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Foot, hooliganisme et supporters crétins : pendant que la France s'indigne, l'Angleterre agit

Philippe Auclair

Mis à jour 20/02/2015 à 16:34 GMT+1

Si l'Angleterre et Chelsea font, logiquement, l'objet de nombreuses critiques depuis l'affaire des chants racistes dans le métro parisien, il convient de constater les progrès d'un pays qui a pris le problème à bras le corps. Contrairement à d'autres...

Auclair -Eurosport

Crédit: Eurosport

Le massacre de Coptes égyptiens par Daesh a été repoussé de la première page ; tout comme les menaces que fait peser l’armée de Poutine sur les états baltes et les obus qu’elle contribue à faire pleuvoir sur l’Ukraine orientale ; ne parlons même pas des pourparlers entre la Grèce et les banquiers de l’Europe. Il y avait plus important que cela lors des dernières quarante-huit heures, à savoir une cinquantaine de crétins revendiquant leur crétinerie dans une rame de métro à Paris, empêchant un passager – d’un sang-froid qu’on disait tout britannique, autrefois – de monter dans leur wagon à cause de la couleur de sa peau.
Un Anglais expatrié qui passait par là, Paul Nolan, filma la scène que vous avez tous vue, la communiqua au Guardian, lequel publia le clip sur la page d’accueil de son site. La boule de neige pouvait dévaler la pente et déclencher une avalanche médiatique. En cet âge où l’information se propage à la manière d’un virus, cela n’avait rien d’étonnant. Ce qui l’était beaucoup plus, ce sont les commentaires qui ont accompagné cette épidémie d’indignation.
Soyons francs : exprimer cette indignation ne coûte pas cher, tandis que ne pas le faire peut se payer cash, une sorte de culpabilité par omission. Je n’étais, quant à moi, pas indigné, mais triste, consterné par une telle bêtise, inquiet aussi, comme chaque fois qu’on se voit rappeler qu’il existe un gouffre entre la société policée dans laquelle on s’imagine exister et la réalité de la vie, de l’intolérance, de la brutalité gratuite, du racisme. Mais cet incident, qu’était-ce ? Au regard de ce qui se passe au quotidien, et qui ne fera pas deux lignes dans les journaux, ce n’était rien. On en a fait beaucoup moins sur la profanation de centaines de sépultures dans le cimetière juif de Sarre-Union. On en fait beaucoup moins sur les agressions autrement plus violentes dont nos pays sont le théâtre chaque jour, parce qu’on a le "malheur" d’être juif, arabe, noir, différent.
Pourquoi ? Parce qu’il s’agissait de supporters de football, anglais de surcroît. On avait le péril jaune du temps du président Doumer, on a maintenant le retour du spectre du hooliganisme des outre-manchots. Chelsea, en plus, se traîne une vilaine réputation depuis le temps où les Headhunters, Combat 18 et autres ‘firms’ plus ou moins liées au National Front faisaient le ménage du côté de Stamford Bridge. Voilà longtemps que ces voyous ont déguerpi des stades, mais on ne va pas s’arrêter à si peu. Ce qui se passa à Richelieu-Drouot – et qui se passe si fréquemment ailleurs, mais loin des caméras – nourrissait un fantasme, celui du Rosbif crâne rasé, front bas, tatoué, bide en avant, un stéréotype qui, quand on y réfléchit une demie-seconde, pue la xénophobie.

L'Angleterre fait plus que n'importe qui pour éradiquer le racisme de ses stades

Le football a bon dos, ses supporters surtout ; alors, autant leur en remettre un coup de bâton sur les épaules, surtout s’ils sont anglais. Ça donne bonne conscience. Ça évite de se regarder dans un miroir. Dieu sait qu’il en est pourtant besoin. Et de regarder de l’autre côté de la Manche, justement.
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Supporters de Chelsea

