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Pep Guardiola: maître et danseur du Bayern Munich

Thibaud Leplat

Mis à jour 14/08/2015 à 09:02 GMT+2

BUNDESLIGA - C’était le sarcasme qu’il manquait. Il est arrivé de la bouche de Sinisa Mihajlovic. Le football selon Pep Guardiola ce n’était rien d’autre que de la "danse". C’est faire très peu de cas de ce Bayern Munich, du football et… de la danse.

Pep Guardiola, entraîneur du Bayern Munich - 2015

Crédit: AFP

Bien sûr, ce n’est pas Barcelone, le Camp Nou, ni même Santpedor. Bien sûr, ce n’est pas la Catalogne, l’Espagne ou la Péninsule. Bien sûr, maintenant, plus de Léo Messi sur le côté, plus de Xavi pour le comprendre au doigt et à l’oeil, plus d’Andrés pour déséquilibrer et plus aucun Gerard, plus aucun Carles, plus aucun Abi pour ne jamais avoir peur de monter toujours plus vite, toujours plus haut. Pourtant, c’est toujours le même panorama, le même acronyme (FCB), les mêmes couleurs (le rouge et bleu), les mêmes mouvements intérieurs dans le dos des milieux, au nez et à la matraque des défenseurs centraux et la même obsession de la construction.
C’est aussi toujours cette même mélodie secrète qui retentit quand les vents deviennent contraires. On l’entendit encore une fois à la mi-temps de ce Bayern-Milan d’été le 4 août dernier, lorsque Pep s’en prit à un Hollandais bien trop rigolard devant le massacre du petit Joshua Kimmich dès la dixième minute de jeu. Les mains enfermées dans ses poches - sans doute pour ne pas avoir à les jeter au visage d’un autre-, on ne le vit pas tirer sur sa cravate, taper dans la main d’un joueur adverse, d’un adjoint, sourire à son sponsor, ou raconter ses vacances au quatrième arbitre. Non, à la mi-temps de ce match, Pep avait encore coincé dans le tympan le son trop criard de cette minute numéro dix, celle où Nigel De Jong s’attaqua à Sebastian Rode, puis à Joshua Kimmich en toute impunité.
Quand De Jong s’approcha de lui, Pep explosa "Fais ça contre la Juve hein ! Fais ça contre la Juve ! La prochaine fois fais ça contre la Juve !" adressa-t-il alors au capitaine du Milan, l’homme à la tête d’Orc. Furieux contre le milieu de terrain coupable selon lui de brutalité, Pep lui lança ensuite au visage "Il n’a que 19 ans ! Tu as fait ça à un gamin de 19 ans ! 19 ans !". L’imbécile, d’abord interloqué par la réaction inattendue de Pep (une cheville de plus, comment se souvenir de cet inconnu de 19 ans plutôt que d’un autre ?), il défit ensuite son maillot et, la poitrine en avant comme le font les roitelets des bacs à sable, fit mine de répondre par les poings à l’insupportable insolence de cet homme. "Qu’est-ce qu’il a dit? Hein, qu’estce qu’il a dit ?" répéta la bête. Mais Pep était déjà loin et De Jong, triomphant, pouvait accrocher un nouveau cartilage à sa particulière collection de chevilles.
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Pep Guardiola avec Sinisa Mihajlovic, Rafael Benitez et Mauricio Pochettino

Crédit: AFP

Les valseuses

Et après le match vint la rengaine de toujours. L’armée des Orcs rigola en entendant Sinisa Mihajlovic moquer les attitudes trop maternelles de son confrère : "on fait du football, pas de la danse !" rétorqua-t-il d’un air satisfait. Pourtant, au lieu de rire, il aurait pu s’indigner devant ce satané lieu commun opposant un art à un autre comme deux vulgaires produits de consommation courante, comme si la danse n’exigeait aucune résistance, aucune force physique, aucune coordination, absolument aucune souffrance, comme si le football n’était qu’une question de puissance, de boue, de violence et de chocs, comme si Nigel De Jong n’était bon qu’à casser des tibias (quand il fut, de loin, le meilleur de ce sinistre Milan).
Les rieurs devraient se renseigner avant de rigoler et mettre un terme, quoique provisoirement, à leur regrettable ignorance. S’ils s'invitaient rien qu’une fois à une répétition de n’importe quel corps de ballet, ils constateraient l’étendue de la souffrance qu’il faut pour traverser dès l’âge de 7 ou 8 ans, les régimes inhumains à endurer, les douleurs constantes, la malveillance des partenaires et l’exigence des maîtres.
Bien sûr ce n’était qu’une plaisanterie, comme le croche-pied de De Jong sur Kimmich n’était qu’un bizutage, mais que dit-on, au juste, quand devant le monde entier un éducateur rit complaisamment devant l’agressivité gratuite et impunie (pas de carton jaune pour De Jong, d’où la colère de Pep sur le quatrième arbitre) sur un gamin pendant un match amical ? La mission d’un entraineur est-il de mettre les rieurs de son côté, de se moquer des considérations éthiques ou bien de faire progresser les hommes, de les exercer et finalement de les rendre meilleurs ? Si le football a plus à voir avec le ballet qu’avec la boxe c’est que les danseuses ne sont pas toujours celles qu’on croit.
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Pep Guardiola, entraîneur du Bayern Munich - 2015

