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Mourinho à quitte ou double

Bruno Constant

Mis à jour 11/05/2017 à 11:36 GMT+2

En choisissant de faire tourner son effectif à Arsenal (0-2) et donner priorité à l’Europa League, Jose Mourinho a misé tous ses espoirs de qualification pour la Ligue des Champions dans le même panier. Avec le risque de tout perdre. A son époque, Alex Ferguson aurait-il délaissé le championnat ?

Jose Mourinho

Crédit: Getty Images

Il est arrivé dans la salle de conférence de l’Emirates Stadium très détendu, presque avec le sourire. Comme s’il avait gagné. Et pourtant, Jose Mourinho venait de concéder sa première défaite en treize rencontres de championnat contre Arsène Wenger. Mais, compte tenu de la situation des deux clubs (5e et 6e), la chute de ce record était devenue anecdotique. Et le Portugais la tourna même en dérision. "Les supporters d’Arsenal sont heureux et je suis heureux pour eux. C’est la première fois que je quitte Highbury ou l’Emirates et qu’ils sont contents. D’habitude, ils repartaient la tête basse, en pleurant". Dans un élan d’amour longtemps retenu, Mourinho a même dit du bien de Wenger ("pas un petit manager, un grand manager").

0 but à l’extérieur face au Top 6

Il fallait bien un peu d’humour après un match aussi boring. Pendant dix ans, Arsenal-Manchester United fut une affiche, un classique même, de la Premier League, marqué par les jouxtes houleuses entre Arsène Wenger et Alex Ferguson, heurtées entre Patrick Vieira et Roy Keane. Mais l’affiche a perdu de sa couleur. Pour la quatrième année consécutive, aucun des deux clubs ne fait illusion dans la course au titre. Et la rencontre de dimanche a justifié pourquoi ces deux équipes sont si loin de Chelsea cette saison. La rencontre a basculé sur un tir de Xhaka qui n’aurait sans doute pas surpris De Gea sans le dos de Herrera, montrant pourquoi il ne fallait jamais se retourner sur une frappe adverse.
C’est une victoire qui a redonné espoir aux Gunners dans la quête du Top 4 et confirmé l’approche ultra défensive, pour ne pas dire négative, de Mourinho dans les grands matches. C’est une (mauvaise) habitude déjà entrevue par le passé qui laisse MU avec une statistique aussi incroyable qu'humiliante : 0 but marqué en 640 minutes à l’extérieur face aux autres équipes du Top 6 !
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Mourinho : "Le Top 4 ? Impossible"

Ces derniers temps, le plan est assez simple, pour ne pas dire simpliste : défendre bas en allant parfois jusqu’à s’appuyer sur un "back six" (défense à six) avec les deux milieux excentrés sur la même ligne que leur "back four". En d’autres termes et en anglais, on appelle ça "parking the bus" ("garer le bus"). Ce fut le cas à Anfield lors d’un soporifique Liverpool-MU (0-0) ou encore récemment à l’Etihad lors d’un ennuyeux Manchester derby (0-0) avec un total, pour ces deux rencontres, de 10 tirs (2 cadrés) et 33% de possession en moyenne. Les défenseurs du Special One diront que cela a permis à son équipe de ramener un point d’Anfield et de l’Etihad. Et ils auront raison, jusqu’à un certain point seulement.

30,8%, drôle de record

Si celui obtenu face à des Reds qui marchaient sur l’eau à l’époque (octobre) avait du sens et de la valeur, celui de l’Etihad (27 avril) était beaucoup moins glorieux puisque MU avait une occasion en or de doubler son voisin et revenir pour la première fois dans le Top 4. Ce soir-là, United avait bouclé la rencontre avec son plus faible total en terme de possession (30,8%) dans un match de Premier League depuis l’enregistrement de cette statistique par Opta ! Et le spectacle ne fut guère mieux à l’Emirates avec ce même "back six".
Certains pourraient avancer l’idée que le plan de Mourinho avait parfaitement marché face au Chelsea de Conte à Old Trafford (2-0). A la différence que, ce jour-là, MU ne s’était pas contenté de défendre ni Herrera de marquer Hazard à la culotte et United menait 2-0 après 59 minutes avec une possession de 59%.
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Manchester United's Portuguese manager Jose Mourinho gestures on the touchline during the English Premier League football match between Manchester City and Manchester United at the Etihad Stadium in Manchester

