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Ligue des champions, Roma - Real Madrid : Zidane ou l’héritage d’un doute

Thibaud Leplat

Mis à jour 17/02/2016 à 00:00 GMT+1

Zinédine Zidane est-il un entraineur français ? Il a été élevé aux principes de l’équilibre et de la constance et son équipe semble plutôt dresser l’éloge du contraire : le déséquilibre et l’instabilité. Son premier match de C1 est l’occasion rêvée d’examiner ce qui fait de cet homme un entraineur à la fois fascinant et inquiétant. Zinédine Zidane est l’héritier d’un doute.

Zinedine Zidane

Crédit: Panoramic

Comme il est difficile d’être Zinédine Zidane. Imaginons un instant que nous vivions à l’intérieur de ce crâne brillant. Depuis des années qu’on épiait notre vie et y décortiquait avec minutie la moindre de nos hésitations, on avait fini par perdre devant le monde avide d’exemples et de maîtres à imiter, le bénéfice des doutes légitimes et des questions existentielles. Ce n’est pas la lassitude, ni peut-être la crainte de l’échec qui l’avait fait répondre jusque-là "non, je ne me vois pas entraîneur". C’était quelque chose de plus profond, de plus inexorable.
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Zinédine Zidane et Cristiano Ronaldo

Crédit: AFP

L’histoire était pourtant connue. Depuis tant d’années à traîner ses contrôles de l’extérieur et ses amorties de poitrine sur tous les gazons du monde, Zinédine avait récolté assez d’honneurs et de gloires nationales pour ne plus jamais rien oser attendre du sort ou des anges tout-puissants qui gouvernent nos existences. Il y a longtemps que Zidane était un immortel. Comme Ulysse rentrant d’un si long voyage, il avait gagné le droit à une vie oisive, daignant pour quelques grains supplémentaires, serrer parfois des mains, administrer quelques conseils, embrasser quelques enfants et peut-être parfois aussi, servir à son tour la pitance télévisuelle aux reporters encravatés. Kopa était devenu commercial, Platini président de l’UEFA, Zidane, lui, avait gagné le droit d’être Zinédine. Qui lui en aurait voulu ? Personne, à part Zidane lui-même.

Éloge paradoxal de l’équilibriste

Car au-dessous de cette conversion tardive au métier d’entraîneur, quelque chose chez lui résiste encore à l’exaltation. Cette prudence à succomber tient d’abord au paradoxe tactique dont ses prédécesseurs à ce poste avaient été les victimes successives : comment faire défendre une équipe si "déséquilibrée", c’est-à-dire remplie de milieux offensifs et dépourvues, depuis le départ de Xabi Alonso, de milieu temporisateur ? Non seulement dans l’équipe de Zidane il n’y a aujourd’hui aucun milieu défensif titulaire (Isco-Kroos-Modric) mais on ne trouvera en outre aucun attaquant réputé pour son exemplarité au pressing (Ronaldo-Benzema-Bale ou James). Non, pour trouver une concession au principe d’équilibre que Zidane, en bon élève, semble prêcher par ailleurs, il n’y a qu’Isco dont l’application nouvelle à l’heure d’entamer la pression sur le rival à la perte du ballon avait attendri jusqu’aux exégètes les plus sceptiques. Le petit mage andalou l’a raconté cette semaine "depuis qu’il (Zidane) est arrivé, il m’a donné la liberté de jouer au football, de faire de ce que je savais faire sur le terrain, tout en maintenant une certaine responsabilité défensive, ce qui est très important pour l’équilibre de l’équipe".

Deschamps vs Zidane

Ce qui frappe l’observateur attentif depuis les premières minutes du premier match contre La Corogne et jusqu’aux dernière minutes du dernier match samedi contre Bilbao, c’est l’idée défendue par cette équipe : un ballon, avant d’être propulsé dans les filets adverses, se devait d’être conservé et chéri comme une vieille nostalgie. Ce qui étonne ici et semble même paradoxal ce n’est pas cette bienveillance envers le ballon - elle est depuis longtemps à l’œuvre en Espagne - mais la soudaineté de la conversion de Zizou. Car quand il dit qu’au Real "il faut respecter l’équilibre de l’équipe" et que dans les faits, son jeu est constitué de déséquilibre permanent (des milieux, des latéraux) et de construction patiente (Kroos en sentinelle), il semble dire une chose d’une main et faire exactement le contraire de l’autre.
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Zinedine Zidane

Crédit: AFP

Cette affirmation répétée au jour de son intronisation est le symptôme d’une conviction réelle (une équipe de haut niveau se doit d’occuper le terrain le plus rationnellement possible) mais trop subversive pour être énoncée comme telle (une équipe n’a pas besoin de milieu défensif). De là peut-être provient l’étrange prudence qui transpire des innombrables chroniques faisant l’éloge d’un Real retrouvé mais dont les difficultés à défendre semblent dans le même mouvement effrayer les plus méfiants.

Un artiste au milieu du béton

Zidane est l’héritier d’un doute. Il a grandi dans le football terne des années 1990 dont l’équipe de France d’Aimé Jacquet et la Juventus de Lippi furent les principaux adeptes. Ce n’est qu’au prix de préparations athlétiques démentielles et d’une obsession maladive pour la contre-attaque, qu’il eut le privilège d’être la seule concession tactique faite à l’esthétisme et à la créativité dans ces deux équipes. Si Zidane put briller au milieu du béton et de la rigueur, c’est parce que c’est à Deschamps, à la Juve et en France, qu’on avait confié l’équilibre du jeu. Tout aurait pu en rester là s’il n’était jamais parti de Turin. Pourtant Zidane quitta l’Italie bientôt décadente pour l’Espagne naissante du début du millénaire.
Avant le Barça de Rijkaard puis de Pep, le Real Madrid de Del Bosque et de ses Galactiques (+Claude Makélélé) était sur le point de forcer l’admiration du siècle nouveau. Jamais il n’y avait eu depuis les années 50 équipe plus irrationnelle, moins pragmatique sur terre. Jamais on avait compté autant de meneurs de jeu ou d’attaquants réputés incompatibles (Figo, Zidane, Raúl, Roberto Carlos, plus tard Beckham et Ronaldo) dans une même équipe. Pour les adeptes du pragmatisme franco-italien, cette prétention eut valeur de blasphème. Pour Zinédine Zidane parce qu’elle réfuta d’un seul coup tout l’héritage de ses années de jeunesse, elle agit comme une révélation.

La leçon de Zizou

Devenu à son tour l’entraineur de l’effectif le plus irrationnel du monde, si Zidane peut prôner aussi ouvertement un football qui n’a plus rien à voir avec celui de ses maîtres rigoristes (Jacquet et Lippi dans sa jeunesse, Lacombe dans sa formation à la DTN) c’est que son goût s’était affiné sous le généreux soleil espagnol. On pouvait gagner en jouant bien, on pouvait gagner en jouant beau. Cette leçon ne vient pas de Barcelone mais de Madrid. Rappelons-nous, c’est Zidane lui-même qui nous l’avait enseignée.
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