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C’est d’abord d’un psychiatre dont l’Angleterre a besoin

Philippe Auclair

Mis à jour 29/06/2016 à 00:01 GMT+2

EURO 2016 - Derrière les habituels boucs-émissaires que la presse anglaise ne manque pas de désigner (Hodgson, Rooney...) après la déroute subie face à l'Islande lundi soir, l'équipe d'Angleterre est surtout en situation d'échec chronique. C'est grave, docteur. Et si c'était l'heure de consulter ?

England's forward Harry Kane reacts during the Euro 2016 group B football match between England and Wales at the Bollaert-Delelis stadium in Lens on June 16, 2016

Crédit: AFP

C’était prévisible, bien plus que la défaite ignominieuse des Trois… des Trois quoi, d’ailleurs ? Si c’est de lions qu’on parle, je pense de suite à Clarence, le vrai héros de la série Daktari. Vous savez, celui qui louche ? Ou bien à ceux que les majors de retour du Kenya transformaient en descentes de lit. Stop ! C’était prévisible, disais-je : cette tempête haineuse, irraisonnée, excessive, faisant fi de l’analyse, des opinions tenues pour vérités la veille, de toute mesure. Et je ne parle pas du discours honteux du xénophobe Farage au Parlement européen. Je parle de ce que les médias anglais proposent comme "explication" au désastre de lundi soir.
Car c’en est évidemment un, à ranger aux côtés du 0-1 de l’équipe d’Angleterre face aux amateurs américains lors de la Coupe du Monde 1950. Dans l’absolu, il serait même plus pardonnable, puisque l’Islande est, à l’indice de performance, la meilleure sélection de l’histoire du football mondial, et regroupe des joueurs dont la plupart évoluent dans des clubs tout à fait respectables. Alors que les Etats-Unis d’il y a soixante-six ans étaient du niveau de Saint-Marin (j’exagère à peine). Mais l’absolu, ici, n’a pas lieu de servir d’excuse. Le résultat, passe encore. Sigurdsson et les autres n’étaient pas arrivés en huitièmes de finale par hasard ou par chance. Demandez plutôt aux Néerlandais ce qu’ils en pensent. Aux Turcs, aux Tchèques, aux Autrichiens, et à quelques autres. Mais la prestation, si c’est le mot…good God. Shocking.
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Harry Kane (Angleterre) face à Olafur Ingi Skulason (Islande), lundi 27 juin 2016

Crédit: Panoramic

Dire qu’on croyait l’avoir trouvée, cette équipe d’Angleterre, quand elle avait remonté un handicap de deux buts pour battre les champions du monde allemands chez eux, il y a seulement trois mois de cela. Vous me direz, un match amical, quelle importance ? Je vous répondrai : résultat sans conséquence, d’accord. Mais la performance avait été enthousiasmante, pleine de fraîcheur, de vivacité, d’imagination, de passion aussi, autant de qualités qu’on vit encore par éclairs lors de la phase de poule de l’Euro, pour se dissiper et se perdre ensuite sans laisser de trace, comme une poignée de sable jetée dans l’océan. Au pire moment. Au moment de vérité. Mais quelle vérité ?

La faute de la Premier League ? Le mystère est ailleurs

Les passes trop ou pas assez appuyées, le tempo de cortège d’enterrement, les frappes dévissées, les contrôles de joueurs tout juste sortis du pub, ce non-jeu qu’on vit lundi soir n’ont pas pour racines les déficiences techniques d’un effectif qui – je le maintiens – est le plus naturellement doué dont ait disposé un sélectionneur anglais depuis l’Euro 2004. Certaines absences auront pesé très lourd.
J’avais insisté, plutôt lourdement aux yeux de certains, sur le fait que la perte de Danny Welbeck sur blessure aurait de graves conséquences sur le plan de jeu de Hodgson, pour lequel le joueur d’Arsenal était devenu un titulaire indiscutable sur le flanc gauche. L’indisponibilité de Lallana contre l'Islande aura aussi privé les Anglais de l’un des seuls joueurs à penser "verticalement" dès qu’il reçoit le ballon. Qu’importe : ceux qui étaient sur la pelouse demeurent, en termes de talent et d’aisance technique, très largement supérieurs à leurs adversaires islandais. Si le bât blesse, ce n’est pas sur cette partie du corps de l’animal.
"C’est la faute de la Premier League", dira-t-on, championnat qui se voit trop beau, "surcoté" (ah, ce mot qui ne veut rien dire, raccourci sémantique de "je n’aime pas la PL"). Si c’était le cas, quid du fait qu’il y aura davantage de joueurs de Premier League engagés dans les quarts de finale de l’Euro que de quelque autre championnat ? Pourquoi les Anglais, et les Anglais seulement seraient-ils les seuls à pâtir d’exercer leur métier dans leur propre pays ? Ce serait bizarre, quand même, qu’ils n’arrivent pas à faire aussi bien que les Gallois (14 joueurs de PL dans les 23), les Belges (11) ou les Français (11 également). J’adore Graziano Pellé. Est-il "meilleur" que Harry Kane ? Même les supporters des Saints vous diraient que non. Le mystère est ailleurs.
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Graziano Pellè - Italy v Spain - Euro 2016

