Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Aveuglés, Wenger et Rodgers ne peuvent plus se remettre en cause et c’est un danger

Philippe Auclair

Mis à jour 12/12/2014 à 21:29 GMT+1

Arsène Wenger et Brendan Rodgers ont un point commun : critiqués, ils s'enferment dans leurs certitudes. Et ils pourraient le payer cash.

Philippe Auclair (Rodgers et Wenger)

Crédit: Eurosport

L’arrogance n’est pas nécessairement le plus séduisant des traits de caractère.  Mais elle peut être une vertu, à tout le moins une arme, quand on est un sportif de très haut niveau. Johan Cruyff, Michael Jordan, Usain Bolt, Cristiano Ronaldo, Ali…Zlatan. Mais si la confiance absolue qu’un athlète a en ses propres capacités peut l’aider à aller encore plus loin, sauter plus haut, frapper plus fort, quand c’est un entraîneur qui succombe à la tentation de se croire au-dessus du doute, la conséquence est rarement autre chose qu’une catastrophe. C’est que le management d’une équipe et d’un club est un questionnement permanent, et que se reposer sur des certitudes est au bout du compte l’aveu d’une impuissance, d’un déficit d’imagination qui se paie cash.
Vous m’objecterez – quid de Van Gaal, Capello ou Mourinho, par exemple? Regardez-y de plus près. Ôtez ce que leur ton cassant, leurs déclarations incendiaires et leur conviction d’être dans leur bon droit a de théâtral, et considérez plutôt leurs actions. Tous trois sont des pragmatistes, pour lesquels la vérité des vérités est la victoire. Capello n’avait pas jeté l’héritage de Sacchi aux orties quand il était arrivé à Milan, et bien lui en avait pris. Jamais il n’a cru tenir une formule secrète qui aurait échappé à un moins fûté que lui. Van Gaal est tout sauf un homme de système, au singulier comme au pluriel. Mourinho tape sur les nerfs de beaucoup, ce qui est précisément l’un de ses objectifs, mais sait aussi être beaucoup plus coulant dans l’exercice de ses fonctions en interne, et sait se reposer sur le travail – exceptionnel, et pas assez relevé – de sa cellule technique. L’arrogant, au mauvais sens du terme, a lui-même pour seule référence. Quand c’est pour battre le record du monde du 100 mètres, le nombre de paniers dans un match de basket ou de hat-tricks en l’espace d’une saison, passe encore. Mais pas quand on tient la destinée d’un groupe entre ses mains.

Rodgers ou l'arrogance accidentelle

Le préambule est long, mais indispensable, car ce type d’arrogance n’est pas nécessairement celui qu’on associerait aux personnalités d’Arsène Wenger et de Brendan Rodgers, deux managers pour qui ces derniers mois ont été une épreuve à laquelle leurs passés ne les avaient pas préparés. Lorsque l’un ou l’autre pique une colère, on sent bien que celle-ci n’est pas totalement maîtrisée. Quand, touchés au vif, ils réagissent, ce qui se dégage d’eux est d’abord une impression de faiblesse. Leur intransigeance n’est pas celle d’un Ferguson, qui était avant tout soucieux de protéger son autorité. Elle a trait, ce qui est plus grave quand les choses tournent mal, à ce que leurs convictions ont d’absolu. L’arrogance dont je veux parler est celle de ce qu’ils appelleraient leur ‘philosophie’, et qui, quand celle-ci ne porte pas ou plus ses fruits, a vite fait de tourner au dogmatisme.
Rodgers avait jusqu’à récemment pour habitude d’entamer ses conférences de presse d’après-match par un bref exposé de sa mise en place tactique, quelle qu’ait été la question d’ouverture, comme s’il devait s’assurer que nous autres journalistes comprenions bien ce que nous avions vu depuis notre tribune. Nous devenions les auditeurs d’une causerie délivrée avec le soin d’un instituteur sachant s’adresser à une classe…pas de cancres, mais pas loin. J’ajouterais que les auditeurs de Rodgers prenaient la chose avec un certain amusement, et ne manifestaient aucune hostilité vis-à-vis de l’homme qui avait fracassé porte ouverte après porte ouverte de cette façon. C’est que Rodgers avait mis sur pied une équipe qui était un bonheur à voir jouer, et que ce sérieux qu’il affichait en permanence avait quelque chose de touchant. Nous avons tous nos défauts, et celui-là, franchement, n’était pas des plus impardonnables.
Ce qu’il trahissait néanmoins était la conviction que l’ancien disciple de Mourinho avait de maîtriser son sujet de A à Z. Il avait bâti sa réputation à Swansea en faisant pratiquer à un groupe de joueurs en majorité britanniques, qui plus est issus du Championship, un football basé sur la possession du ballon, censé leur être étranger. Avec succès. Il appliqua la même recette lors de sa première saison à Liverpool, avec moins de bonheur, puis en changea quelques ingrédients, qui lui permirent de donner davantage de liberté à ses individualités, à commencer par Luis Suarez. Liverpool était moins obsédé par la conservation de la balle, cherchait les intervalles, jouait en mouvement. Mais la ‘philosophie’ de base n’avait pas foncièrement changé. Suarez s’en est allé, Sturridge s’est blessé, Gerrard a vieilli, mais la pensée demeure la même. Regardez le visage de Rodgers. C’est un masque d’incompréhension. Le problème qu’il doit confronter est inédit pour lui. Mais il n’a pas d’autres réponses que celles qu’il a toujours utilisées; ou s’il en a en lui-même, il n’est pas encore parvenu à les localiser. Il ne s’agit pas de l’arrogance d’un champion, mais d’une ‘arrogance’ accidentelle, forcée par les événements, forcée par un recrutement dont on a le droit de dire aujourd’hui qu’il s’est avéré catastrophique – et qui était lui-même la conséquence d’un autre type d’arrogance, de satisfaction de soi. Rodgers n’est pas un génie; il n’est pas un imbécile ou un incapable non plus. Où il se situe entre les deux ne sera connu que lorsqu’il aura su ajouter à son talent un soupçon d’humilité.
picture

