Sagan, le Tourminator

Comme tous les champions hors normes, Peter Sagan a cet art de banaliser l'exceptionnel. Pour un peu, parce que c'est lui, on trouverait normal de le voir s'imposer à Seraing dimanche, tant il était donné favori. Mais non, ça ne l'est pas. Il faut se frotter les yeux deux secondes pour mesurer que c'est un gamin de 22 ans, bizut sur le Tour de France, qui vient de mater Fabian Cancellara en personne. Mark Cavendish, via son compte twitter, s'est fendu d'un hommage qui replace bien les choses dans leur contexte. "A quel point faut-il être fort pour gagner sa toute première étape en ligne sur le Tour de France? Incroyable course de Peter Sagan". Il faut être fort. Unique, même, peut-être.

Sagan était à quelques jours de son vingtième anniversaire quand il s'est fait remarquer pour la première fois. C'était en janvier 2010, lors du Tour Down Under. Quelques semaines plus tard, il enlevait deux étapes sur Paris-Nice. Les superlatifs ont alors commencé à fuser. Phénomène, génie, surdoué, prodige. Pas évident à porter. Mais le natif de Zilina assume tout. Comme ce dimanche. Il aurait pu aborder son premier Tour sur la pointe des pieds. 22 ans, c'est déjà jeune pour découvrir le Tour. Alors, pour y gagner... Mais la pression ne parait pas avoir de prise sur lui. "Bien sûr, les gens n'ont pas arrêté de me dire que j'étais le favori de cette étape", s'amuse-t-il. Tout juste avoue-t-il une certaine nervosité dans la première partie de l'étape. "Je n'étais pas au mieux au début, les sensations n'étaient pas bonnes. Mais après une centaine de kilomètres j'ai commencé à penser à la victoire." Cette perspective a suffi à dézinguer ses restes de stress.

Après, c'est le talent qui a parlé. Mais pas seulement. Ce qui est le plus bluffant dans la victoire de Sagan dimanche, c'est sa maîtrise de la situation. Il a couru à la perfection. Il faut dire qu'il avait bien préparé son affaire. "Nous avions beaucoup parlé avec mes directeurs sportifs, explique-t-il, et nous étions d'accord sur le fait qu'il y avait un seul coureur à surveiller : Fabian Cancellara. Lorsqu'il a fait l'effort, je l'ai immédiatement suivi." Le début du sans faute. Et le scenario idéal pour lui. "C'était parfait pour moi que Cancellara soit devant avec moi, admet-il. Il est tellement fort que je savais que ça ne pourrait pas rentrer derrière. Moi, je suis resté tranquille dans sa roue. Je n'avais rien d'autre à faire."

Plus jeune vainqueur d'étape depuis un certain Lance Armstrong voilà près de vingt ans, Sagan n'en finit donc pas de confirmer ses promesses. Et ce n'est sans doute pas fini, y compris sur ce Tour 2012. De son gabarit à sa polyvalence en passant par sa science de la course, étonnante pour son âge, et son ambition, tout indique qu'il sera à même de frapper à nouveau d'ici Paris. A part en très haute montagne, le Slovaque est déjà prêt à gagner partout. Il sidère aussi par son absence de complexes. Même face aux plus grands. C'est ce qui avait frappé tout le monde lors du Tour Down Under 2010, où il s'était glissé dans une échappée aux côtés de pointures comme Alejandro Valverde et Cadel Evans. "Il n'a peur de personne, c'est sa grande qualité", souligne son directeur sportif, Stefano Zanatta.

Le plus effrayant, c'est probablement sa marge de progression. A 22 ans, Peter Sagan n'a probablement dévoilé qu'une petite partie de ce qu'il a à offrir. Il demeure perfectible. Au printemps, il a laissé échapper une première grande classique, l'Amstel Gold Race, par manque de timing dans son sprint. "Il est doué, il est puissant, mais il a encore besoin de gagner en expérience, il est parfois inconstant", note Zanatta. Dès qu'il le peut, ce dernier calme le jeu. Comme quand on suggère que son poulain est le grandissime favori pour le maillot vert. "Il a gagné dès sa première occasion et c'est fantastique, mais le Tour de France, c'est dur. S'il ramène le maillot vert à Paris, ce sera très fort, mais ce n'est pas le moment de parler de ça." En attendant, lundi matin, Sagan prendra le départ avec un vélo floqué par Cannondale floqué spécialement pour célébrer sa victoire. Sur le cadre, on pourra lire "Tourminator" à côte de son nom. Un peu too much? Peut-être. Mais Sagan peut (presque) tout se permettre.