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Il était une fois le Tour

Eurosport
ParEurosport

Publié 10/07/2009 à 12:15 GMT+2

Chaque jour, découvrez ou redécouvrez une grande page de l'histoire du Tour. Vendredi, retour sur un épisode légendaire du Tour 1964. Les protagonistes? Anquetil, Poulidor, un mage et un peu de champagne. Le théâtre? Un méchoui en Andorre, l'Envalira, Toulouse. Le scénario? A peine croyable...

Le Tour de France 1964 reste peut-être le plus fameux de la longue histoire de l'épreuve. Epique, presque mystique par moments, fourmillant de petites histoires qui nourrissent la grande légende, il a surtout constitué le paroxysme de la rivalité entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, celle-ci culminant au sommet du Puy-de-Dôme, lors de la dernière semaine de course. Nous y reviendrons dans quelques jours. Mais avant ce coude-à-coude légitimement passé à la postérité, cette 51e édition avait déjà offert quelques mémorables morceaux de bravoure. Sur la route. Et même en dehors.
A ce titre, l'épisode du méchoui d'Andorre fait partie intégrante de la mythologie du Tour de France. Il est aussi la preuve qu'un Tour se gagne, aussi, lors des journées de repos. Remettons-nous un instant dans le contexte. Jacques Anquetil, quadruple vainqueur de l'épreuve et triple tenant du titre, fait plus que jamais office de favori. Le Normand vient de remporter le Giro. Face à lui se dresse Poulidor. De son côté, le Limousin a empoché la Vuelta. Les deux hommes sont donc en lice pour un doublé au mois de juillet. A 10 jours de l'arrivée, les voilà quasiment à égalité. Vainqueur à Briançon, dominateur lors du contre-la-montre de Toulon, Anquetil ne compte pourtant que 31 secondes d'avance sur Poulidor. Le maillot jaune est sur les épaules de Georges Groussard, mais chacun sait déjà que ce Tour n'échappera pas à Anquetil ou Poulidor. Les deux champions ont eu leur lot de contrariétés. A Briançon, le premier a subi une crevaison dans le final, qui a permis à son adversaire d'empocher 30 secondes de bonification. Quelques jours plus tard, sur la piste cendrée de Monaco, Poulidor se trompe d'un tour et c'est au tour de Maître Jacques de glaner la bonif'.
"Mais enfin tu t'appelles Anquetil, nom de dieu"
Survient alors la journée de repos, en Andorre. Nous sommes le dimanche 5 juillet. A la veille d'attaquer les Pyrénées, Anquetil est en réalité au plus mal au plan psychologique. Depuis le départ, il est miné par une drôle d'histoire. Une histoire comme seul le Tour de France peut en raconter. Avant le coup d'envoi du Tour, le mage Belline a prédit dans France-Soir que Jacques Anquetil effectuerait une chute mortelle lors de la 14e étape, entre Andorre et Toulouse, le lundi 6 juillet. Cette funeste annonce mine le champion normand, homme anxieux par nature. Mais c'est aussi un bon vivant. Raphaël Geminiani, son directeur sportif, décide alors de répondre à l'invitation de Radio Andorre, qui organise un méchoui lors de la journée de repos. L'occasion, se dit le Grand Fusil, de changer les idées de son leader. Des équipiers, qui ignorent tout de la prédiction du mage, sont outrés. "Il nous prend carrément pour des cons!", preste Henry Anglade. Mais Geminiani, le seul dans la confidence avec la femme de Jacques, sait ce qu'il fait. Il n'empêche. Quand elle voit Anquetil en train de manger du mouton et de boire un coup avant une étape décisive, la France entière s'interroge. Ses adversaires, eux, ont l'appétit ouvert par cette incartade à la plus élémentaire aux règles de la diététique sportive.