Brendan Rodgers hailed an improved Liverpool display

Crédit: PA Sport

Wenger ou l'aveu de faiblesse

Arsène Wenger est un tout autre animal, évidemment. Mais ce n’est pas parce qu’il est l’aîné de Rodgers de près d’un quart de siècle qu’il est nécessairement mieux armé pour affronter les turbulences actuelles. Laissons de côté les imbéciles qui l’ont injurié sur un quai de la gare de Stoke; ils ne méritent pas qu’on s’attarde sur leur triste cas, même si leurs insultes ont profondément blessé leur cible. Mais que ce soit à Nancy, Monaco, Nagoya ou Arsenal, Wenger n’a jamais dû faire face à pareille révolte. Des frondes, oui. De la grogne. Mais pas ça. Pour la première fois, le clan des ‘Wenger Out’ semble avoir pris la main. Je ne prétendrais certainement pas que mes ‘sondages’ ont quoi que ce soit de scientifique; mais je connais beaucoup de supporters d’Arsenal – authentiques fidèles, pas chasseurs de gloire, abonnés de longue date, petits actionnaires, Gunners à la mémoire longue -, et parmi ceux-ci, je ne pourrais plus citer un seul ‘loyaliste’. Pas un seul. Certains se taisent, parce qu’ils ne veulent surtout pas que, si les choses doivent en finir comme elles en finiront bien un jour, ce ne soit pas dans l’acrimonie, la rancoeur, le désaveu. Mais même ceux-là ont le sentiment que le bout de la route est tout proche.
Wenger est-il conscient de ce que ce ‘petit peuple’ qui a tant d’affection et de respect pour lui détourne le regard quand il est attaqué, quand il le défendait autrefois? Je ne le crois pas. Ce qu’ils condamnent, c’est la violence des critiques, pas leur fond. Le manager a souvent répété qu’il n’avait pas de critique plus dur que lui-même. On le croirait volontiers s’il n’accueillait pas la moindre pique comme si c’était un crime de lèse-majesté. Un de ses joueurs me confia tout récemment – en substance: "bien sûr qu’on peut parler et dire ce qu’on pense au coach, mais à condition d’accepter qu’il n’en tiendra compte que si c’est déjà ce qu’il pense lui-même". Brian Clough avait dit quelque chose de semblable, mais sur le ton de la plaisanterie. Si Wenger a un sens de l’humour très fin, il est d’une toute autre espèce.
Vu de l’extérieur, le camp retranché de London Colney, auquel quasiment plus personne n’a accès, ressemble à une tour d’ivoire au sommet de laquelle s’est réfugié son manager, suffisamment haut pour n’entendre que confusément les clameurs qui viennent d’en bas. Il est tout de même extraordinaire que lorsque le second actionnaire d’Arsenal, l’Ouzbèque Alisher Ousmanov, se laisse aller à chatouiller l’amour-propre d’un manager qu’il a toujours soutenu, la réponse de ce dernier – employé du club dont Ousmanov possède un peu moins d’un tiers! – est une remise á l’ordre du genre de celles qu’on adresse à un subalterne. Imaginez-vous cela dans un autre environnement que celui d’Arsenal aujourd’hui ? Acculé par ses critiques, Wenger répond en leur demandant: ‘combien de matchs avez-vous coachés?’, un ‘argument’ qui fait naître un sentiment de gêne en tous ceux qui admirent le travail qu’il a fait à Highbury. Irrité par les équipes qui ‘garent le bus’ à l’Emirates, il fait comprendre qu’il s’agit à ses yeux d’un crime contre le football qui ne mérite que la condamnation, comme si placer un obstacle sur le chemin de son équipe rêvée était en soi une insulte à l’ordre divin. Une fois, deux fois, sous le coup de l’énervement, de la frustration, ce serait compréhensible ? Mais ce discours est devenu une rengaine entendue après chaque revers ou presque. L’arrogance est bien parfois l’aveu d’une faiblesse.
picture

Arsene Wenger on the touchline

Crédit: AFP

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité