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"On a joué sur des parkings car on ne peut pas tacler sur du béton" : Comment l'Ajax s'est réinventé

Johann Crochet

Mis à jour 10/04/2019 à 10:20 GMT+2

LIGUE DES CHAMPIONS - Il a été l’un des artisans de la révolution de velours aux côtés de Johan Cruyff en co-rédigeant un rapport sur les dysfonctionnements et en donnant les solutions pour relever le club. Ruben Jongkind revient pour Eurosport sur cette période agitée du club amstellodamois et explique les principes remis au goût du jour grâce à cette révolte.

Ajax Amsterdam

Crédit: Getty Images

Lorsque Johan Cruyff vient chercher Ruben Jongkind et Wim Jonk en 2010, le club est au bord de la sortie de route. Il ne gagne plus rien sur le plan national, est ridiculisé sur la scène européenne, ses finances sont dans le rouge en raison de transferts onéreux et son académie est en pleine crise. La formation des jeunes joueurs a toujours été un élément clé de la vision du Hollandais volant, de l’Ajax à Barcelone. Il contacte alors les deux formateurs, chargés du développement individuel de quelques rares jeunes joueurs à l’Ajax et leur confie une double mission : définir les maux qui bercent le centre de formation et écrire noir sur blanc un plan, appelé plus tard le "Plan Cruyff", afin de redonner à ce club ses lettres de noblesse. S’ensuivent plusieurs mois d’un intense travail dont Ruben Jongkind est notre témoin privilégié.
  • Les joueurs ayant bénéficié de la révolution de velours
Ruben Jongkind : "Il y en a beaucoup et on les voit aujourd’hui dans l’équipe première de l’Ajax. Je peux citer Donny van de Beek, Matthijs de Ligt, Kasper Dolberg - qui était arrivé comme ailier gauche et qu’on a replacé dans l’axe -, Noussair Mazraoui que beaucoup de coaches voulaient voir partir mais pour qui on s’est engagés personnellement à ce qu’il reste au club, Carl Eiting, Noah Lang..."
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Donny van de Beek

Crédit: Getty Images

  • Les 4 constats sur la situation du club en 2010
R.J. : "Il y avait d’abord un problème sur le style de jeu : doit-on jouer avec la peur ou avec la volonté de prendre des risques et imposer notre style ? On doit dominer le match et proposer un jeu attractif ! C’est la priorité pour tous les entraîneurs de l’Ajax. Ce n’était plus le cas avant notre reprise en main car si on accorde trop d’importance au fait de gagner tous les matches chez les jeunes, alors on met des défenseurs costauds derrière et des gamins rapides devant.
Ensuite, on a vite fait le constat du faible niveau des joueurs formés. Ils n’étaient pas assez bons et arrivaient trop tardivement, à 20-21 ans, chez les professionnels. Ce n’était pas un standard acceptable pour être dans l’élite européenne. On a décidé que si un joueur était prêt à 18 ans, il n’avait pas à attendre plus longtemps.
En dehors de la formation, il y avait également le recrutement. Certains joueurs étaient recrutés pour des sommes importantes. Et le problème, c’est qu’ils n’étaient pas meilleurs que certains jeunes. Et les pensionnaires de l’académie le voyaient. Et cela n’a fait que créer une forme de désespoir chez eux car ils se disaient qu’ils n’étaient pas moins bons et méritaient une chance. Ce problème s’est posé également lorsque nous étions au club. Car on avait besoin d’appui en très haut lieu pour faire comprendre ça. C’était le rôle de Marc Overmars. Ce n’est pas que nous ne voulions pas dépenser d’argent, mais il fallait le faire avec des transferts qui allaient réellement impacter le niveau de l’équipe. Les arrivées de Ziyech, Tadic ou le retour de Blind vont dans ce sens.
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Marc Overmars

