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Diego Costa et la Roja : histoire d'une greffe philosophiquement impossible

Thibaud Leplat

Mis à jour 15/10/2015 à 12:15 GMT+2

Suspendu avec Chelsea, désormais laissé de côté par Vicente del Bosque, Diego Costa est le footballeur qu'on adore détester. Et sur qui l'Espagne ne compte pas.

Diego Costa

Crédit: Panoramic

Jamais il n’en fera assez. Il aura beau promettre et acquiescer, il ne sera jamais des leurs. On le vit pendant une Coupe du monde sourire sur les photos, on l’entendit promettre qu’il se fondrait dans la nation rouge et jaune, on sentit même que son insupportable personnalité, cette agressivité contenue, cette sorte d’impardonnable grossièreté qu’il traînait au bout de ses pieds en forme de cisailles, tout cet attirail de démon des espaces verts pouvait même apporter à ce collectif docile et gentillet la dose raisonnable d’indiscipline et de rébellion nécessaire à transcender un groupe, à violenter un rival trop récalcitrant.
Diego Costa aurait pu être le poison qu’il manquait à cette Roja trop ronronnante depuis des mois. Il eût ainsi emmené sous ses ailes de diable bleu, toute son entente avec Cesc Fabregas à Chelsea, toute son agilité balle au pied, toute sa faculté à provoquer l’enfer dans les défenses adverses. Costa aurait dû être l’arsenic qu’il fallait à l’Espagne. Le méchant qu’il fallait à leur histoire. Elle vient de s’y refuser. C’est le moment de se demander pourquoi.
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Diego Costa et Fernando Torres

Crédit: Imago

Intégration ou adaptation ?

En octobre 2013, le doute s’insinua d’abord dans les motivations réelles de cet homme qui, de toute évidence, ne semblait pas jouer le jeu du chauvinisme. Qui aurait renoncé à jouer un Mondial à domicile avec le Brésil ? Quel était cet homme qui abandonnait sa patrie de naissance au plus beau moment et avec une telle désinvolture ? Fallait-il le blâmer de s’être condamné seul à l’exil ou se flatter qu’il ait choisi l’Espagne pour refuge ? Ensuite il y eut l’échec en Coupe du monde et le ridicule contre les Pays-Bas. L’Espagne se demanda alors instamment si le nouvel arrivé était compatible avec leur style de jeu. Cesc Fabregas : "En sélection nous n’avons pas la même obsession de l’attaque rapide comme à Chelsea ou avec l’Atletico. Diego doit être plus patient”.
Ainsi il y eut d’abord dans le problème Diego Costa, un indéniable versant tactique. On vit plus tard, contre la Slovaquie, en septembre dernier, comme il n’était toujours pas parvenu, en dépit des bonnes intentions, à trouver sa place. Habillé en rouge, Costa semblait condamné à vivre dans un exil perpétuel entre un Jordi Alba déboulant côté gauche, un David Silva organisant le jeu à 30 mètres sans lui et un Fabregas s’obstinant malgré tout à exercer son rôle d’intégrateur en administrant à son copain de Chelsea une ou deux passes verticales comme ils les aiment en dépit de la désorganisation collective que généraient ces initiatives solitaires. En neuf matches il n’avait marqué qu’un seul but (et provoqué un penalty). Et, ce qui est peut-être pire, perdu quatre fois.

