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Özil, l’artiste qui divise

Bruno Constant

Mis à jour 23/11/2017 à 17:46 GMT+1

Brillant, important et décisif face à Tottenham (2-0) samedi, Mesut Özil a forcé sa nature pour se hisser à un niveau où on l’a trop souvent attendu en vain. Le maestro allemand, qui cristallise à la fois les qualités et les défauts d’Arsenal, laisse bien moins d’espoir que de regrets à ses supporters. Avant de partir libre l’été prochain ?

Mesut Özil

Crédit: Getty Images

Arsenal, c’est toujours un peu la même histoire. Un recrutement raté ou incomplet, un début de saison manqué qui les écarte presque déjà de la course au titre, une performance d’exception porteuse d’espoir puis la rechute, la déception, la frustration, encore et toujours. Vous savez, comme le film ''Un jour sans fin'' avec Bill Murray. Un matin, on se réveille, on pense que la malédiction est passée, que cette année sera la bonne et puis il y a cette foutue marmotte qui revient. Au lendemain du succès des Gunners dans le North London Derby face à Tottenham (2-0), on est donc passé à la phase ''performance porteuse d’espoir''. Tout Arsenal se prend à rêver à nouveau. A quoi ? Un retour dans le Top 4 ? Dans la course au titre ?
Je vous ai déjà fait part de mon pronostic sur les chances des Gunners en début de saison, c’est-à-dire nulles, et je ne vois toujours pas de raison d’en changer. D’abord, ce serait trop facile quand le vent tourne et cela voudrait dire que tous les problèmes évoqués avant se seraient envolés comme par magie samedi. Même si, pour le bien des supporters d’Arsenal et de ceux qui les entourent au quotidien, je souhaite vraiment me tromper. Cela mettrait fin à treize années sans titre - treize, comme un symbole -, et cela offrirait une porte de sortie magnifique à Arsène Wenger. Mais, honnêtement, je n’y crois toujours pas. Malheureusement pour Arsenal, une victoire contre Tottenham, aussi belle fut-elle, ne rapporte pas plus de points que face à West Bromwich ou à Burnley, dimanche, et, aujourd’hui, les Gunners sont toujours sixièmes à douze longueurs de Manchester City, autant dire à des années-lumière du titre.
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Shkodran Mustafi, Alexis Sánchez und Mesut Özil (v.l.) beim FC Arsenal

Crédit: Getty Images

Ah, si Arsenal jouait tous les matches avec cette même intensité…

Cette performance d’Arsenal devrait laisser davantage de regrets que d’espoirs à ses supporters. Ah, si Arsenal jouait tous les matches avec cette même intensité… Voilà ce que je me suis dit devant le spectacle offert par les hommes d’Arsène Wenger qui ont fait tout ce qu’on leur reprochait de ne pas faire jusqu’à présent. Avec ce ''si'', Arsenal jouerait la Ligue des Champions cette saison, ne resterait pas cantonné aux huitièmes de finale depuis sept ans et se serait réellement mêlé à la course au titre au lieu de faire illusion. Evidemment, on ne peut pas attendre des Gunners qu’ils jouent tous les week-ends comme si c’était un jour de derby face au rival historique mais, au moins, qu’ils affichent cette même solidarité défensive, cette même discipline, ce même pressing qui a fait tant de mal aux Spurs.
Contre Tottenham, Arsenal a livré le match parfait et sa meilleure performance depuis très longtemps. Un visage discipliné déjà aperçu à Chelsea cette saison avec l’aspect offensif en plus. Je ne m’attarderai pas sur les erreurs d’arbitrage - pas faute de Sanchez sur Alexis et hors-jeu de Mustafi sur le premier but, penalty non sifflé sur Kane - car, si elles ont pu modifier le cours de la rencontre, elles ne changent en rien l’excellente performance des joueurs de Wenger. Avant la rencontre, Thierry Henry, en fin analyste qu’il est devenu sur la chaine Sky, avait prévenu de l’importance du travail sans ballon du trio offensif d’Arsenal, à savoir Alexis, Lacazette et Özil. Et il faut admettre que ces trois-là ont coordonné leurs efforts à la perfection. C’était beau à voir et surtout très loin du désordre affiché à Manchester City (1-3). On connaissait l’abnégation du Chilien et la capacité du Français à fournir ce genre d’efforts mais on n’attendait plus forcément ça de l’Allemand dont la performance a parfaitement justifié son titre de Man Of The Match qu’il aurait très bien pu partager avec la paire Mustafi-Koscielny, Alexis ou Ramsey.