Crédit: AFP

Le championnat d’Angleterre complique sérieusement la progression de certains joueurs du cru, nul n’en doute. Que ceux qui progressent malgré tout le fassent grâce à leur talent, nul n’en doute non plus. Ce n’est pas un hasard si la tarte à la crème d’une Premier League nombriliste, obsédée par sa réussite au point d’assassiner la sélection, est d’abord balancée par les dinosaures de la FA, toujours furieux d’avoir perdu le contrôle du championnat. Ceux-là feraient mieux de se pencher sur leurs propres responsabilités, tout comme les gouvernants qui, de Thatcher à Cameron, en passant par Blair, ont laissé les spéculateurs immobiliers bétonner des milliers de terrains de jeu dans l’ensemble du pays. Mais ceci est un tout autre sujet.

Hodgson, l'homme qui ne se plie pas aux règles du sérail

Rooney. Ah, Rooney. Note de 0 dans le Times aujourd’hui (comme tous ses coéquipiers, une première historique – ou hystérique ?), et de… 8 dans le Sun (au fou !). Il n’est pas là, contre la Slovaquie, levée de boucliers, les supporters des Three Lions scandent son nom. Il est là, le reste du temps, on l’enjoint de prendre sa retraite. Et le Sun, l’ignoble Sun tartine une photo de son fils en larmes en "une" de son édition du jour. Dans ce village où tout le monde a sa girouette, le vent n’a jamais été aussi indécis pour ce qui est de la direction à prendre. Le fait est que Rooney est complètement passé à côté de son match, comme tous ses partenaires, à l’exception de Marcus Rashford, que Roy Hodgson aurait dû faire entrer bien plus tôt, ce dont je reparlerai dans une seconde. Le fait est, aussi, que ce n’est pas la seule contre-performance de son capitaine qui est responsable du naufrage. Il n’est pas l’iceberg qui est venu déchirer le flanc du Titanic.
Hodgson, disais-je. Le venin qu’on lui crache à la figure depuis lundi soir est hélas un poison courant en ces temps plus qu’indécis pour la Grande-Bretagne. J’avais écrit, lundi, un long article dans lequel je tentais d’expliquer en quoi Hodgson, pour lequel j’ai à la fois estime et respect, était toujours demeuré un outsider dans le microcosme anglais. Vous avez le temps ? En voici un extrait:
“Je me souviens lui parler peu de temps après qu’il avait remplacé Fabio Capello; comment ferait-il, lui avais-je demandé, pour vivre au jour le jour avec l’énorme pression médiatique qui est la malédiction du poste de sélectionneur anglais ? Roy avait haussé les épaules. 'Je n’ai jamais courtisé les médias anglais', me dit-il, 'et certains m’en veulent peut-être à cause de cela'. Hodgson avait raison. Beaucoup des fines lames (en ce que découper est leur passe-temps favori) de ce qu’on appellait Fleet Street avaient pris fait et cause pour Harry Redknapp. D’autres penchaient pour Sam Allardyce. Un ou deux illuminés avaient un faible pour Alan Pardew. Redknapp, Allardyce, Pardew : un trio bien anglichouillard qui cultivait depuis longtemps (depuis toujours, dans le cas de ‘Arry) une relation ‘privilégiée’, c’est-à-dire des plus équivoques, avec les faiseurs de roi de la presse. Tout le monde – même moi, le Frenchie de la bande – avait leurs numéros de portable en mémoire. C’est pratique, quand on est journaliste. A court d’idées ? Une info qui manque pour la chronique du lendemain ? Un coup de fil à Big Sam, et le tour était joué.
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England's coach Roy Hodgson during training.

Crédit: Eurosport

Hodgson, par contre, se tenait soigneusement à l’écart de ce microcosme. Il avait fait la plus grande partie de sa carrière à l’étranger, loin de l’attention du Sun et du Daily Mail. Même le travail remarquable qu’il avait accompli à Fulham, sauvant les Cottagers de la relégation et les menant en finale de la Ligue Europa deux ans plus tard, n’avait pas suffi à changer l’image que les tabloïds se faisaient et se font du fils d’un ouvrier et d’une boulangère du sud de Londres : Hodgson n’est pas et ne sera jamais "one of us". Il est bien working-class, mais quiconque connait l’Angleterre sait que s’extraire de cette working-class est considéré comme une trahison par beaucoup.