Le lendemain matin, Anquetil va payer cher son méchoui. Dans un premier temps en tout cas. Dès les premières rampes du port d'Envalira, Jimenez et Esteban attaquent. Plus grave, Bahamontès et surtout Poulidor leur emboitent le pas. La bagarre est lancée. De loin. Anquetil est à l'agonie, subissant la pire défaillance de sa carrière. Le méchoui lui pèse sur l'estomac. Le mage lui bouffe la tête et lui coupe les jambes. Le Tour semble en passe de basculer. "Dès le début de l'ascension, racontera Anquetil le soir après l'étape, je me suis senti mal à l'aise. Je vivais dans un cauchemar. Et quand je me suis rendu compte que ça n'allait pas, je me suis dit que le mage avait raison." A ses côtés se tient son équipier, Louis Rostollan, lequel essaie de lui remonter le moral. Rien à faire. A six kilomètres du sommet, le quadruple vainqueur du Tour est tout près de poser pied à terre. "Je suis épuisé, j'arrête", dit-il à Rostollan. "Mais enfin tu t'appelles Anquetil, nom de dieu", lui hurle son lieutenant. Geminiani lui passe alors un bidon ou l'eau a été supplantée par du champagne. "Ou il s'envole, ou ça le crève" , lance Gem'. Anquetil est requinqué. Mais au sommet, il bascule tout de même à plus de quatre minutes du groupe Poulidor.
Poupou la poisse
Perdu pour perdu, oubliant sa défaillance, la prédiction du mage et tout le reste, Anquetil se lance à corps perdu dans la descente. Il prend des risques insensés. Rostollan, qui a vu quelques années avant Roger Rivière achever sa carrière au fond d'un ravin en contrebas du Perjuret, redoute le pire. D'autant qu'un épais brouillard enveloppe l'autre face d'Envalira. On n'y voit pas à 10 mètres. Le groupe Poulidor descend très prudemment. Anquetil, lui, lâche les freins et les chevaux. Son idée? Rejoindre un groupe intercalé, dans lequel figure le maillot jaune Groussard, accompagné de plusieurs équipiers. S'il les rejoint, il trouvera des alliés de circonstance pour rouler dans la plaine derrière Poulidor et Bahamontès. Alors le Normand joue son Tour et sa carrière à quitte ou double. "C'est vrai, j'ai vu la mort, explique-t-il, conscient de son inconscience. J'ai tout descendu au radar. Ca passait ou ça craquait. Mais je n'avais pas le choix. Pour moi, c'était la victoire ou la mort." Son pari va s'avérer gagnant. En bas de la descente, Anquetil rejoint le groupe maillot jaune. Ensemble, ils collaborent dans la vallée. A 75 kilomètres de l'arrivée à Toulouse, à l'entrée de Tarascon, Anquetil a rejoint Poulidor en tête de la course. Un scénario inenvisageable au sommet d'Envalira. Et on a encore rien vu...
Car Poulidor, après avoir été tout près du plus gros coup de sa carrière, va subir une incroyable désillusion. 25 kilomètres avant Toulouse, le Limousin brise des rayons de sa roue arrière. Son mécanicien bondit de la voiture et change sa roue. Il le relance... mais le fait tomber. Incroyable poisse. Puis, gêné par des voitures suiveuses, le leader de l'équipe Mercier ne parvient pas à opérer la jonction. Quand il coupe la ligne d'arrivée, Jacques Anquetil est déjà passé depuis 2'36". Cette étape reste celle du plus grand retournement de situation de l'histoire au cours d'une même journée. Poulidor, qui se sent à juste titre accablé par un grand sentiment d'injustice, aura l'immense mérite de ne pas s'apitoyer sur son sort et de repartir au combat, dès le lendemain, en s'imposant en solitaire à Luchon. Peut-être la plus belle victoire de sa carrière. Mais jamais il ne digérera vraiment le tournant toulousain. Geminiani, en revanche, peut respirer. Son poulain a frôlé la catastrophe. Mais Gem', rancunier, n'oublie pas. Il ira régler son compte à Belline. "Il y a une chose qu'il n'avait pas prédit. C'est ma visite. Et j'en profiterai pour lui mettre une chaise en travers de la gueule. Ca changera peut-être sa prédiction..."
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