Crédit: Getty Images

Mais peu importe, ceux qui reprochaient à l’équipe de Louis Van Gaal de ne pas assez attaquer défendent aujourd’hui l’idée d’une équipe qui ne fait que défendre dans les grands matches. Inimaginable sous l’ère Ferguson dont l’approche tactique de ces grands rendez-vous avait pour but de faire déjouer l’adversaire tout en confisquant la maitrise des débats dans l’entrejeu. L’Ecossais se basait sur un bloc compact mais avec deux lignes de quatre assez hautes. J’ai le souvenir d’un match à Stamford Bridge en 2012 où Fergie avait surpris tout le monde et notamment le champion d’Europe en titre en abandonnant son milieu en losange saisonnier pour revenir à son historique milieu à plat et permettre à Rooney de décrocher au milieu où les Mancuniens, en supériorité numérique, avaient régné sans partage dès l’entame, menant 2-0 au bout de 12 minutes (score final 3-2).

Chelsea 2013/2014 = MU 2016/2017 ?

L’idée d’un Mourinho ultra-défensif, que l’on accuse régulièrement de vouloir "kill the game" ("tuer le match"), est née à l’Inter, notamment lors de l’épopée européenne avec Samuel Eto’o qui s’était retrouvé latéral au Camp Nou, puis prolongée au Real Madrid, notamment lors de ses duels fratricides face au Barça, alors que son équipe de Porto était bien plus joueuse et celle de Chelsea (acte I) davantage portée vers l’avant, marchant littéralement sur ses adversaires.
L’ancien Mancunien Gary Neville a avancé l’idée que le Portugais appliquait cette méthode lorsqu’il sentait son équipe inférieure à son adversaire. Or, il y a de vraies similitudes entre le Chelsea (acte II) dont il a hérité en 2013 et ce MU. Dans les deux cas, Mourinho a commencé par noircir plus que de raison le tableau en stigmatisant l’héritage laissé par Benitez chez les Blues et Van Gaal chez les Red Devils. Il a ensuite déployé une approche très défensive, comme avec Chelsea à Old Trafford en 2013, très tôt dans la saison (3e journée), où il aligna un onze sans avant-centre si ce n’est Schürrle. En ce sens, le match à l’Emirates dimanche ressemble en beaucoup de points à celui de ses Blues venus du côté de Holloway road pour prendre un point en décembre 2013 (0-0).
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Mourinho Rashford

Crédit: Getty Images

En revanche, dès sa deuxième saison (2014-2015), l’approche évolue autant que le visage de son équipe, plus conforme à son image, sous l’impulsion des différents mercato (arrivées de Matic en janvier 2014, Fabregas et Costa en juin). Le plan de jeu de ses Blues à l’Etihad Stadium face à Manchester City en février et septembre 2014 confirme cette tendance. A sept mois d’intervalle mais deux saisons distinctes, le bloc défensif était, certes, le même, compact. Néanmoins, à l’image d’un "back five" nourri par la promotion de David Luiz au milieu mais proche de sa charnière ou encore d’un Ramires bloquant le couloir droit et d’un Willian en position inhabituelle de numéro 10 la première saison (1-0), Mourinho avait répondu par deux lignes de quatre positionnées plus haut sur le terrain lors de la deuxième (1-1). La possession était passée de 35 à 41%.
Une fois dit cela, on a quand même le droit de ne pas être d’accord avec le fait de voir Martial, à l’Etihad, ou Mkhitaryan, à l’Emirates, passer leur temps à défendre en position de défenseur latéral ! C’est également une approche contraire à l’identité de Manchester United dont le jeu est basé sur l’attaque par les ailes.

Pas possible de jouer sur deux tableaux ?