Crédit: Imago

Mais, même Overmars qui faisait partie de la révolution de velours, s’est mis à acheter des joueurs très chers. Par exemple, Mike van der Hoorn a coûté 4 millions d’euros au club. Ce n’était pas possible. On leur a dit qu’il ne fallait pas faire ce genre de transferts mais prendre 2-3 joueurs de niveau européen qui renforceraient directement l’équipe première tout en s’appuyant sur la formation.
Enfin, un aspect psychologique : il fallait effacer la peur qui s’était installée à l’académie. Les coaches voulaient rester et garder leur job donc il n’y avait pas de prise de risque. Ils ne voulaient pas apporter de critiques constructives sur le travail d’un autre coach. L’idée n’était pas de trouver les moyens d’être meilleur chaque jour, mais plutôt de faire en sorte de sécuriser son poste. Cela a été un travail considérable.
  • Le développement de Matthijs de Ligt
R.J. : "Matthijs de Ligt a été formé comme défenseur central. Quand il avait 14 ans, on a décidé de le mettre au milieu de terrain. Si tu penses comme un entraîneur basique, tu te dis que c’est étrange et peut-être même problématique pour le match et donc le résultat final. Mais Matthijs était tellement fort en défense centrale, que c’était dangereux pour sa progression. On voulait le faire progresser sur son utilisation du ballon, sur le fait qu’il doive créer de l’espace avec ses relances, qu’il accélère le jeu, qu’il se développe techniquement.
Cette vision à 360° explique pourquoi on l’a mis au milieu de terrain. En plus, on l’a mis à ce poste en U17 alors qu’il n’avait que 14 ans. Si on avait voulu juste gagner des matches, on l’aurait laissé en U14 et en charnière, mais ce n’était pas intéressant pour son développement personnel. Et c’est aujourd’hui l’équipe première qui en bénéficie. On a fait la même chose avec Justin Kluivert en le mettant à toutes les positions de l’attaque, en ne le laissant pas simplement sur son côté."
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Matthijs de Ligt

Crédit: Getty Images

  • Savoir se détacher du résultat en bousculant les habitudes des coaches
R.J. : "Pour inculquer cette indépendance vis à vis des résultats auprès des entraîneurs, on a par exemple instauré une rotation. Tous les deux mois, les coaches changeaient d’équipe. Ils passaient des U17 aux U19, des U15 aux U12. Ainsi, ils ne pensaient plus au classement ou aux trophées mais uniquement au développement des joueurs."
  • S’entraîner sur un parking, jouer au futsal, au squash-football...
R.J. : "On a remarqué et on le sait que les plus grands joueurs ont joué dans la rue et y ont beaucoup appris. Ce n’était plus le cas ces dernières années. On a donc commencé à s’entraîner sur des parkings pour développer leur habilité technique et leur faculté à jouer debout puisqu’on ne peut pas tacler sur du béton. On a aussi fait du futsal pour leur apprendre à évoluer dans les petits espaces, mais aussi du football sur des terrains de squash pour les rebonds et l’intensité... tout ceci pour qu’ils s’habituent à de nouvelles situations et à différents espaces. Toujours dans l’idée du développement individuel du joueur."
  • Comment courir, comment se nourrir et la culture du détail
R.J. : "On a fait en sorte qu’ils passent plus de temps à l’Académie. Avant, quand ils étaient sortis du système scolaire, ils venaient pour l’entraînement et repartaient juste après. On a créé une école au sein de l’Ajax et des moments de vie pour qu’ils restent toute la journée. Cela nous a permis de travailler plus spécifiquement avec les joueurs et notamment tout le côté athlétique puisque cela faisait partie de mes spécialités (Jongkind a collaboré avec Bram Som, spécialiste du 800m, ndlr) : comment courir, comment bien exécuter les mouvements, travailler sur la résistance et la vitesse, la position du corps selon les circonstances, etc.
On a aussi renforcé les contrôles sur le sommeil et la nutrition. Tous les clubs disent qu’ils ont des programmes communs, mais il faut travailler de manière individuelle car ils sont tous différents et leur environnement est très variable. On est allés au domicile des joueurs, on a parlé aux parents, on a constaté leur vie de tous les jours. Il faut explorer les moindres détails. Ce sont des attitudes que l’on voit plutôt sur des sports individuels normalement."
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