Athlétisme - "On dénature le saut en longueur" : Pourquoi la planche d'appel ne doit pas disparaître

Ce n’est qu’une petite planche blanche bordée de plasticine. Elle est toujours là, de meeting en meeting, aux championnats du monde comme aux Jeux Olympiques. Mais plus que jamais, la planche d’appel semble aujourd’hui être une espèce en voie de disparition, au niveau international du moins. Invité du podcast "Anything But Footy" en début de semaine, John Ridgeon, directeur général de World Athletics, a en effet indiqué que l’instance réfléchissait à faire évoluer le saut en longueur. Ladite planche - censée déterminer si la tentative de l’athlète est valide ou s’il a mordu - serait remplacée par une "zone de saut" à l’intérieur de laquelle le sauteur prendrait son impulsion.

"Nous mesurerons depuis l’endroit où l’athlète décolle jusqu’à l’endroit où il atterrit dans le bac à sable", a expliqué Ridgeon, ajoutant que des tests allaient être menés dans "les prochains mois". Il n’a pas eu à attendre longtemps pour voir son annonce provoquer une levée de boucliers. "La longueur est l’épreuve la plus difficile de l’athlétisme, et cette réforme en ferait disparaître l’élément technique le plus délicat", a notamment dénoncé sur X Carl Lewis, quadruple champion olympique et double champion du monde de la longueur.

Stéphane Caristan partage le même avis. "Je trouve cela absurde. On dénature le saut en longueur, déplore le consultant Eurosport. Tant qu’à faire, on n’a qu’à passer au poids de 7kg au lieu de 7,160kg, on n’a qu’à courir des marathons de 42km et enlever les 195m restants. Retirer la planche d’appel du saut en longueur, c’est un changement équivalent." L’ancien hurdler rappelle que "ne pas mordre, c’est justement l’essence même de cette discipline. On aura toujours la même course d’élan, mais il manquera justement la contrainte liée à la planche d’appel, qui faisait tout le charme et la beauté du saut en longueur."

En optant pour une "zone de saut" moins contraignante et censée éliminer les sauts mordus (soit 33% des tentatives effectuées lors des Mondiaux de Budapest, en août 2023), World Athletics entend rendre cette épreuve plus spectaculaire et lisible. "Nous cherchons notamment des moyens d’obtenir des résultats instantanés des sauts, sans attendre vingt à trente secondes avant que le résultat n’apparaisse, comme actuellement", a précisé John Ridgeon, pour qui le délai de mesure des sauts serait ainsi trop long.

Ce serait faire bien peu de cas de toute la dramaturgie liée à l’attente, tout d’abord pour savoir si le saut est mordu (drapeau rouge) ou valide (drapeau blanc), puis pour en connaître la mesure exacte. "Ce qui est beau, c’est l’incertitude, expose Stéphane Caristan. Parfois, le juge doit se pencher parce que le pied est tellement proche de la plasticine qu’il regarde s’il n’y a pas une petite marque. Ce ne sont pas les cinq ou dix secondes que ça prendra qui vont tuer le spectacle." Avant d’ajouter, convaincu : "Ça ne fera pas plus frémir les gens de voir la perf s’afficher instantanément. Au contraire, l’incertitude crée du suspense."

Entre les lignes, on peut également deviner la volonté de la fédération internationale de voir des records du monde être battus. Au saut en longueur, les marques établies par Galina Chistyakova (7,52m, en 1988) et Mike Powell (8,95m, en 1991) tiennent encore et toujours. Après tout, la prolifération des chaussures à plaque de carbone a récemment engendré une pluie de records du monde sur les courses de fond. Alors, pourquoi ne pas favoriser ce phénomène à la longueur ?

"Parce que l’intérêt, c’est de se confronter à ces records, de se rendre compte qu’ils ont été établis par des athlètes hors normes. Il ne faut pas les banaliser avec un changement de règlement qui les ferait rentrer dans le rang", répond le consultant Eurosport. Selon lui, sans planche d’appel, "les sauteurs vont peut-être aller plus loin. Or, voir des légendes comme Bob Beamon, Carl Lewis, Mike Powell ou Robert Emmian (recordman d’Europe, ndlr) être dépassées par des athlètes qui ne feront pas tout à fait la même discipline, ça ne me plaît pas", avoue-t-il.

S’il suppose malgré tout que certains sauteurs "qui en ont ras-le-bol de mordre cinq essais sur six seront favorables à ce changement, car ils se sentiront plus libérés", Stéphane Caristan estime par conséquent que la réforme voulue par World Athletics n’est guère souhaitable. À vrai dire, d’autres modifications semblent prioritaires. Comme celle consistant à abandonner les planches d’appel en synthétique et revenir aux traditionnelles planches en bois, moins glissantes. 

"À Budapest, on a vu des Jamaïcains glisser sur la plasticine et retomber à plat ventre. Là, il y a un vrai danger, souligne notre expert. Il y a quelques années, on a changé le centre de gravité du javelot chez les hommes parce qu’un jour, un type l’avait balancé à 104,80m, ce qui posait un problème de sécurité. Changer pour le spectacle, je ne suis pas forcément pour. En revanche, changer pour la sécurité, oui."