Crédit: AFP

Vous avez dû voir ces statistiques faisant état des arrestations d’auteurs de chants racistes dans les stades de Premier League depuis dix ans. Celles qu’on a publiées en France étaient inexactes, au passage. Les chiffres cités ne concernaient pas que les insultes à caractère xénophobique ou raciste (dont une partie plus que conséquente avaient un caractère antisémite), mais aussi homophobies ou tout simplement obscènes, le Home Office britannique ne poussant pas ses distinctions aussi loin. Mais, même s’il s’agit d’une nuance qui a son importance, acceptons-les tels quels.
La première constatation est que le nombre de ces arrestations et interdictions de stade (171 entre 2004 et 2014) est presque insignifiant au regard de celui des spectateurs qui assistent aux matchs de Premier League: 13 914 100 rien que pour la saison 2013-14 – pendant laquelle 21 personnes seulement ont été interpellées ou jugées indésirables dans les stades pour leurs outrances verbales. Soit un supporter sur 662 576. Il s’agit clairement d’un cancer qui ronge le football anglais. En passant – quel autre pays prend-il la peine d’établir des statistiques comme celle-ci et de les publier ?
La seconde, est que le nombre de ces arrestations et interdictions de stade a décru de presque trois fois depuis 2005-06. Nous n’assistons pas à une recrudescence des incidents, bien au contraire. Et cela, fait capital, alors que la FA, les clubs, la Premier League, la police, les associations anti-racistes et les groupes de supporters (dont la FSF, qui compte plus d’un demi-million de membres!) travaillent ensemble pour appliquer le principe de la ‘tolérance zéro’ dans les stades anglais. Et sont en train de parvenir à leurs fins, grâce à une vigilance de tous les instants.
Aucun autre football dans le monde – aucun – n’a fait et ne fait autant pour éradiquer le racisme en son sein. Pendant que Sepp Blatter, l’homme qui conseillait aux joueurs victimes de provocations racistes de serrer la main de leur insulteur, s’indigne et se présente en champion du "respect", histoire de soigner sa popularité auprès des fédérations africaines, élection à la présidence de la FIFA oblige ; pendant que l’UEFA, indignée elle aussi, se contente de taper sur les doigts de clubs qui ne lèvent pas le plus petit pour se débarrasser des noyaux fascisants qui empoisonnent leurs arènes ; pendant que la France s’offusque en oubliant ce qui se passe chez elle ; pendant ce temps, les Anglais agissent et cela ne date pas d'hier.

Les supporters à la base de la révolte

Le mérite en revient d’abord aux supporters eux-mêmes. A tous ces fans qui en avaient marre de devoir s’asseoir à côté des tarés et qui sont parvenus à convaincre leurs clubs, leur fédération, leurs ligues qu’il fallait se réveiller. Je pense notamment à ceux de Leeds United, qui traînaient pourtant suffisamment de casseroles pour équiper toutes les curry houses du Yorkshire. Le combat a d’abord été mené à la base; Kick It Out, la principale organisation de lutte contre la discrimination dans le football (toutes les discriminations, pas seulement le racisme) n’est pas devenu un interlocuteur obligé des instances dès sa création en 1993.
Il a fallu convaincre l’establishment, faire pression sur le gouvernement, secouer la pyramide du football de l’intérieur. Les cyniques diront que cette grande lessive faisait bien les affaires de la machine à fric de la Premier League, soucieuse de présenter un produit aussi ‘propre’ que possible à ses clients internationaux. C’est exact. Mais regardez le résultat. On ne balance plus de bananes sur les pelouses depuis longtemps. Les cris de singe ? A d’autres. Et qui s’en plaindra ?
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Les fans de Chelsea lors d'un déplacement à Leeds - 19/12/2012

Crédit: Panoramic

La "tolérance zéro" n’est pas un mythe. Les fans peuvent désormais télécharger sur leurs smartphones une application qui leur permet de signaler aux autorités tout débordement à caractère discriminatoire dans les tribunes. Les coupables voient leurs abonnements résiliés. Certains se font confisquer leurs passeports. Les abrutis de Richelieu-Drouot ne sont pas près de revoir "leur" Chelsea jouer.
Le football anglais a eu le courage de ne plus se voiler la face et quand il a vu son visage dans le miroir, il en a eu peur. Mais au lieu de détourner le regard, il s’est demandé comment le changer – sans le maquiller. Il y a encore, il y aura hélas toujours des incidents, des dérapages, des coups de canif dans la déclaration des droits des fans, de tous les fans, à vivre leur football sans crainte d’insultes ou pire. Il y aura toujours des cons. Au moins essaie-t-on de s’occuper de leur cas en Angleterre.
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