministre des sports canadiens, suggère à Johnson de rentrer en Jamaïque.
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