Le diable dans sa boîte

En fait pour être numéro 9 dans cette équipe-là, Diego Costa ne tarda pas à s’en rendre compte, il fallait être Paco Alcacer ou Alvaro Morata. C’est-à-dire qu’il ne suffisait pas de jouer avec eux pour les comprendre. Il fallait, à la pointe de l’attaque, avoir intériorisé des principes silencieux et des contraintes invisibles. Les mêmes qui avaient été inculqués à ces hommes depuis l’âge de 12 ans. Le moule était si contraignant que depuis les catégories inférieures (toutes les équipes de jeunes jouent en Espagne sous le même régime tactique), ils répétaient les mêmes gammes et les mêmes mouvements.
Ainsi, comme au handball, comme au basket (deux autres spécialités de l’Espagne et du Barça), l’avant-centre en sélection c’est toujours celui qui regarde ses coéquipiers dans son dos plutôt que le but juste devant lui, toujours celui qui accélère le rythme des passes au milieu, qui apporte de la mobilité pour permettre aux milieux de terrain et aux latéraux de s’engouffrer dans les espaces qu’il aura patiemment créés. Ici, le seul qui défend toujours (la position, la possession, le pressing), c’est l’avant-centre (Suarez au Barça, Lewandowski avec Pep). Il n’y a de créativité possible qu’à l’intérieur de ce cadre. Et le tout avec le sourire du bon élève. Bref, l’exact contraire de Diego Costa.
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Diego Costa

Crédit: Eurosport

Le mal dans le football

Maintenant il faut parler de ce qui fâche. Le problème qui d’autre part s’était ainsi présenté à Del Bosque sous les traits de Diego Costa est un conflit profond entre deux conceptions opposées du métier d’entraîneur. N’oublions pas que la dernière fois qu’on vit Costa sur un terrain, c’était lors d’un derby qui avait mal tourné. La silhouette menaçante de ce démon avait rôdé devant les yeux du sage (“ce qu’il a fait n’est pas très beau et ne m’a pas plu” dit-il la semaine dernière). Installé à la pointe de l’attaque comme le virus au début d’une épidémie, Costa avait traîné sa peste d’un joueur à l’autre. Il avait même contaminé le score et fait de Chelsea le club le plus détestable d’Angleterre.
Or, le sélectionneur espagnol, trop connaisseur de la nature humaine, savait qu’on ne pouvait pas - au risque de le rendre fou - demander à ce même homme d’être exemplaire le jeudi quand le samedi précédent un autre avait pour étrange méthodologie de stimuler en lui ses plus vils instincts. Del Bosque, grand pédagogue et homme de formation, conçoit son travail de sélectionneur selon l’éthique de l’éducateur, c’est-à-dire celle d’accompagner et de faire progresser les hommes sur les chemins de la perfectibilité.
En Espagne, des jeunes aux professionnels, c’est en commun que toutes les listes de convocations se font. L’aspect moral est à ce titre indissociable de son travail et de sa mission. Chaque joueur convoqué a une obligation d’exemplarité. Ce qui rend l’attitude de Costa doublement intolérable pour lui, ce n’est pas seulement son comportement déviant - chacun a bien le droit de dépasser les bornes au moins une fois dans sa vie - mais c’est surtout le fait que cette farce semble avoir été commanditée par son entraîneur lui-même et soit donc le fruit d’une réflexion et non d’une pulsion momentanée.

Mourinho vs Guardiola

“Si vous voulez parler de Diego Costa avec moi, avait en effet défendu Mourinho à la fin de ce Chelsea-Arsenal, il faut juste dire qu’il a joué ce match comme il devait le jouer. C’est grâce à cela que vos stades se remplissent, que vous vendez vos images au monde entier pour des millions et des millions. Le football doit être joué comme ça”. Penser qu’il n’y que des comportements outranciers pour intéresser le plus grand monde et parvenir à ses fins, voilà ce qu’on appelle le cynisme et voilà ce que l’Espagne réfute. Del Bosque en ne convoquant pas cette fois-ci Diego Costa a défendu la noblesse de la profession de footballeur contre les assauts répétés des pragmatiques auto-proclamés. Dans une résolution silencieuse et dépourvue de ressentiment, il a refusé la division du monde entre gagnants et perdants et proclamé son appartenance à la même nation sportive que Pep Guardiola qui, par une coïncidence qu’on a du mal à nommer “hasard”, donnait au même moment une conférence à des éducateurs à Madrid dans les locaux de la fédération espagnole de football.
La question n’est donc pas de juger Diego Costa pour ce qu’il est - un magnifique joueur de football au caractère difficile - mais pour ce qu’il représente - une matière à philosopher. L’éthique a-t-elle sa place dans le football professionnel ? Vous avez quatre heures. L’Espagne, elle, a déjà répondu.
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