Trading Leather, un voyage sans retour

La vie active, il ne l'avait pas abordée par hasard. Sans doutes Brillant, sans doutes Espoir, il avait offert ses premiers pas, ses premières foulées, aux caméras du monde entier dans une épreuve de Listed-Race, une course pour futurs rois. Les Juvenile Turf Stakes, comme on les appelle maintenant, n'avaient pas encore leur statut de groupe 3, et ne participaient pas à la fête de l'Irish Champion Stakes. Mais en cette édition 2012, elles avaient réuni six espoirs, et deux graines de champions. Ce jour-là, inédit, porté par l'inconnu, rassuré par l'effort devenu son quotidien, il avait fait la rencontre de Battle Of Marengo, et n'avait pu que s'incliner. Le fils de Galileo était prêt, il avait déjà couru deux fois. Trading Leather se battit, mais son concurrent se détachait trop facilement. Quelques semaines plus tard, il découvrait une autre piste, et une autre adversité. L'avenir dira qu'ils n'étaient pas destinés à toucher les étoiles, mais enfin, il s'imposait. Sa masse baie, sa casaque blanche à damiers bleus, sa pelote amoureuse, enfin, Trading Leather s'envolait. Ce Maiden, il le remportait de sept longueurs. Ce poteau, il se l'appropriait jusqu'à Newmarket. Sur le sol anglais, le fils de Teofilo et de Night Visit devenait vainqueur de groupe 3, puis était propulsé dans l'arène. A Doncaster, pour son premier essai au plus au niveau, il n'avait pas la force, il n'était pas prêt. Cinquième du Racing Post Trophy, sur un sol mou d'automne, il laissait Kingsbarns savourer son heure de gloire, et se repliait pour préparer la sienne. A l'âge de trois ans, après quelques mois de repos et des semaines de promenades fraîches, Trading Leather s'offrait sous le couteau de Libertarian sur la piste de York, et abdiquait à une longueur. L'un comme l'autre portaient encore leurs premières couleurs. L'un comme l'autre s'habilleront de bleu, et se donneront pour l'écurie Godolphin. Après d'encourageantes Dante Stakes, le poulain devait se révéler dans les 2000 guinées irlandaises. Le magicien Aidan O'Brien envoya son acolyte Magician sur la piste, et glana le trophée. Notre beau poulain était troisième, cueillant un tout premier podium doré. La transition sur le derby se fit en douceur, et en confiance. Trading Leather reprenait du moral en conquérant sa première Listed-Race par trois longueurs, et, galvanisé, se détachait dans l'Irish Derby de la moitié de distance. Son premier groupe 1, sa dernière victoire. Les combats qui suivirent furent difficiles, mais il n'abdiqua jamais. Second de Novellist dans les King George le mois suivant, il devançait Cirrus des Aigles de quatre longueurs. Second de Declaration Of War dans les Juddmonte International Stakes, il surpassait Al Kazeem d'un peu plus d'une longueur. Troisième de The Fugue et Al Kazeem dans les Irish Champion Stakes, il prenait sa revanche sur Kingsbarns, et retrouvait le repos.
Cette année, coloré de bleu, son fidèle cavalier Kevin Manning le portait à la troisième place des Jockey Club Stakes, lui permettant une mise en jambe précieuse. Au mois de juillet, lors des Coral-Eclipse Stakes, il se prosternait face à Mukhadram qui avait tant attendu son heure, mais reléguait Kingston Hill à la quatrième place. Pour son second essai dans les King George, il ne se mettait pas en lumière, devancé par l'Histoire. Taghrooda, rare pouliche, remportait l'Arc d'été, mais le fils de Teofilo, vengeur dans l'âme, écrasait Magician. Pour sa dernière sortie en Europe, Trading Leather voulait le sceptre automnale, l'Irish Champion Stakes. Le pensionnaire de Jim Bolger, son mentor qui l'avait fait naître et qui l'avait porté, ne pouvait lui apporter un nouveau succès, mais se plaçait troisième des duellistes de derby The Grey Gatsby et Australia. Mukhadram et Al Kazeem ne pouvaient qu'admirer sa croupe. C'était il y a un mois et demi.

Dimanche, après un long voyage et la découverte d'un nouveau pays, Trading Leather s'annonçait dans la Japan Cup, la plus belle épreuve du calendrier nippon. On sait l'envolée de Epiphaneia, cette impression qui emplie nos coeurs de joie, mais on ne peut pas taire le drame. Il était bercé par les vagues, poussé vers l'extérieur, bien en course, quoi que montrant quelques signes prématurés de fatigue. Il n'aurait probablement pas disputé l'arrivée, mais une dernière place lui aurait été pardonnée, après tant de combats. Tandis qu'en tête les attaques faisaient rages, il apparut au fond du tournant, tragiquement. Une image courte, mais un coup de poignard permanent. Trading Leather s'est envolé au champ d'honneur, loin de son pays, loin de sa maison. Galopant sur les prairies du paradis, sur ce doux duvet en permanente floraison.