Insultes et menaces de mort

Mesut Özil a été grand, très grand même, samedi à l’heure du déjeuner. Dans le pressing comme le repli défensif, dans les duels comme dans l’organisation du jeu. En somme, Mesut Özil fut tout ce qu’il n’avait pas été jusque-là. Un peu comme Arsenal d’ailleurs. Après la rencontre, Arsène Wenger résuma en une phrase la performance de numéro 11, mais aussi sa principale limite : ''Aujourd’hui, il a forcé sa nature''. C’est exactement ça. Si Özil a été si bon, c’est parce qu’il a ''forcé sa nature''. Car presser, défendre, se battre comme il l’a fait n’est pas dans l’ADN d’Özil et, à 29 ans, il n’est pas près d’en changer. Ce n’est pas la première chose qu’on lui demande lorsqu’il entre sur un terrain, à savoir éclairer le jeu de son équipe avec des passes lumineuses, être déterminant et décisif. Mais, en Angleterre et d’autant plus au sein d’une équipe qui ne domine pas son sujet, l’un ne va pas sans l’autre. Néanmoins, on entretient quelques idées fausses au sujet de l’Allemand. On lui reproche ne pas assez courir alors qu’il est celui qui parcourt en moyenne le plus de kilomètres par match chez les Gunners et celui qui répète le plus de sprints. Cette saison, aucun joueur de Premier League ne totalise plus de ''key passes'' que l’Allemand (34), traduisez ''passes-clés'' mais comprenez ''passes conduisant à un tir'', ce qui englobent corners et coups francs.
Samedi, certains ont dit qu’il avait fait taire les critiques à son égard, à l’image de Gary Lineker : ''Ce n’est pas parce qu’il ne court pas dans tous les sens comme un poulet sans tête que c’est un manque d’engagement''. D’autres ont souligné que tout le stade s’était levé pour applaudir ''un champion du monde allemand, cinq fois élu Joueur de l’Année en Allemagne mais qui ne figurait dans aucun onze combiné Arsenal-Tottenham''. Je fais là référence au tweet de John Cross, journaliste qui suit Arsenal pour The Mirror, qui a fait l’objet de 3000 ''RT'' et 5600 likes. Ce n’est pas rien. Car, comme souvent avant le derby, le site de la BBC proposait de composer son XI combiné avec les joueurs des deux équipes. Dans beaucoup de cas, comme le mien, il y avait plus de Spurs que de Gunners. C’est assez logique au vu de la trajectoire des deux formations, montante pour Tottenham, déclinante pour Arsenal. Mais le jeu a été trop loin, beaucoup trop loin même, lorsqu’un journaliste du Daily Mail, qui l’avait composé uniquement de joueurs des… Spurs - après tout c’est son choix -, a vu le compte officiel du club d’Arsenal lui répondre, après la victoire évidemment, d’un GIF - une vidéo animée de quelques secondes sans son pour ceux qui ne le savaient pas - montrant Mesut Özil en train de boire une tasse de thé…
Cette réponse, qui cite et donc met en lumière le tweet initial, a déclenché une vague d’insultes et de messages antisémites et homophobes à l’encontre de son auteur, certains allant même jusqu’à le menacer de mort. Tout ça pour ne pas avoir coché un seul joueur d’Arsenal ? Elle porte également la responsabilité d’une entreprise - car un club est une entreprise - suivie par plus de douze millions de ''followers'' et montre à quel point le débat sur Özil est sensible, très sensible même. J’en ai d’ailleurs fait l’expérience lorsque, en 2015, deux ans après les arrivées d’Özil et Eriksen en Angleterre, j’avais osé écrire que le Danois était une meilleure affaire que l’Allemand. Ce constat, basé sur le prix, les statistiques comparatives des deux joueurs et l’analyse de leur apport dans le jeu, m’avait valu insultes et autres messages…
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Mesut Özil vom FC Arsenal