Crédit: AFP

La danse par d’autres moyens

Bien sûr, il y aura encore tous ces pragmatiques auto-proclamés pour invoquer en de telles circonstances le "très haut niveau", les "résultats", "l’agressivité nécessaire". Ceux-là même qui confondent des vérités de toute éternité avec de déplorables tautologies ("un entraîneur ne peut faire qu’avec les joueurs qu’il a", "avant de bien jouer il faut commencer par ne pas perdre", "il y a une agressivités positive", "le football est un sport d’hommes", "seule la victoire est belle"), ceux qui s’imaginaient que l’ambition esthétique était un caprice de riche et que la créativité, l’ambition, l’éthique sportive ou l’inventivité étaient des valeurs de "danseuses" c’est-à-dire beaucoup trop volatiles pour pouvoir être un jour entrainées, enseignées, partagées; ceux-là même qui braillent si fort ont été balayés par un typhon né à Santpedor en 1971.
"Le danger (pour eux), dit Cesar Luis Menotti dans El Gráfico en décembre 2014, c’est que Guardiola a été un ouragan dévastateur qui nous a débarrassé de tous les pièges et tous les mensonges, il les a détruits, désamorcés d’une telle manière que maintenant même les italiens veulent avoir le ballon dans les pieds et jouer. (…) Ceci ne veut pas dire qu’on ne peut pas gagner autrement, hein, non, ceci veut seulement dire que tous ceux qui proclamèrent un jour que si l’on voulait gagner on ne pouvait pas toujours bien jouer c’est fini pour eux. Regardez Guardiola : en jouant bien, il a gagné 16 titres. " + 2 Bundesliga, 1 Coupe d’Allemagne, 1 Mondial des clubs et 1 Supercoupe d’Europe.
Voilà pourquoi maintenant chacune des blessures infligées contre l’un des siens, chacune de ses colères filmées et diffusées dans le monde entier, chacune de ses absences inattendues en conférence de presse fera l’objet d’une solidarité ricaneuse entre vaincus. "On a toujours à défendre le fort contre les faibles". Là est la seule audace pour le brave Nieztsche, moraliste guardiolien.

Guardiola, collection automne-hiver 2015-2016

Ainsi, afin de contribuer à l’inévitable persiflage, voici les prochains sujets de conversation de ses détracteurs et leurs prochaines mauvaises raisons de moquer Guardiola et son équipe.
  • Douglas Costa
La grande innovation de ce Bayern, c’est l’apparition de ce joueur qui, tantôt à gauche, tantôt à droite (surtout à gauche) apporte enfin ce dont le club a manqué lors des deux derniers mois de la saison précédente : vitesse, débordement, un contre un sur le côté. Personne ne sait quand reviendra Ribéry alors, plutôt que de se morfondre, Pep a recruté un homme qui, en deux pas, est capable de déséquilibrer tout une défense : "il est très fort dans le un contre un, le un contre deux, le un contre trois".
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Douglas Costa avec le Bayern

Crédit: Imago

  • Jeu direct et profondeur
La Supercoupe d’Allemagne contre Wolfsburg s’est peut-être conclue par une égalisation tardive, une défaite aux tir au but et le ressentiment fielleux des mêmes commentateurs obsessionnels, le Bayern a néanmoins dominé et maîtrisé le match en jouant sur les côtés plutôt qu’à l’intérieur. Grâce aux ailiers Costa et Robben (alliés l’un à Lahm et l’autre à Alaba), le jeu s’est élaboré de façon plus direct qu’à l’habitude et, à ce titre, Pep semble avoir fait le choix de la variété dans son modèle de jeu.
L’éventail de possibilités sera plus large cette saison. Remarquons dans ce sens le nombre important de dégagements longs de Manuel Neuer, de diagonales parties des pieds de Boateng et la variété des combinaisons à la chute du ballon Robben-Müller-Lewandowski-Costa. Le retour de Badstuber et de Javi Martinez est d’autant plus attendu.
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Arturo Vidal (Bayern Munich) contre l'AC Milan en Audi Cup, le 4 août 2015 à Munich

Crédit: AFP

  • Arturo Vidal ou le retour de la pyramide
Si le chilien manque parfois encore de spontanéité au milieu de ce Bayern et n’a pas toujours le réflexe de faire les deux ou trois pas nécessaires à ménager une deuxième ou troisième option de passe au porteur du ballon, il donne en revanche une solidité et une personnalité pharaonique à ce Bayern 2015-2016. C’est contre le Real que le milieu Vidal-Alonso-Lahm fit des étincelles et qu’on aperçut ce qui nous attendait cette saison. En phase de possession, Vidal apportera une constance dans le jeu, une hardiesse face au but et une personnalité intéressante à la perte (haute) du ballon permettant ainsi mécaniquement à l’équipe tout entière de jouer (encore) plus haut qu’à l’habitude.
Au point qu’en première mi-temps contre le Real, Munich a ressuscité une tactique qui avait disparu depuis les années cinquante et qui était tout près d’ici, en Autriche. La pyramide 2-3-4-1 du Wunderteam de Meisl venait de se reconstruire pendant trente minutes. Il faudrait un livre entier pour approfondir cette idée grandiose mais le schéma Benatia-Boateng/Alaba-Alonso-Rafinha/Götze-Lahm-Vidal-Costa/Müller (ou Lewandowski) en phase de possession fait déjà rêver les esthètes les plus exigeants. Sindelar au sommet de son Autriche en 1934 devait ressembler à Thomas Müller au sommet de ce Bayern.
Malheureusement cette saison le Bayern Munich ne gagnera peut-être pas tout. Peut-être même qu’il ne gagnera rien et que Pep partira avant Noël vers un nouvel exil sous les insultes et les quolibets. Peut-être oui. Alors en attendant, profitons-en et offrons-nous cette dernière danse.
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Pep Guardiola hat noch ein paar Baustellen bei den Bayern

Crédit: Eurosport

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