Hodgson, le sélectionneur qui ne sait pas choisir

Les enfants du prolétariat qui décrochent une place à Oxford ou Cambridge doivent s’attendre, non pas à de l’admiration dans leur entourage, mais à de la méfiance, voire à un véritable ostracisme. L’un de mes amis quitta Cambridge pour cette raison : il lui avait fallu choisir entre sa famille et une future carrière d’enseignant, et sa famille l’avait emporté. Pourquoi le football, émanation des plus révélatrices de la société anglaise – pas "britannique", notez-le – serait-il exempt de ces préjugés qui ne sont pas d’un autre temps ?
Hodgson ne s’est jamais caché de son indifférence totale vis-à-vis de cet étrange système de valeurs. Outsider il est depuis qu’il a choisi d’aller exercer son métier en Suède avec son ami Bob Houghton, alors qu’il n’avait pas trente ans. Outsider il sera toujours. En dehors du football, il n’est jamais plus heureux que lorsqu’il peut parler de ses écrivains préférés en compagnie d’amis de tous milieux. C’est suspect. Il peut s’exprimer avec aisance dans cinq langues, et en comprend sept. C’est encore plus suspect. Son échec à Liverpool, selon moi autant dû à la réticence des scousers à son égard qu’à quelques erreurs (avouées) de sa part, est la preuve de ses limites, pas les onze titres qu’il a gagnés. C’était à l’étranger, donc, ça ne compte pas.
Patriote anglais, mais aussi Européen convaincu, il est en port-à-faux avec la grande majorité des supporters de son équipe. Un outsider, vous dis-je, perçu avec méfiance, à travers un prisme confus d’idées reçues, comme cette image de dinosaure qui lui colle à la peau, quand aucun entraîneur anglais n’a fait autant confiance à la jeunesse que lui depuis que Alf Ramsey veillait sur les Three Lions, quand l’équipe d’Angleterre n’a pas joué avec autant de liberté et de fluidité depuis l’Euro 2004, quand sa rigidité tactique supposée, qu’on lui a tant reprochée (“il ne connait que le 4-4-2! ), est devenue de “l’indécision” (“il faudrait peut-être qu’il se décide, entre 4-2-3-1, 4-2-1-3 et 4-4-2 en losange!”).

Des boucs-émissaires... mais surtout un vrai blocage psychologique

J’arrête là. La liberté et la fluidité du jeu qui en avaient séduit beaucoup avant l’Euro avait totalement disparu contre l’Islande. Nul ne sait mieux que Hodgson que cet échec cinglant est ce qu’on retiendra de son règne de quatre ans, pas les dix victoires en dix matchs des qualifications, pas le 3-2 de Berlin, pas le choix de faire confiance à des jeunes qui n’avaient pas à porter le poids des désillusions passées.
Mais était-ce vraiment le cas ? Pas pour moi. Ce poids pesait plus lourd que jamais lundi soir à Nice. Que Hodgson ait tergiversé sur son plan de jeu au point que celui-ci a fini par disparaître lorsque des joueurs encore bien naïfs ont été incapables de l’exécuter, c’est exact. Qu’il ait tenté de donner une place à tout prix (au point de sacrifier la cohésion de son équipe) à Rooney alors que celui-ci n’a plus les jambes pour jouer dans un rôle aussi exigeant que celui de meneur de jeu reculé – quand il n’a pas deux coéquipiers pour faire le sale boulot pour lui -, ce l’est également. Il a commis des erreurs, acceptons-le.
Mais celles-ci ne sont rien comparé au blocage psychologique des Three Lions lorsqu’ils sont dans une situation de quitte ou double. La peur ralentit les réactions encore plus, bien plus que les incertitudes tactiques. Et ces Anglais avaient peur, d’évidence. Chaque passe finissant en touche, chaque ballon rebondissant sur un tibia accentuaient encore leur crainte, au point de ne plus rien tenter. L’échec poursuit l’Angleterre depuis cinquante ans. Ce ne sont pas les bons joueurs qui ont manqué. Quelques-uns de ses sélectionneurs n’étaient pas des plus mauvais non plus. Venables, Robson, Capello... Mais chaque gifle reçue, au lieu de réveiller le mauvais élève, l’a rendu encore plus nerveux, plus craintif.
Pourquoi la sélection alignée lundi soir changerait-elle quelque chose à cela ? L’équipe d’Angleterre a autant besoin d’un psychiatre que d’un entraîneur. L’Angleterre tout court aussi, d’ailleurs.
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La détresse anglaise après la défaite contre l'Islande

Crédit: Panoramic

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