Crédit: Getty Images

Oui, Eriksen est une meilleure affaire qu’Özil

Quatre ans après leur transfert respectif, la comparaison penche toujours en faveur du joueur des Spurs qui, au-delà d’avoir coûté quatre fois moins cher (13 M€), affiche un meilleur bilan individuel : 34 buts et 40 passes décisives en 146 matches de Premier League contre 24 buts et 45 passes en 126 pour le Gunner. Et ces chiffres ne doivent pas faire oublier l’apport dans le collectif. L’un a été recruté très cher au Real Madrid (50 M€, record du club à l’époque) pour relancer Arsenal et concurrencer les autres équipes du Big Four, mais son irrégularité a curieusement épousé celle de son équipe qui n’a cessé de reculer au point de se retrouver en queue du Big… Six. L’autre est arrivé sur la pointe des pieds avec une jolie réputation établie à l’Ajax, faisant partie des sept arrivées financées par le transfert record de Gareth Bale, et sa régularité a contribué à la montée en puissance de son équipe, cinquième en 2013 et deuxième en 2017. Je m’arrêterai là pour la parenthèse.
Peu de joueurs suscitent autant de divisions dans l’opinion que Mesut Özil. On aime sa grâce, son élégance balle au pied, sa vision du jeu, ses ouvertures de l’extérieur du pied et ses passes aveugles. On n’aime pas sa nonchalance, son peu de goût pour l’effort, sa paresse dans le repli défensif, sa fâcheuse tendance à disparaître dans les grands matches, fidèle à l’impression qu’il avait laissée au Real Madrid. Un artiste, en somme, dont l’intermittence agace. En 2013, c’est Per Mertesacker qui avait soufflé dans les bronches de son compatriote, mécontent à l’issue d’une lourde défaite à Manchester City (3-6). En 2014, le Daily Mail avait reproduit l’illustration ''Where’s Wally ?'' (''Où est Charlie ?'') sur le modèle ''Where is Özil ?'' après une défaite à Liverpool (1-5) où l’Allemand avait été invisible. ''Lorsqu’il ne tisse pas sa magie, il ne fait pas grand chose d’autre'', avait ajouté Alan Shearer. En 2015, ''il était temps (pour Özil) de montrer pourquoi Wenger a payé 50 M€'', selon Jamie Carragher. En 2016, à l’issue d’un match perdu à Manchester City (1-2), The Guardian avait qualifié Özil de ''fantôme dans la machine Arsenal''. En août dernier, après la correction à Liverpool (0-4), Gary Neville lui avait reproché de ne ''pas faire l’effort dans le repli défensif pour aider ses coéquipiers'' sur le deuxième but. Impardonnable. Un joueur que Wenger a pourtant toujours défendu sous le feu des critiques.
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Illustration Ozil Charlie

Crédit: Eurosport

Un grand match fait-il oublier tous les autres ?

Aujourd’hui, et après sa performance face à Tottenham, la question est assez simple : un match aussi brillant soit-il peut-il faire oublier tous les autres dans lesquels l’Allemand a déçu, disparu ou été transparent ? Avec un minimum d’objectivité, la réponse est non, évidemment. C’est d’ailleurs un peu ce qui résume le phénomène Özil. Ses gestes de classe ont tendance à occulter tout ce qu’il ne fait pas pour le collectif et qui pénalise son équipe. Et il n’y a sans doute pas plus belle illustration que son but inscrit face à Ludogorets, il y a un an en Ligue des Champions. Un but absolument magnifique, je vous l’accorde, qui voit le maestro se jouer du gardien et de deux défenseurs bulgares avec une aisance technique qui frise l’insolence. La ou plutôt les vidéos de ce but ont été vues plus d’un million de fois, décortiquées sous tous les angles, éditées, remontées, avec ou sans musique… On ne peut pas ne pas aimer ce but. C’est certain. Le problème, en faisant cela, c’est qu’on donne plus d’importance à ce but qu’il n’en a eu sur la saison d’Arsenal. Un but face au champion de Bulgarie dans un match de poule de Ligue des Champions.
On peut aimer le beau jeu et les beaux gestes mais sans oublier le contexte et l’importance de la régularité des performances. On pourrait me répondre qu’on en fait autant avec le but somptueux de Dennis Bergkamp sous le maillot des Gunners face à Newcastle. A une différence près, et elle est d’importance, tous ceux qui suivent Arsenal vous diront que le Néerlandais fut une inspiration et un moteur dans les succès du club londonien entre 1995 et 2006 (trois titres de champion et membre des ''Invincibles''), ce qui lui a valu une statue au pied de l’Emirates Stadium comme les autres légendes que sont Thierry Henry, Tony Adams ou Herbert Chapman. Mesut Özil, lui, n’aura pas de statue et risque de partir à la fin de la saison, libre, sans même rembourser sa dette au club qui a déboursé 50 M€ en 2013, et peut-être même chez un concurrent direct (Manchester United ?). Il a longtemps répété que sa priorité était de rester à Arsenal tout en demandant, avec son agent, un salaire de superstar (on parle de 330 000 livres par semaine soit plus de 19 M€ par an). C’est plus qu'Eden Hazard, Sergio Agüero et trois fois plus que Harry Kane. Et c’est surtout un salaire qui ne justifie en rien le niveau de ses performances sur le terrain depuis quatre ans.
Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
Pour approfondir le sujet, écoutez mon Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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