L’autre débat de cette rencontre concernait le onze aligné par Mourinho et le choix d’effectuer huit changements par rapport à l’équipe qui a débuté au Celta Vigo (1-0), trois jours plus tôt. Le Special One avait laissé Pogba, Bailly, Blind, Rashford et Lingard sur le banc au coup d’envoi et aurait changé les onze titulaires s’il avait pu. Le Portugais n’a pas fait mystère de sa décision de donner priorité à l’Europa League dans sa quête d’obtenir le billet qualificatif pour la prochaine Ligue des Champions.
C’est compréhensible et discutable à la fois.
Compréhensible car, entre deux rencontres européennes - la demi-finale retour et la finale face au vainqueur d’Ajax-Lyon (4-1) - et une qualification directe en cas de victoire finale, d’une part, quatre journées de championnat (avant le déplacement à Arsenal) et un éventuel barrage de Ligue des Champions (si quatrième place en Premier League), d’autre part, Mourinho a une nouvelle fois fait preuve de pragmatisme.
Et discutable pour deux raisons au moins :
1. Rien, absolument rien et surtout pas le visage affiché par les Mancuniens en coupe d’Europe cette saison, n’assure une victoire dans une finale dont on connaît le caractère aléatoire ;
2. La qualification bien avancée après le résultat de l’aller en Espagne (1-0) aurait pu permettre à Mourinho d’aligner ses plus grandes forces face à Wenger, sur lequel il bénéficiait encore d’un ascendant psychologique (invaincu en 12 matches de Premier League).
D’autant que le résultat nul de Liverpool, la veille à Anfield contre Southampton (0-0), ouvrait une porte inespérée à un retour sur les Reds (3e à 5 points) en cas de victoire lors de ses deux matches en retard. Un club de la stature de Manchester United, le plus riche au monde et capable de débourser plus de 100 millions sur un seul joueur (Pogba), n’est-il pas en mesure de figurer sur deux tableaux ? Mourinho s’est caché derrière l’excuse des blessures, certes nombreuses (Ibrahimovic, Rojo, Young, Rashford ayant suivi celles de Mata, Pogba, Smalling, Jones…) et de la fatigue.
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Zlatan Ibrahimovic

Crédit: Getty Images

C’est autant sa responsabilité de ne pas avoir su faire tourner, notamment en Europa League (Ibrahimovic, à titre d’exemple), que celle des 59 matches joués cette saison. Soit un de moins que Monaco, pourtant auteur d’un parcours brillant en Ligue des Champions (demi-finaliste) et en tête du championnat de France, et quatre que le Real Madrid (55).

Une décision validée par… Ferguson

En choisissant de délaisser - il n’y a pas d’autre mot - le championnat pour l’Europa League, Mourinho fait courir un grand risque à son club, confirmant au passage son amour pour les trophées plutôt qu’une âme de bâtisseur. Une approche qui ne ressemble pas à l’importance donnée par Ferguson, en son temps, à la Premier League qu’il a remportée treize fois ! Et pourtant, c’est… l’Ecossais en personne qui a donné sa bénédiction au Portugais. Fin mars, Sir Alex a admis que MU devrait davantage se concentrer sur la coupe d’Europe pour atteindre son objectif : "Cela ne va pas être facile d’accrocher le Top 4 avec Chelsea, Tottenham, Arsenal et Liverpool, avait-il lancé, sans même, vous l’aurez noté, mentionner… Manchester City. Ils peuvent le faire mais je vois dans l’Europa League une grande chance de la remporter et ainsi obtenir le billet pour la Ligue des Champions".
Ferguson n’a pas toujours dit ça. Eliminé lors de la phase de poules de la Ligue des Champions 2011/2012 à la surprise générale, l’ancien manager de United avait alors brandi le reversement en "EL" comme une punition. Ce qui avait valu une première fracture entre Michel Platini, alors président de l’UEFA, et le football anglais : "Le monde ne tourne pas autour de l’Angleterre". Le club mancunien, alors à la lutte pour le titre avec City, avait été sorti dès les huitièmes de finale face au Bilbao (2-3, 1-2) d’un certain Marcelo Bielsa, avant de laisser filer le titre à City dans la dernière ligne droite.
En cas de succès, Mourinho et Manchester United achèveront la saison avec deux trophées – League Cup et Europa League – et le retour du club en Ligue des Champions. En cas d’échec, le club traversera une troisième saison en quatre ans sans Ligue des Champions.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
Pour approfondir le sujet, vous pouvez écouter mon Podcast 100% foot anglais sur l'actualité de la Premier League et du football britannique
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