Même Johannes Boe peut coincer : "Le cerveau ne suit plus tout à fait quand vous êtes fatigué"

Johannes Thingnes Boe est un être humain, par définition faillible. On avait presque fini par l'oublier. Après avoir récolté cinq médailles d'or en cinq épreuves depuis le début des championnats du monde (relais mixte, sprint, poursuite, individuel et relais mixte simple), le dernier week-end a moins souri à l'ogre norvégien. Samedi, en relais, quatre Français (et les errements de certains de ses coéquipiers) l'avaient contraint à se contenter de la médaille d'argent. Dimanche, dans la mass start, ce sont deux Suédois, Sebastian Samuelsson et Martin Ponsiluoma, qui l'ont devancé, le laissant sur la troisième marche du podium.

Il est pourtant passé à nouveau tout près de la timbale. Au tir, le Nordique n'était pas dans son meilleur jour, mais en dépit de deux fautes, une sur chacun des deux premiers tirs couchés, il était encore dans le peloton de tête au moment d'aborder le premier debout. Là, son sans faute a semblé sceller le scénario si prévisible. Malheureusement pour lui, sa faute sur l'ultime balle de ces Mondiaux aura été celle de trop.

Ressorti juste derrière le duo suédois auquel il avait ouvert la porte, le cyborg a coincé. Dans cette dernière boucle, ses jambes se sont avérées trop lourdes. "Mon dernier espoir de l'emporter a pris fin quand les Suédois ont violemment accéléré, a-t-il concédé. J'étais très fatigué à la fin. Aujourd'hui, je n'avais pas un rythme aussi rapide que sur les autres courses, les jours précédents. Mais j'ai vraiment essayé. Le cerveau ne suit plus tout à fait quand vous êtes fatigué."

A défaut de sept médailles d'or, Boe a au moins complété sa palette de couleurs à Oberhof. Cette "défaite", somme toute très relative, est un petit événement. Le grand Johannes restait en effet sur dix victoires dans les courses individuelles. Avant ces championnats du monde, il avait glané les sept dernières épreuves de Coupe du monde, avant donc d'enquiller trois victoires de plus en Allemagne.

Sa série devait s'arrêter un jour, mais il aurait sans doute préféré attendre un peu pour qu'elle arrive à son terme. Que ce soit aux Jeux Olympiques ou aux Mondiaux, jamais un ou une biathlète n'avait réussi le Grand Chelem dans les épreuves en solitaire depuis que le programme compte quatre épreuves. Il rejoint le club des triples médaillés d'or, comme Ole Einar Bjoerndalen, Martin Fourcade, Raphaël Poirée, Laura Dahlmeier, Liv Grete Skjelbreid et Olena Zubrilova, mais rate l'occasion de toutes et tous les laisser derrière lui.

Il serait toutefois indécent pour lui de faire la fine bouche, et pour nous de vouloir minimiser un bilan ahurissant puisqu'il est monté sur le podium de toutes les courses. Il a le cœur léger, Johannes, à l'image de son sourire en coupant la ligne de la mass start. C'était déjà le cas la veille à l'issue du relais, où il était apparu détendu et apaisé alors que ses coéquipiers, notamment Svetle Christiansen, étaient nettement plus touchés.

Sa saison 2023 était déjà historique. Ses Mondiaux ne font que confirmer son isolement au sommet du biathlon mondial. Il n'est pas le premier champion hors-normes de ce sport mais, même si le jeu des comparaisons est toujours délicat, pas sûr que le biathlon ait déjà connu un personnage aussi dominateur, notamment sur les skis. Dans ce domaine, il y a vraiment lui, tout seul devant, et tous les autres.

Sa suprématie est en prime renforcée par l'absence d'un rival, sinon à sa mesure, en tout cas capable de le titiller durablement. Quentin Fillon Maillet était peut-être le seul à pouvoir tenir ce rôle, mais le Français évolue aujourd'hui très loin de son niveau exceptionnel de l'hiver précédent. Johannes Boe fait du bien au biathlon, mais sa solitude pourrait devenir un souci, non pour lui, mais pour son sport.

Quoi qu'il en soit, il en est un superbe ambassadeur, sur la piste comme en dehors. Disponible et d'une grande sportivité, il fait l'unanimité. "C'est un champion d'exception dans la défaite aussi, ça en fait une personne encore plus belle, avait soufflé Emilien Jacquelin samedi. Je comprendrais totalement qu'il soit extrêmement déçu mais il garde le sourire, c'est quelqu'un exemplaire." "C'est un super athlète et un super mec", a résumé Sebastian Samuelsson dimanche et vous ne trouverez pas grand monde pour le contredire.